LA MÉDIATION ANIMALE EN COURT SÉJOUR, UN ATOUT POUR LA PRATIQUE INFIRMIÈRE
RECHERCHE
OUTIL THÉRAPEUTIQUE
Qui ne s’est pas déjà interrogé sur ces liens si forts qui se tissent entre l’animal et l’humain ? En France, la médiation animale est surtout utilisée au sein des lieux de vie comme les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou les maisons d’accueil spécialisées, où elle apporte apaisement et réconfort. N’est-elle pas transférable en secteur hospitalier, notamment en court séjour ?
Pour avoir pratiqué, lors d’un stage, une séance de médiation animale auprès d’une personne en fin de vie, agitée dans un moment d’anxiété, nous avons eu la grande satisfaction de la voir, petit à petit, retrouver son calme. Cette patiente, totalement dépendante pour les actes de la vie quotidienne, ne souhaitait plus participer aux activités proposées, se lever de son lit, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Voyant son état de santé se dégrader, l’équipe de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) a décidé de mettre en place une prise en soins palliative. C’est dans le cadre de cet accompagnement que la médiation animale lui a été proposée. Durant toute la séance et jusqu’à la fin, la patiente a exprimé des émotions intenses : sourire, pleurs… Elle était détendue, réconfortée en fin de la séance, voire moins « en détresse » moralement. Cet événement a confirmé le constat que les animaux peuvent avoir un impact positif sur les personnes en souffrance. Le présent article est issu d’un travail de fin d’études (TFE) en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), basé sur l’analyse de la situation rencontrée en Ehpad. L’orientation donnée à ce travail d’initiation à la démarche de recherche est de collecter et d’analyser des données probantes afin d’étayer la transférabilité de la médiation animale en court séjour.
Il convient tout d’abord de définir les termes de zoothérapie et de médiation animale. « La zoothérapie désignerait une pratique dans laquelle l’animal serait lui-même thérapeute. Or, il n’en est rien. L’animal participe à une médiation, une triangulation, dans laquelle l’intervenant comme la personne accompagnée sont tout aussi importants. L’animal n’est donc pas le thérapeute de la situation mais il s’associe de façon active pour former, ensemble, une équipe et un cadre porteurs de thérapie(1). » La différence sémantique serait en fait simplement géographique. « Le terme de zoothérapie est davantage utilisé au Québec et en Suisse. Et le terme de médiation animale est davantage utilisé en France. Pourquoi essaye-t-on encore d’être différent ? Pour cela, il faut se tourner vers nos médecins. À tort ou à raison, ceux-ci remettent en cause le terme de thérapie(2). » La médiation animale est définie comme : « Une pratique qui s’appuie sur les relations homme/animal visant à développer, maintenir, motiver ou améliorer les capacités physiques, sensorielles, cognitives, sociales et comportementales des personnes fragilisées et/ou dépendantes(3). » L’animal facilite la relation grâce à son absence de jugement. Cette pratique trouve son origine au XVIIIe siècle, avec l’Anglais William Tuke, philanthrope et humaniste. Révolté de voir comment vivent certains malades mentaux dans un asile du nord de l’Angleterre, il fonde un institut nommé « York Retreat » en 1796. Tuke confie des animaux, notamment des lapins et des volailles, aux malades mentaux, dans l’optique de leur permettre d’améliorer leur qualité de vie. Les résultats de cette expérience se sont tout de suite montrés positifs. Aux États-Unis, en 1953, Boris Mayer Levinson(4), pédopsychiatre américain, est le pionnier de la médiation animale. Il s’est rendu compte, lors d’un entretien avec un jeune autiste, que la présence inhabituelle de son chien nommé Jingle avait des effets positifs sur le comportement de ce jeune garçon. Alors que le patient ne s’exprimait jamais face au pédopsychiatre, il est entré rapidement en contact avec Jingle et s’est exprimé pour la première fois. En France, à Bordeaux, en 1976, Ange Condoret (vétérinaire) s’est intéressée aux travaux de Levinson et a créé la méthode IAMP (intervention animale modulée précoce) pour les enfants dont la communication verbale est impossible. Les animaux les plus utilisés en médiation animale sont les chiens et les chats. Cependant, il est possible d’avoir recours à d’autres espèces : chevaux, lapins, ou les rongeurs comme les rats domestiques, les chinchillas, les cochons d’Inde, les hamsters et les souris qui font partie des NAC (nouveaux animaux de compagnie)(5). Le choix de l’espèce animale est guidé par les caractéristiques du malade (pathologie, symptômes, âge, etc.) et les effets recherchés. Désormais, la pratique de la médiation animale est largement répandue dans les pays outre-Atlantique comme le Canada, qui propose des formations certifiées et se dirige vers un diplôme de thérapeute. En France, la médiation animale constitue un sujet d’actualité. En effet, « c’est une activité en plein essor : 70 % des actions sont en place depuis moins de trois ans(6) ». Pour pratiquer la médiation animale, aucun diplôme n’est nécessaire. Une formation validant un certificat de compétences d’intervenant dans cette spécialité est exigée au professionnel, ainsi qu’une preuve de vaccination de l’animal.
De nombreux écrits mettent en évidence les bienfaits thérapeutiques apportés par la médiation animale.
Les recherches révèlent le fait que l’animal diminue de nombreux facteurs nuisant à la santé, comme l’anxiété et la douleur. Il est apparu que la diminution de la douleur, de la tension artérielle, de la fréquence cardiaque et du niveau de stress, ainsi que l’augmentation du bien-être émotionnel et des interactions sociales sont des avantages du lien homme/animal(7), (8), (9).
Lorsqu’un patient est hospitalisé, l’infirmier se doit de lui procurer la meilleure qualité de soins et de conditions d’hospitalisation possibles, et doit veiller à son bien-être. Comme l’expliquent plusieurs auteurs, l’hospitalisation constitue un événement de vie stressant pour le patient et ses proches, qui provoque une perturbation soudaine des routines quotidiennes fondamentales au bien-être(10), (11). De ce fait, la distraction que procure l’animal permet de détourner l’attention des patients des facteurs de stress immédiats, provoquant ainsi une diminution de l’anxiété(12), (13). Une recherche expérimentale menée auprès d’enfants hospitalisés a montré une baisse significative de leur anxiété, ainsi qu’un niveau élevé de satisfaction des parents en regard du programme de médiation animale mis en place avec un chien dressé et son maître(10). Une étude qualitative, menée au Brésil par des infirmières à l’aide d’observations participatives et d’entretiens, pour comprendre la perception des professionnels soignants et tuteurs légaux des enfants et adolescents atteints de cancer, concerne la médiation animale avec un chien. Cette recherche conclut que la médiation animale peut devenir une pratique efficace pour promouvoir la santé des enfants et des adolescents atteints de cancer(11).
Afin de limiter le stress dû à l’hospitalisation et favoriser un environnement plus sécurisant, introduire un animal peut être bénéfique, puisqu’en plus de procurer un sentiment de bien-être, l’animal apporte une présence réconfortante qu’un soignant ou un proche ne pourra pas forcément incarner. En France, une enquête en service de soins palliatifs, menée par questionnaires auprès des patients et de leurs familles, relative à la présence d’un chat résident permanent de l’unité, a « apporté distraction, détente et réconfort pour plus de la moitié des personnes interrogées, et dans une moindre mesure, diminution de l’anxiété. La satisfaction globale a été majeure : 84,4 % des personnes ont estimé la présence de la chatte très satisfaisante et 15,6 % satisfaisante(14) ». Lors d’une autre étude(15), un patient a ressenti une réduction de sa douleur en 15 minutes. Les auteurs expliquent que l’effet est comparable à l’utilisation d’acétaminophène oral avec et sans codéine : « Un des chercheurs de cette même étude explique que l’impact sur la réduction de la douleur peut s’expliquer par la compréhension actuelle du rôle des animaux dans la modulation d’une réponse psycho-neuroendocrinienne. Dans ce contexte, les émotions favorisent des réponses neurologiques et immunitaires à médiation biochimique à des stimuli émotionnels. Autrement dit, l’exposition à un animal de compagnie ou autre animal sympathique induit la libération d’endorphines, qui entraînent une sensation de bien-être, et de lymphocytes, qui augmentent la réponse immunitaire(15). »Par ailleurs, à travers l’analyse de dix programmes de thérapie assistée par l’animal(16), des chercheurs ont tenté de savoir quels étaient les effets de la médiation animale. L’analyse montre que sur dix programmes, huit font ressortir que l’animal permet au sujet humain de détourner son attention d’un stimulus générateur d’angoisse auquel il doit faire face et enfin, de diminuer l’anxiété. De plus, cinq autres programmes prouvent que l’animal contribue de manière indirecte à une meilleure santé mentale et physique grâce aux contacts interpersonnels et soulignent l’importance du contact tactile avec l’animal comme facteur permettant de diminuer l’anxiété. Il a été prouvé scientifiquement que « caresser un animal peut faire baisser l’anxiété en quelques minutes(17) ».
Ces données probantes, souvent adossées à des recherches menées en secteur pédiatrique, devraient être sérieusement prises en compte dans une perspective de transférabilité en secteur d’hospitalisation adulte, notamment en court séjour. Cette pratique pourrait constituer un « outil » complémentaire, aidant l’infirmière dans sa fonction première. En effet, une des missions essentielles de l’infirmière est d’apporter de l’apaisement au malade hospitalisé, angoissé par sa situation, ainsi que de soulager sa douleur. Lors de l’exploration empirique réalisée pour cette étude, ce bienfait a été formellement attesté par les infirmières interrogées. Toutes trois affirment que dans de nombreux cas, le contact de l’animal a pu calmer le patient et éviter le recours aux anxiolytiques. Elles confirment aussi que l’animal apporte détente et réconfort aux personnes prises en soins : « Les petits chats mettent du réconfort partout. » L’effet anxiolytique semble notamment lié à celui « distracteur » et apaisant de l’animal : « Cela leur permet de penser à autre chose, explique l’un d’elles. Je crois qu’ils vivent un moment agréable et ce bien-être diminue leur anxiété. » Par ailleurs, bien que généralement, la douleur ne soit pas évaluée en amont et en aval des séances de médiation animale, les soignantes interviewées constatent que l’animal, dans la mesure où il fait diversion, concourt à apaiser les patients. L’une des infirmières explique : « Le fait de caresser l’animal par exemple les soulage, et je pense que cela équivaut à prendre un Doliprane. » Une autre souligne qu’« on ne donne pas autant d’antalgiques sur l’unité où il y a le chien ». La médiation animale n’a pas, à proprement parler, un effet antalgique pharmacologique, mais elle est bénéfique dans la mesure où elle détourne l’attention des patients. L’une des infirmières raconte : « S’ils souffrent et qu’ils assistent à la séance de médiation animale ou qu’ils sont avec le chat, le fait de penser à autre chose leur permet de ne pas rester focalisés sur la douleur. »
C’est pourquoi l’animal pourrait être intégré en secteur hospitalier, en court séjour, comme une « armoire à pharmacie », dans une optique d’alternative ou en complémentarité des antalgiques usuels. L’infirmière, du fait de ses capacités d’analyse et de son sens des responsabilités, pourrait ainsi, quand elle le jugerait opportun, faire appel à la médiation animale et limiter la prise de certains médicaments. La médiation animale fournirait un complément d’aide et une petite touche de douceur dans l’univers parfois austère de l’hôpital. En pratique, l’idéal serait de mettre en place une recherche en court séjour, dans le cadre, par exemple, d’un programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP). L’étude pourrait être expérimentale en portant notamment sur l’évaluation de la douleur et de l’anxiété, avant et après une séance de médiation animale. Cette dynamique permettrait de contribuer au développement des sciences infirmières en fournissant des données probantes directement issues de la pratique. La mise en évidence des bénéfices obtenus au quotidien dans ces services, en France, pourrait convaincre certains personnels soignants encore réticents à son recours.
D’un point de vue culturel d’abord, l’hôpital constitue un endroit clos, hermétique, et le personnel soignant pourrait avoir des difficultés à imaginer un animal dans un lieu de soins de type court séjour. S’ajoute à cela la résistance au changement, institutionnelle et inhérente à l’être humain, qui rend compliqué tout projet novateur. Une des réticences généralement évoquées par les soignants concerne le respect des mesures d’hygiène et le risque potentiel que l’animal constitue un porteur pathogène.
Une étude menée en 2016 au Brésil prouve que cette objection est injustifiée car : « Les taux d’infections hospitalières entre les unités de santé visitées par des chiens et celles non visitées par des chiens sont similaires(11). » Un autre frein peut être lié à l’inquiétude des patients et de leurs proches par peur des maladies transmises par les animaux, des risques allergiques ou de morsure. Or, nous avons vu que la médiation animale a fait ses preuves en pédiatrie et en gériatrie.
Dans les services de court séjour, le but essentiel est de permettre au malade de récupérer sa santé le plus rapidement possible, afin de rentrer chez lui guéri, dans les meilleurs délais. Il est donc indispensable de tout mettre en œuvre pour l’accompagner efficacement. Sa détente et son bien-être ont leur importance, autant que les soins prodigués. L’aide complémentaire, non médicamenteuse, apportée par la médiation animale est à prendre sérieusement en considération puisque tous les résultats scientifiques prouvent son efficacité. Si l’animal n’engendre pas de risques accrus, mais au contraire des bénéfices, pourquoi ne pas en profiter ? « L’animal est un bon maître, non seulement pour le corps, mais aussi pour l’esprit et pour le cœur(18). »
Emma Viala, infirmière diplômée d’État 2024, exerçant en médecine.
Laurent Soyer, infirmier, M. Sc (ingénierie de la santé, recherche en sciences de l’éducation), cadre de santé, formateur, directeur de mémoire/travail de fin d’études infirmier (MFE/TFE).
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Pour réaliser ce travail, une recherche documentaire professionnelle a été réalisée principalement sur les interfaces : « Clinical Key Student Nursing » et sur « Cairn info ». Un corpus de 1 962 documents a été établi dont 17 articles ont été retenus. Ensuite, une recherche documentaire scientifique a été entreprise afin de rechercher des données probantes en lien avec les bienfaits de la médiation animale. Différentes bases de données ont été investiguées : Pubmed, Cochrane Library, Cairn Info, et Web of Science. Un corpus de 4 449 documents a été établi, duquel 28 articles ont été retenus. Les auteurs des articles scientifiques sélectionnés, dont une grande partie en langue anglaise, appartiennent à différents champs disciplinaires : médecine, sciences infirmières, biologie médicale, science de l’éducation, éthologie, psychologie, anthropologie, médecine vétérinaire et psychiatrie. Les résultats obtenus ont permis de mettre en lumière un cadre de référence théorique, fondement de l’exploration empirique menée grâce à des entretiens semi-directifs auprès de trois infirmières diplômées d’État, dont deux jeunes diplômées (moins de trois ans). Le critère d’inclusion était la réalisation régulière de séances de médiation animale au sein de leur service. Sur les trois infirmières interviewées, deux ont participé à ces activités et une d’entre elles les a incluses au sein de sa pratique soignante. Les établissements choisis pour mener les investigations sont : une maison d’accueil spécialisée (MAS) où des séances de médiation animale sont organisées chaque semaine et où vivent deux chats, un Ehpad où sont réalisées deux séances par mois de médiation animale, et un Ehpad où vit un chien, et où deux résidents possèdent leur propre chien.