LES NAUSÉES ET VOMISSEMENTS INDUITS PAR LES TRAITEMENTS ANTICANCÉREUX
DOSSIER
INTRODUCTION
Maïtena Teknetzian* Pr Jérôme Desramé**
*docteure en pharmacie, enseignante en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi)
**oncologue digestif à l’hôpital Jean Mermoz (Lyon)
Avec l’alopécie, les nausées et vomissements font partie des effets indésirables les plus redoutés des patients traités par chimiothérapie. Ils restent pourtant insuffisamment pris en charge alors qu’une prévention correcte peut améliorer leur qualité de vie et contribuer au succès du traitement anticancéreux. Il faut, pour cela, bien connaître la pathogenèse et assurer une surveillance adaptée.
On distingue quatre types de nausées et vomissements induits par les traitements anticancéreux (NVITAC) :
- anticipés, ils sont liés à l’anxiété et surviennent avant même l’administration de la chimiothérapie, typiquement le matin de la cure de chimiothérapie, sur le trajet pour se rendre à l’hôpital jusqu’à l’arrivée dans le service ;
- aigus, se produisant dans les 24 premières heures après l’administration de la chimiothérapie, c’est-à-dire le premier jour (J1) ;
- retardés, survenant au-delà des 24 premières heures, dans les jours suivant l’administration de la chimiothérapie, avec un pic de fréquence entre le deuxième et le troisième jour (J2 et J3) ;
- réfractaires, survenant en dépit d’une prophylaxie antiémétique bien menée.
La fréquence des NVITAC dépend du potentiel émétisant des anticancéreux et de facteurs individuels.
On classe les molécules de chimiothérapie selon quatre niveaux de risque émétisant :
- hautement émétisant : il s’agit de molécules responsables de vomissement dans plus de 90 % des cas (sans couverture antiémétique), comme le cisplatine ou le méthotrexate à fortes doses par exemple ;
- modérément émétisant : il s’agit de molécules entraînant des vomissements dans 30 à 90 % des cas, à l’instar de l’irinotécan, de la vinorelbine administrée par voie orale, de l’idarubicine orale ou encore du cyclophosphamide oral ;
- faiblement émétisant : avec un risque émétisant compris entre 10 et 30 % comme les taxanes, le 5-fluorouracile (5FU), la capécitabine, la gemcitabine, etc. ;
- très faiblement émétisant : ce sont des molécules dont le potentiel émétisant est inférieur à 10 %, telles la vinblastine, la vincristine, la vinorelbine administrée par voie intraveineuse et la bléomycine.
La fréquence des NVITAC est plus élevée chez les patients âgés de moins de 55/60 ans et de sexe féminin. Les antécédents de nausées et vomissements gravidiques, de mal de transports, de NVITAC anticipés ou survenus lors d’un précédent cycle de chimiothérapie, l’anxiété, un temps de sommeil inférieur à 7 heures la veille de la chimiothérapie augmentent le risque de survenue de NVITAC.
Les nausées et vomissements peuvent s’accompagner de troubles olfactifs et de dysgueusies, également liés au traitement anticancéreux. Souvent méconnus par l’entourage, ces troubles renforcent les nausées.
Les NVITAC peuvent provoquer une appréhension des repas et constituent une réelle entrave à une alimentation orale correcte. Ils entraînent des répercussions sur la vie professionnelle et sociale du patient.
Leurs complications (carences alimentaires, anorexie, dénutrition, pertes hydroélectrolytiques, insuffisance rénale aiguë fonctionnelle) contribuent à altérer l’état général du patient et sa qualité de vie. Elles peuvent aggraver certains autres effets indésirables des cytotoxiques : une hypokaliémie peut potentialiser la toxicité cardiaque des anthracyclines et une dénutrition peut aggraver une immunodépression liée à une leucopénie, elle-même chimio-induite par exemple. Une réévaluation du traitement anticancéreux peut être rendue nécessaire et son succès peut s’en trouver compromis car, selon l’importance des NVITAC, une réduction de la posologie des anticancéreux, un espacement des cycles, voire un arrêt du traitement peuvent s’imposer sur avis médical.
Le vomissement est un processus complexe impliquant différentes structures cérébrales dont le centre du vomissement qui peut recevoir des stimuli centraux (anxiété, émotions, odeurs déplaisantes, voir encadré ci-contre, Pathogenèse des NVITAC(1)) et périphériques, ainsi que des stimulations provenant de la zone chémoréceptrice (ou CTZ pour Chemoreceptor Trigger Zone). En effet, en périphérie, sous l’effet toxique des anticancéreux, les cellules entérochromaffines du tube digestif libèrent différents neuromédiateurs dont principalement de la sérotonine (la 5-hydroxytryptamine ou 5HT) et de la substance P (une neurokinine de type 1 ou NK1) et dans une moindre mesure, de la dopamine(2). Une partie de ces neuromédiateurs est déversée dans le sang puis est véhiculée jusqu’à la CTZ(3), qui stimule le centre du vomissement(4). L’autre partie stimule le nerf vague puis la CTZ et le centre du vomissement(5).
À la suite de ces différents stimuli, le centre du vomissement émet des efférences(6) qui provoquent une contraction du diaphragme et du pylore (sphincter entre l’estomac et le duodénum), un relâchement du cardia (sphincter inférieur de l’œsophage), se traduisant par une remontée du bol alimentaire et son évacuation par la bouche.
La sérotonine n’est libérée que transitoirement par les cellules entérochromaffines (pendant 24 à 36 heures) et est donc principalement impliquée dans la survenue de NVITAC aigus. En revanche, la libération de substance P est davantage prolongée (jusqu’à 96 heures). La substance P est donc responsable de NVITAC aigus et également de NVITAC retardés.
Contrairement à d’autres types de nausées et vomissements - comme ceux liés à la grossesse ou au mal des transports -, l’histamine et l’acétylcholine ne semblent pas jouer de rôle dans la genèse des NVITAC. C’est pourquoi ni les antihistaminiques ni les anticholinergiques ne sont utilisés dans les protocoles antiémétiques.