L'infirmière n° 053 du 01/02/2025

 

PORTRAIT DU MOIS

Jean-François Bouscarain

Myriem Lahidely  

Jean-François Bouscarain est à la tête de l’union régionale des professionnels de santé (URPS) Idel Occitanie depuis novembre 2023. Les projets destinés à valoriser le métier, cet infirmier libéral de Valergues (Hérault) les porte avec une volonté de fer.

À la tête d’une URPS Idel, vous faites bouger les lignes !

Jean-François Bouscarain : Depuis mon élection comme président, de très beaux dossiers avancent en effet. Je suis accompagné par une équipe de professionnels hyper responsables, qui affichent, comme moi, une vraie volonté de prendre les dossiers en main et d’aller au bout de leurs engagements. Avec des projets bien identifiés, qui fonctionnent, et avec pragmatisme. Le dispositif Diane (dispositif d’aide et de soins pour les femmes victimes de violences), mis en place pour pallier la pénurie d’infirmiers, la nuit, dans les Ehpad, en recourant aux infirmiers libéraux (Idel), a fait ses preuves en Occitanie. En un an, neuf dispositifs ont été déployés dans sept départements sur 13, ce qui représente 47 Ehpad et 3 110 résidents concernés. Tout le territoire devrait être couvert d’ici fin 2025. Dans une région à forte précarité et pour moitié en zone de montagne, la mise en place et la montée en charge du numérique en santé dans les cabinets Idel sont aussi très efficaces. Nous nous attelons désormais à la prévention infirmière en Occitanie et nous allons profiter du mois de janvier consacré à ce sujet pour en donner toutes les clés. Nous nous sommes fixé des objectifs performants en visant plus de 20 000 bilans de prévention dans la population occitane dès les premiers mois de 2025. Pour cela, nous avons développé toute une stratégie sur le sujet afin que les Idel le mettent en place dans leur cabinet au-delà de leur file active, ces bilans démarrant dès 18 ans. L’expérimentation, par le Gérontopôle de Toulouse, du programme Icope (programme de soins intégrés pour les personnes âgées développé par l’Organisation mondiale de la santé) destiné à prévenir la dépendance totalise déjà près de 60 000 bilans depuis son lancement. Cet outil est la première marche du bilan de prévention. En bref, j’aime les projets systémiques avec des chiffres qui font bouger la santé.

Qu’est-ce qui vous rend si combatif ?

J.-F. B. : Le libéral a été ma fenêtre sur l’autonomie organisationnelle en particulier. J’ai commencé à exercer il y a 20 ans, à une période où l’hôpital allait mal en matière de management, de salaires, de conditions d’exercice… le secteur libéral a soudain doublé en volume. C’est à cette époque que je me suis engagé dans le mouvement syndical, à la tête de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) Hérault. Mais il y avait déjà eu, très vite après l’obtention de mon diplôme d’infirmier, mes quatre années en tant que militaire infirmier technicien des hôpitaux des armées (Mitha) où je m’étais régalé ; au Val-de-Grâce ou aux Grands Brûlés à Toulon et à Lavéran, l’hôpital d’instruction des armées à Marseille. À l’armée, contre toute attente, il n’y a pas de hiérarchie, on est tous dans la même galère. Il faut soigner. J’avais comme modèle une femme, convoyeuse de l’air dans l’armée française, morte en mai 2024 à près de 100 ans. Elle a consacré sa vie aux blessés de guerre et au final, elle aura été la première infirmière en pratique avancée (IPA). Elle a soigné de manière indéterminée, en fonction de ses compétences, pour sauver un maximum de gens. Les premières IPA, c’est ça ! J’ai eu moi-même la chance de participer à des opérations extérieures (Opex) en Côte d’Ivoire notamment, il y a 20 ans déjà. J’y ai appris comment mettre en place des soins avec moins de moyens et obtenir le même taux de réussite. Ça oblige à être organisé et créatif, et c’est là que j’ai appris, notamment, l’intérêt de la prévention. Dans mon métier de libéral, j’ai l’impression d’être en Opex permanente, surtout sur nos territoires très ruraux.

La loi infirmière est votre cheval de bataille…

J.-F. B. : Cette loi à laquelle j’ai contribué pour la partie Idel, est pour l’instant à l’arrêt du fait de changements ministériels permanents. Elle veut accorder des compétences plus importantes aux Idel, comme, par exemple, la mise en place du certificat de décès signé par les Idel, que notre URPS a portée dès janvier 2024 et qui a été actée. Dans notre région, leader là aussi, c’est une totale réussite, un certificat sur deux en Occitanie étant désormais réalisé par des infirmières. Cela prouve, grandeur nature, que ces professionnels acceptent de se former et qu’ils répondent, y compris le samedi et le dimanche, à cette démarche indispensable au processus funéraire. Nous avons par ailleurs fait une proposition au gouvernement pour que cette loi infirmières-infirmiers nous donne l’accès direct à la plaie en recourant au vaste réseau d’Idel. Et ce, pour accueillir toute plaie en première intention, en faire le bilan car nous l’avons en nomenclature, et orienter le patient si besoin vers la bonne personne en fonction de son état. Cela éviterait d’emboliser l’hôpital pour une simple blessure, ce qui est un non-sens économique.

Vous parlez de courage politique ?

J.-F. B. : Le plus grand hôpital de France est à la ville. L’accès direct à un certain nombre de soins est une évidence qui pourrait figurer dans le livre blanc « Horizon 2050 ». C’est une partie de la solution à l’engorgement des hôpitaux, au sentiment global qu’a la population d’être freinée dans l’accès aux soins. Mais il faudrait déjà sortir de la notion de prix/volume, que l’on cesse de penser « un grand nombre d’infirmiers libéraux est égal à d’importantes dépenses de soins ». Lorsque nous évitons l’hospitalisation d’un patient par une bonne prise en charge à domicile directement liée à la disponibilité 24 heures/24 des Idel, nous n’avons pas de retour. Idem pour une plaie. Aujourd’hui, plus elle dure et plus vous êtes financé. Des soins de qualité à domicile permettent des guérisons souvent plus rapides que les standards fixés par la Haute Autorité de santé. Des soins mieux faits et plus courts, ce sont autant de financements économisés. Si l’on ajoute à cela le million de soins que nous assurons, il est légitime de poser la question d’une meilleure rémunération. Il faudrait changer le logiciel et envisager une rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) en lien avec la qualité effective des soins réalisés par les Idel, au même titre que les médecins. La plus-value serait gigantesque pour le système de santé.

Comment inverser la tendance ?

J.-F. B. : Il faut un accès simplifié aux acteurs soignants tels que les Idel. Qu’ils soient impliqués par une vraie stratégie pour que la population se sente mieux et en sécurité en ce qui concerne l’accès aux soins. Les Idel ont un mandat social vis-à-vis de la population. Ils sont un maillon incontournable de ce système, présents partout, en ville, à la campagne, à la montagne comme dans les quartiers prioritaires. Mais leur métier est proche du sacerdoce. Le pays vieillit, les soins à domicile sont en hausse. Il y a un tournant à prendre pour développer l’ambulatoire, et parmi les enjeux à relever, il y a celui du recrutement. Il faudrait commencer par rendre l’exercice attractif en valorisant la formation des Idel et des compétences sous-utilisées selon moi, et permettre ainsi d’aller plus loin dans les délégations. Si les médecins nous cèdent plus de choses, il faut que nous puissions à notre tour déléguer, par exemple, les soins d’hygiène, pour se consacrer pleinement au soin infirmier dans toute sa splendeur. Il faut sans doute trouver aussi des modélisations de soins un peu différentes qui associeraient une activité domiciliaire le matin, par exemple, à une activité de consultation le soir (bilans, accompagnements, etc.). Avoir son propre pouvoir d’action auprès des patients et du système de soins, quand on a appris à être autonome et responsable, ça peut donner envie. Les jeunes générations vont par ailleurs travailler avec l’intelligence artificielle qui va les guider dans l’amélioration de la prise en charge. On ne pourra pas les brider avec des règles et des protocoles médicaux strictement extérieurs. Il y a une vraie mutation à réaliser, sinon nous sommes morts !

Bio Express

1997 diplômé de l’Ifsi à la Croix-Rouge française de Nîmes

Fin 1998 s’engage pour quatre ans comme militaire infirmier et technicien des hôpitaux des armées

2003 débute dans un cabinet d’Idel à Valergues (Hérault)

2004 président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) Hérault

2007-2021 président de l’union régionale de la FNI

2023 président de l’URPS Occitanie