Alors que les infirmières libérales dénoncent depuis de nombreuses années une dégradation de leurs conditions de travail, jusqu’à faire le choix de quitter le libéral, et même le métier, d’autres, au contraire, ont fait le pari inverse. Témoignages.
Formateur, électricien, ingénieur, technicienne de laboratoire ou encore cadre : ils ont décidé d’arrêter leur métier initial et de reprendre leurs études en intégrant un institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) pour devenir, dans un premier temps, infirmier, puis d’exercer en libéral. Les raisons les ayant conduits à effectuer ce choix sont variées, et souvent propres à chacun. Pour autant, des points communs se dégagent : recherche d’une stabilité, quête de sens et d’utilité avec l’idée de prendre soin des autres. Quant au libéral, il répond à plusieurs autres critères, tels que le rejet de la hiérarchie hospitalière, la volonté d’être autonome, indépendant, de pouvoir choisir sa patientèle, son mode d’exercice ainsi que ses horaires. Ils sont huit à avoir accepté de nous raconter leur histoire. Et même si, pour certains, la pratique libérale n’est pas de tout repos face aux durcissements des conditions de travail, aucun d’entre eux ne regrette son choix de reconversion.
Pierre Manchon, Idel en Provence-Alpes-Côte d’Azur
« J’ai passé mon baccalauréat en génie électrotechnique en 1987 et j’ai travaillé pendant plusieurs années comme électricien industriel en trois-huit. C’était fatigant, lassant et je n’avais pas de perspective d’évolution. À la naissance de ma fille, j’ai eu envie de changement. À 33 ans, j’ai décidé de passer un BTS en mécanique et automatismes industriels. Mais tout a basculé. Je me suis séparé de ma compagne et j’ai eu un accident de moto entraînant de nombreuses interventions, trois semaines d’hospitalisation et trois mois en centre de rééducation. Je suis toutefois parvenu à valider mon BTS. Mais lors des différentes opérations chirurgicales, le nerf d’une de mes mains a été sectionné, me rendant à l’époque infirme. Difficile alors de postuler dans mon domaine. J’ai donc passé un bilan de compétences, qui m’a orienté vers la médecine mais les études étaient trop longues. Étant souvent à l’hôpital, j’ai pu observer les soignants, déjà en tension. Attiré par ce métier, j’ai décidé de passer le concours de l’Ifsi en 2007, et à l’issue de mon cursus, j’ai exercé dans des centres de rééducation et à l’hôpital. J’ai ensuite découvert - et aimé - le domicile via le service de soins infirmiers à domicile, avant de me lancer en libéral en 2017. Après avoir travaillé avec deux titulaires, j’ai eu l’opportunité d’acheter une patientèle en milieu rural. J’ai apprécié cette autonomie, la possibilité d’offrir un soutien social aux patients, surtout en milieu rural où les personnes sont souvent isolées. Mais je me suis épuisé à travailler seul. J’ai donc revendu ma patientèle et depuis avril 2024, je suis de nouveau remplaçant. Je ne regrette aucun de mes choix. Devenir infirmier a été difficile mais il faut savoir saisir les opportunités. J’ai aussi fait ce choix pour ma fille, pour qu’elle ait un exemple et qu’elle soit fière de moi. »
Xavier Caloin, Idel en Occitanie
« Après des études de sciences économiques, j’ai travaillé dans une banque puis pour une assurance de 1994 à 2000. Dans ma vie personnelle, j’étais entouré d’infirmiers puisque mon frère, ma belle-sœur et mon meilleur ami exerçaient ce métier. Mon ami a toujours pensé que je ferais un bon infirmier et avec la complicité de ma compagne de l’époque, il m’a inscrit au concours de l’Ifsi de la Croix-Rouge de Toulon et m’a amené aux épreuves écrites. Je les ai réussies et j’ai su me défendre à l’oral, si bien que j’ai été pris. Avant le début de la formation, je me suis interrogé sur mon avenir professionnel et mon éventuelle démission du secteur de l’assurance. J’ai pris conscience qu’intellectuellement, j’aimais le milieu de la finance mais je n’y voyais pas de finalité. J’ai donc intégré l’Ifsi et une fois diplômé, j’ai travaillé en psychiatrie pendant trois ans. J’ai fait le choix d’exercer en libéral avec mon meilleur ami. Ce changement, je l’ai vécu comme une renaissance. Je prends plaisir à ce que je fais, je me sens utile. Je ne regrette pas d’avoir quitté l’univers de l’économie mais pour autant, je suis toujours avec intérêt l’actualité du secteur. Je suis infirmier depuis 20 ans, je me sens infirmier mais un peu étranger car je n’ai pas toujours la même manière de voir les choses que les autres. J’adopte une vision économique et juridique de l’exercice de mon métier, ce qui n’est pas toujours partagé. »
Delphine Perrichon, Idel en Auvergne-Rhône-Alpes
« Devenir infirmière faisait partie de mes projets lorsque j’étais au lycée mais on m’avait dit qu’il fallait détenir un baccalauréat scientifique. Comme j’étais plutôt littéraire, je me suis orientée vers des études artistiques et d’arts plastiques avant d’intégrer une école de décorateur, peintre et aérographe. Puis je me suis lancée dans la réalisation de peintures personnalisées sur moto. Ce métier me plaisait jusqu’à ce que mon médecin m’alerte sur les risques pour ma santé et ma fertilité en travaillant avec des peintures polyuréthanes. Il était hors de question pour moi de ne pas devenir maman. De plus, ce milieu est difficile pour une femme. J’œuvrais dans l’ombre, ce qui était frustrant. J’ai pensé repasser un baccalauréat scientifique pour devenir infirmière, jusqu’à ce que l’Ifsi m’informe que ce n’était pas nécessaire. Dès le départ, j’avais été mal orientée… J’ai intégré l’Ifsi de la Croix-Rouge de Lyon à 29 ans. Une fois diplômée, j’ai exercé en maison de retraite, l’hôpital ne me correspondant pas. Mais progressivement, l’offre de soins s’est dégradée. Par réseau, j’ai pu effectuer une tournée en libéral et j’ai su que c’était fait pour moi. Installée à Lyon, je suis associée depuis 11 ans avec la même collègue. Je ne ferais pas machine arrière. L’exercice me plaît toujours même si les conditions sont compliquées. »
Delphine Sevestre, Idel en Bourgogne-Franche-Comté
« J’ai obtenu un baccalauréat scientifique car je voulais m’orienter vers la médecine. Pour des raisons personnelles, j’ai suivi des études de philosophie. J’ai ensuite travaillé dans plusieurs domaines, en tant que formatrice en insertion professionnelle auprès d’un public en rupture notamment. J’aimais cet univers mais à l’époque, les organismes fonctionnaient sur la base de subventions, et je ne parvenais pas à obtenir de CDI. À 33 ans, j’ai ressenti le besoin de me projeter sur le long terme. Je suis donc retournée à mes premières amours et j’ai intégré, en 2004, un Ifsi à Lons-le-Saunier. Le métier d’infirmier étant en tension, j’ai pu percevoir le chômage pendant la durée de ma formation. Mes études m’ont confortée dans mon choix. J’ai ensuite exercé en soins de suite et réadaptation, en hôpital privé. En 2015, j’ai demandé une disponibilité, car je ne voulais plus recevoir d’ordre d’une hiérarchie motivée par une logique comptable. Cette année-là, j’ai pu assurer des remplacements dans deux cabinets libéraux, dont l’un m’a proposé une collaboration en 2016. Je suis ensuite devenue associée. J’apprécie d’exercer selon ma propre organisation. Il est vrai que le métier subit de plus en plus de contraintes, pour autant, depuis 17 ans, je n’ai aucun regret concernant ma reconversion. »
Hubert Pilloy, Idel dans le Grand Est
« Après mon baccalauréat, j’ai tenté une première année de médecine, qui n’a pas été concluante. J’ai poursuivi avec une année de sciences, avant de finalement m’orienter vers un IUT Génie civil et une année de spécialisation en techniques routières. J’ai ensuite travaillé pendant un an et demi sur le chantier de l’A89 vers Tulles. En parallèle, je me suis marié mais j’étais toujours en déplacement. Je voulais changer ce mode de vie, et avec mon épouse, sage-femme, nous sommes partis vivre à La Réunion. J’ai trouvé du travail dans une entreprise de construction routière. À cette période, en 2003, c’était la canicule en métropole. Très vite, j’ai vécu une crise de sens, regrettant de ne pas m’être davantage accroché pour faire médecine afin d’être utile pour la population. Ma femme m’a alors encouragé à devenir infirmier. Après réflexion et face au stress que me procurait mon métier, nous sommes rentrés pour que je passe le concours de l’Ifsi de Bar-le-Duc. À l’issue de ma formation, j’ai exercé en salle de réveil dans une clinique. Rapidement, j’ai voulu évoluer et après quelques hésitations, je me suis tourné vers le libéral, attiré par le côté indépendant de la gestion de l’activité. Je me suis installé en 2010 dans l’une des premières maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) de la Meuse. Je suis parti de rien pour construire ma patientèle, tout en étant en concurrence avec un autre cabinet du village. C’est gratifiant mais les 18 premiers mois ont vraiment été difficiles et je ne le referais pas. Maintenant, nous sommes deux associés. Je suis content de travailler en secteur rural, de bien connaître mes patients, d’être en équipe au sein d’une MSP. C’est d’ailleurs pour cette raison que je reste en libéral. Car le métier manque de reconnaissance et pas uniquement financière. Il me reste encore vingt ans à exercer et avec le recul, je ne sais pas si je referais ce choix du libéral. »
Marion Martin, Idel en Occitanie
« À la suite d’un DUT mesures physiques, j’ai travaillé pendant 15 ans en tant que cadre dans l’aéronautique à Toulouse. J’ai progressivement gagné en responsabilités jusqu’à manager une équipe de dix personnes. En parallèle, en 2015, les médecins ont diagnostiqué un cancer du poumon en phase terminale à ma belle-mère, qui a refusé les traitements, préférant rester chez elle jusqu’à la fin de sa vie. Nous nous sommes entourés de médecins et d’infirmières libérales, qui ont permis de respecter son choix. Avec mon mari, nous avons pu être présents pour elle pendant ces six mois. À la suite de son décès, lorsque nous sommes retournés à notre “vie d’avant”, j’ai tout remis en cause à la suite d’un commentaire de mon client pour qui “l’humain n’était pas son problème”. Je ne me sentais plus à ma place dans ce milieu qui dénigrait les autres. Fin septembre 2015, je me suis mise en arrêt et mon mari m’a suggéré de passer le concours pour être infirmière. À cette époque, la vue du sang me faisait tourner de l’œil. Mais j’ai quand même décidé de le tenter et j’ai été reçue. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai débuté à l’hôpital de Toulouse dans une équipe polyvalente, mais j’avais déjà l’objectif d’exercer en libéral. Je souhaite intervenir au domicile des patients pour leur offrir des soins adaptés à leur environnement et les prendre en charge de manière holistique. J’ai vu une annonce pour un remplacement pendant l’été 2021, et je me suis lancée. Je travaille toujours pour ces infirmières et pour un autre cabinet à mi-temps en tant que collaboratrice, ce qui me permet d’échanger sur les pratiques, l’organisation, etc. C’est un métier pour lequel je me lève avec entrain et plaisir. J’aime la relation humaine, la technique, être le maillon entre l’hôpital et les patients. Notre accompagnement va au-delà des soins. »
Rachel Stock, Idel en Bretagne
« Lorsque j’étais au collège, j’ai voulu m’orienter en classe de seconde spécialisée en sciences médico-sociales (SMS), mais en raison de mes bons résultats scolaires, on m’a conseillé de suivre la filière générale. En première scientifique, ce fut la dégringolade. J’ai alors perdu confiance en moi. J’aurais aimé être kinésithérapeute ou médecin, mais je n’ai même pas tenté les concours. Je me suis finalement orientée vers une faculté de biologie pour devenir technicienne de laboratoire en microbiologie alimentaire. Dans un premier temps, le métier m’a plu mais après quelques années, j’ai commencé à m’ennuyer. Je ne voyais pas de perspective d’évolution. J’ai donc suivi un bilan de compétences, qui m’a fait réaliser mon besoin d’avoir davantage de contacts et d’aider les autres. J’ai intégré l’Ifsi en 2009, à 28 ans. Après ma formation, je me suis orientée vers une clinique psychiatrique car je savais déjà que l’exercice à l’hôpital public ne me conviendrait pas. Puis, en 2017, j’ai commencé à me lasser, ne trouvant plus d’utilité à mon exercice. Une opportunité s’est alors présentée à moi : un cabinet cherchait une remplaçante. Je les ai appelés et j’ai été prise. Je suis toujours remplaçante actuellement car je n’ai pas envie de m’installer. Ce fonctionnement me convient, notamment parce que je n’ai pas de charge mentale administrative. Mon sentiment d’utilité est rempli et j’apprécie l’autonomie de l’exercice. C’est le meilleur choix que j’ai pu faire. »
Nicolas Mignard, Idel en Occitanie
« Après mon baccalauréat scientifique, j’ai tenté deux fois le concours pour devenir pharmacien, sans succès. Je me suis donc orienté vers un BTS viticulture œnologie, mes parents étant exploitants agricoles. Après l’obtention de mon BTS, j’ai travaillé de 2006 à 2012 dans des exploitations viticoles, chez un négociant et dans une cave coopérative à Béziers d’où j’ai été licencié pendant la crise du secteur. J’ai alors pensé à me reconvertir car je souhaitais davantage de stabilité, surtout depuis la naissance de ma fille. J’ai cherché une formation répondant à mes critères : pas trop longue, en lien avec les sciences, prise en charge par Pôle emploi, qui permette de trouver rapidement du travail, et grâce à laquelle je pourrai tisser des liens humains. Il m’est alors paru évident que je devais devenir infirmier, un métier qui ne m’était pas étranger car ma belle-sœur l’exerce. Après mes études à Béziers, j’ai pratiqué dès 2015 en clinique, et après deux ans, j’ai opté pour le libéral ; une façon d’être plus proche de mon domicile. Je pensais aussi que ma vie professionnelle serait plus agréable à gérer sans avoir de comptes à rendre hormis aux patients. J’ai répondu à une annonce pour un remplacement et en 2020, j’ai racheté la patientèle du titulaire. Aujourd’hui, nous sommes quatre associés, nous échangeons quotidiennement et nous sommes en lien avec les médecins du village. En aucun cas, je ne regrette mon choix. »