L'infirmière n° 053 du 01/02/2025

 

DOSSIER

MODE D’EMPLOI

L’objectif visé par le protocole antiémétique prophylactique est une réponse complète : c’est-à-dire parvenir à des nausées de grade 1 et à l’absence de vomissement.

Stratégie thérapeutique

Les recommandations

La prise en charge s’appuie sur les recommandations du référentiel de l’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos) de 2017 et celles du consensus de la Société européenne d’oncologie médicale (Esmo) et de l’Association multinationale des soins de support du cancer (MASCC) de décembre 2023.

Une prophylaxie efficace dès le 1er cycle de chimiothérapie et la prévention des NVITAC anticipés sont primordiales pour éviter les NVITAC lors des cycles suivants.

La prévention des NVITAC anticipés repose sur l’information du patient en amont de la cure de chimiothérapie via une consultation d’annonce et la prescription d’une benzodiazépine (comme l’alprazolam).

La prévention des NVITAC aigus et retardés fait appel à un protocole antiémétique prophylactique. La prophylaxie mise en place dès le premier cycle de chimiothérapie est dite primaire. Si elle est efficace, elle sera à nouveau appliquée aux cycles suivants. En revanche, si la prophylaxie primaire n’est pas efficace (alors qu’elle a été correctement observée), elle sera adaptée pour la cure de chimiothérapie suivante : on parle de prophylaxie secondaire. Le traitement de secours est un traitement ajouté en cas d’échec du traitement prophylactique pour corriger les NVITAC réfractaires.

La prophylaxie primaire

Détermination du niveau de risque émétisant

Le protocole antiémétique est défini en tenant compte du potentiel émétisant de la chimiothérapie. Lorsqu’une chimiothérapie associe plusieurs cytotoxiques, le niveau de risque émétisant est déterminé par la molécule la plus émétisante. Par exemple, le niveau de risque d’un protocole de chimiothérapie Folfiri, associant de l’irinotécan (molécule modérément émétisante) et du 5FU (faiblement émétisant) sera considéré comme modérément émétisant. On tient compte aussi de la présence de facteurs de risque individuels, qui peut amener les médecins à « surclasser un risque émétisant ». Ainsi le protocole Folfiri, administré à une patiente de 50 ans, très anxieuse, ayant beaucoup souffert, lors de ses grossesses, de nausées et vomissements gravidiques, pourra être considéré, chez cette patiente (du fait de son sexe, de son âge inférieur à 55 ans, de son anxiété et de ses antécédents de nausées gravidiques), comme hautement émétisant.

Médicaments utilisables

En fonction du risque émétisant, les protocoles antiémétiques peuvent faire appel :

- aux antagonistes sérotoninergiques 5-HT3 (ondansétron, granisétron) ;

- aux antagonistes NK1 (aprépitant) ;

- à l’association fixe d’un antagoniste NK1 et d’un antagoniste 5-HT3 (nétupitant + palonosétron) dite NEPA, surtout recommandée en cas de chimiothérapie par cisplatine ;

- aux antagonistes dopaminergiques (métoclopramide, métopimazine, alizapride). La dompéridone (Motilium) n’est pas recommandée en première intention du fait d’un manque de données sur son utilisation en cancérologie ;

- aux corticoïdes ;

- à l’olanzapine, un antipsychotique aux propriétés antagonistes dopaminergiques et antagonistes sérotoninergiques utilisé hors autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication, mais recommandé par le consensus Esmo/Mascc en cas de chimiothérapie hautement émétisante.

Prophylaxie des NVITAC aigus

La prophylaxie des NVITAC aigus concerne le jour de la cure de chimiothérapie (J1). Si la chimiothérapie est administrée sur plusieurs jours, chaque jour de chimiothérapie doit être considéré comme un J1 et amène à prévenir des NVITAC aigus.

Prophylaxie des NVITAC retardés

La prophylaxie des NVITAC retardés repose, si nécessaire en fonction du risque émétisant, sur l’utilisation d’antiémétiques à J2, J3, voire à J4.

Si l’aprépitant a été utilisé à J1 (aux doses de 125 mg chez l’adulte) pour la prévention des NVITAC aigus liés aux chimiothérapies hautement et moyennement émétisantes, il sera utilisé aux doses de 80 mg (chez l’adulte) à J2 et J3 pour prévenir les NVITAC retardés. En revanche, si l’antagoniste NK1 utilisé à J1 était le nétupitant (dans l’association fixe Nepa), il n’est pas réadministré à J2 et J3 car sa demi-vie est longue (92 heures) et il continue donc d’agir sur les NVITAC retardés.

Les sétrons ne sont pas recommandés en première intention dans les NVITAC retardés, car ils sont surtout efficaces sur les nausées et vomissements aigus (la sérotonine étant plutôt impliquée dans les NVITAC aigus).

La prophylaxie secondaire

En prophylaxie secondaire (si des NVITAC sont survenus au cours du cycle précédent, en dépit de la prophylaxie primaire), la prophylaxie primaire est intensifiée par l’ajout d’un nouvel agent antiémétique.

Le traitement de secours

En cas de NVITAC réfractaires, un traitement de secours est proposé. Il consiste à augmenter les doses de sétrons ou à utiliser un antiémétique qui n’était pas dans le protocole initial : les antagonistes dopaminergiques et l’olanzapine sont notamment recommandés.

Les différents médicaments

Antagonistes 5T3

Utilisation

Les antagonistes sérotoninergiques, encore appelés « sétrons » en raison du suffixe de leur dénomination commune internationale (DCI), sont efficaces surtout sur les NVITAC aigus, et sont recommandés avec les chimiothérapies hautement, modérément ou faiblement émétisantes.

Chez l’enfant, le granisétron injectable a une AMM à partir de 2 ans ; l’ondansétron injectable, orodispersible et en sirop, est indiqué à partir de 6 mois, l’ondansétron en comprimé à partir de 6 ans. Les sétrons sont contre-indiqués pendant la grossesse (au premier trimestre pour l’ondansétron) et pendant l’allaitement.

Principaux effets indésirables

Les sétrons peuvent le plus fréquemment être responsables de manifestation de vasodilatation (céphalées, bouffées de chaleur, hypotension orthostatique) et d’une constipation parfois sévère. En cas de survenue d’effets secondaires, notamment de céphalées, on peut tenter d’utiliser un autre sétron (par exemple granisétron à la place de l’ondansétron). Plus rarement, un syndrome extrapyramidal (dystonies, dyskinésies, etc.) peut s’observer. Les sétrons sont susceptibles d’allonger l’espace QT à l’ECG, notamment chez des sujets présentant des troubles hydroélectrolytiques, raison pour laquelle la correction d’une éventuelle hypokaliémie ou hypomagnésémie est nécessaire avant l’instauration du traitement. L’Afsos recommande également la réalisation d’un ECG avant le début du traitement.

Antagonistes NK1

Utilisation

Les antagonistes de la substance P sont efficaces sur les NVITAC aigus et retardés. Ils sont recommandés avec les chimiothérapies hautement et modérément émétisantes.

L’aprépitant peut être utilisé à partir de l’âge de 6 mois, tandis que l’association NEPA n’a pas d’AMM en pédiatrie. Les antagonistes NK1 sont contre-indiqués pendant la grossesse et l’allaitement.

Principaux effets indésirables

Les antagonistes NK1 peuvent être fréquemment responsables de constipation, fatigue et céphalées.

Particularités pharmacocinétiques

Les antagonistes NK1 ont un profil inducteur et inhibiteur enzymatique, qui les implique dans de nombreuses interactions médicamenteuses car ils modifient le métabolisme de certains médicaments associés. Ils sont notamment susceptibles de diminuer l’efficacité des contraceptifs hormonaux (imposant d’utiliser, en plus, une contraception mécanique de type préservatifs par exemple, avec l’aprépitant).

Inversement, leur association aux corticoïdes dans les protocoles antiémétiques nécessite d’abaisser la posologie de ces derniers. Ainsi, lorsqu’elle est utilisée en association avec un antagoniste NK1, la dexaméthasone sera utilisée à 12 mg (au lieu de 20 mg) à J1, et à 8 mg (au lieu de 12 mg) à J2 et J3.

En outre, l’utilisation d’aprépitant n’est pas recommandée en cas de chimiothérapie par ifosfamide (risque d’encéphalopathie liée à l’inhibition du métabolisme de l’ifosfamide par l’aprépitant).

Antagonistes dopaminergiques

Utilisation

Le métoclopramide (Primpéran, Prokinyl), la métopimazine (Vogalène), l’alizapride (Plitican) sont utilisés en prophylaxie antiémétique primaire lors de chimiothérapies faiblement émétisantes, et en prophylaxie secondaire ou encore, en traitement de secours.

Du fait de ses effets neurologiques graves et du risque de méthémoglobinémie, le métoclopramide n’est utilisable chez l’enfant qu’après 1 an. L’alizapride n’a pas d’AMM en pédiatrie. La métopimazine orodispersible est indiquée à partir de 6 ans et la présentation en suppositoire chez l’enfant pesant plus de 7,5 kg, mais elles n’ont pas d’AMM spécifique dans les NVITAC (seules les formes injectables ont l’indication NVITAC).

L’alizapride et le métoclopramide sont contre-indiqués en cas d’antécédents de dyskinésie aux neuroleptiques. Le métoclopramide est en plus contre-indiqué en cas de risque d’hémorragie ou de perforation digestive, de maladie de Parkinson, d’antécédent de méthémoglobinémie.

La métopimazine, en raison de ses propriétés anticholinergiques, est contre-indiquée en cas de risque de glaucome à angle fermé et de troubles urétroprostatiques (adénome de prostate).

Principaux effets indésirables

Ces médicaments peuvent induire des troubles neurologiques (somnolence, grimaces, trismus, dyskinésies, syndrome extrapyramidal). La métopimazine peut aussi provoquer des effets atropiniques (hypotension orthostatique, sécheresse buccale et oculaire, constipation, troubles visuels, rétention urinaire).

Olanzapine

Utilisation

L’olanzapine (Zyprexa) est recommandée par les différentes sociétés savantes pour les NVITAC aigus et retardés liés aux chimiothérapies hautement émétisantes ou en traitement de secours (si elle n’a pas été utilisée en prophylaxie primaire) sur 3 jours. C’est un neuroleptique de deuxième génération, qui est utilisée hors AMM dans les NVITAC, mais dont l’efficacité a été démontrée dans cet usage. Elle est utilisée à la dose de 2,5 à 10 mg/jour. Deux essais randomisés ont démontré la non-infériorité des doses de 2,5 et 5 mg/jour par rapport à la dose de 10 mg/jour (du premier essai randomisé). Cela permet de limiter les effets secondaires de ce médicament, notamment en termes de vigilance.

Elle n’est pas autorisée en pédiatrie.

Elle est contre-indiquée en cas de risque de glaucome à angle fermé.

Principaux effets indésirables

L’olanzapine peut être responsable de somnolence (très marquée et imposant de répartir les doses en deux prises journalières ou de diminuer la posologie), de dyskinésies et d’effets atropiniques.

Surveillance des patients

Il faut éduquer les patients à surveiller régulièrement leur poids : une perte supérieure à 5 % du poids initial peut être un signe de dénutrition qui doit amener à consulter un médecin.

En cas de vomissements sévères, s’assurer que l’ionogramme du patient est contrôlé, ainsi que sa fonction rénale.

L’aprépitant, à la fois inhibiteur et inducteur enzymatique, est impliqué dans de nombreuses interactions : en particulier, veiller à ce que les patients par ailleurs traités par antivitamine K bénéficient bien d’une surveillance renforcée de l’INR.

Surveiller la tension des patients sous sétrons à la recherche d’une hypotension orthostatique et le transit de ceux traités par sétrons et/ou antagonistes NK1.

L’avis de l’expert

Pr Jérôme Desramé, oncologue digestif, hôpital Jean Mermoz (Lyon)

Quels messages les infirmiers doivent-ils diffuser pour contribuer à améliorer la prise en charge des NVITAC ?

Ces symptômes ne doivent pas être banalisés. L’important est la prévention des NVITAC car quand les symptômes sont installés, les traitements antiémétiques sont moins efficaces. Il faut donc commencer à agir en amont de la première cure. Les infirmiers ont un rôle important à jouer. Il ne faut pas hésiter à faire reformuler le patient pour évaluer ce qu’il a compris et retenu de la consultation d’annonce. Les infirmiers peuvent également contribuer à diffuser l’utilisation des outils de télésurveillance désormais pris en charge par la Sécurité sociale, en incitant les patients à télécharger les applications lorsque cela leur est proposé et à bien répondre aux questionnaires. Ces programmes, qui permettent de générer des alertes en cas de symptômes majeurs, sont vraiment intéressants pour le suivi du patient et l’évaluation des complications liées aux NVITAC.