L'infirmière n° 055 du 01/04/2025

 

ACTUALITÉS

ASSOCIATION #APRESJ20

Adrien Renaud  

Alors que pour beaucoup de Français, le Covid-19 n’est plus qu’un mauvais souvenir, certains autres restent comme coincés en 2020 : ce sont les patients atteints de Covid long. Malgré les déclarations des politiques qui les assurent de leur soutien, ils se sentent abandonnés.

Sandrine1 est cadre de santé en région Grand Est, et se décrit comme très active. Mais elle a contracté le Covid-19 en 2022, et depuis, tout a changé : troubles neurologiques, fatigue considérable, et problèmes d’attention l’ont contrainte, après avoir tenté un temps partiel thérapeutique, à arrêter de travailler depuis un an et demi. Elle se déplace à présent à l’aide d’un déambulateur. Céline Lesprit, infirmière libérale, elle aussi installée en Grand Est, a pour sa part été infectée « sur son lieu de travail » en mars 2020. Elle a pu reprendre le travail, mais la fatigue, les douleurs, le brouillard cérébral l’ont obligée à passer à temps partiel, puis à céder sa patientèle en 2022. Toutes deux sont membres de l’association #ApresJ20 Covid long France (Céline Lesprit en est la porte-parole). Et toutes deux ont été très surprises des propos tenus par le ministre de la Santé, Yannick Neuder, à la tribune de l’Assemblée nationale le 21 janvier dernier.

Lors d’une séance de questions orales au Palais Bourbon, celui-ci a en effet semblé minimiser la sévérité du Covid long. « L’une des symptomatologies les plus fréquentes est notamment la perte du goût, la perte de l’odorat […], comme une fatigabilité importante », a-t-il ainsi déclaré. Mais surtout, le ministre a donné l’impression que tout était mis en œuvre pour une prise en charge correcte des patients. « Il y a des centres spécialisés, il y a des consultations post-Covid avec des centres experts, avec des sites d’appui et de coordination Covid long qui sont disponibles sur l’ensemble du territoire », a-t-il expliqué, concluant son propos en assurant que son ministère était clairement mobilisé sur le sujet, notamment « pour proposer à ces patients des structures et des consultations spécialisées ».

Tout va très bien, vraiment ?

Une réponse qui ne passe pas très bien auprès des membres de l’association #ApresJ20. « Quand on l’écoute, on a l’impression que tout va bien, qu’il y a des centres en France qui prennent les patients en charge, que ces derniers sont inclus dans un cursus thérapeutique, alors que ce n’est pas du tout le cas dans la réalité, s’indigne Céline Lesprit. La vérité, c’est que ces centres, qui n’étaient déjà pas très nombreux et qui étaient répartis de manière très disparate sur le territoire, sont en train de fermer, et que des patients se retrouvent sans prise en charge, sans parler de ceux qui n’en ont jamais eu. » C’est pourquoi cette association a, avec six autres structures, adressé le 27 janvier dernier une lettre ouverte au ministre lui faisant valoir que « la réalité des malades est loin d’être aussi simple et solutionnée que [ses] propos le donnent à penser », pointant notamment le fait que certains parcours élaborés par la Haute Autorité de santé existent bel et bien, mais qu’ils ne sont « malheureusement pas mis en œuvre ».

Concrètement, les patients doivent être prêts à d’importants sacrifices pour être pris en charge. Au moment où elle a été jointe par L’Infirmière, Sandrine était à plus de 500 kilomètres de chez elle pour des séances prescrites par son médecin de la douleur. Céline Lesprit, qui habite Colmar (Haut-Rhin), était prise en charge dans un centre à Nancy, soit à 150 kilomètres de route… « Mais le centre a fermé, et j’ai fait le relais avec un médecin de Colmar qui est à l’écoute, s’informe, se bat, j’ai conscience d’avoir de la chance », soupire-t-elle. Reste que de manière générale, les patients atteints de Covid long ont l’impression d’avoir à déplacer des montagnes.

La première d’entre elles n’est autre que le déni. « Un jour, un neurologue m’a dit qu’à la faculté, on ne lui avait pas appris ce qu’était le Covid long, c’est rageant d’avoir affaire à des personnes qui, par fierté, n’arrivent pas à se remettre en question sur des pathologies pour lesquelles, pour l’instant, ils n’ont pas de réponse », déplore Sandrine. Autre énorme difficulté à laquelle elle est confrontée : l’ignorance. « On se retrouve face à des professionnels qui ne sont ni formés ni informés sur cette pathologie, qui ont encore tendance à dire que c’est dans la tête, et à envoyer les patients en psychiatrie », regrette Céline Lesprit.

Des millions de patients concernés

Une ignorance d’autant plus regrettable que la population touchée est extrêmement importante. Les dernières données disponibles sont un peu anciennes, mais alarmantes : Santé Publique France estimait que, fin 2022, la prévalence du Covid long au sein de la population générale était de 4 %, ce qui représente plus de deux millions de patients. Sur un échantillon représentatif interrogé par Santé Publique France, 1,2 % d’entre eux déclaraient que la maladie avait « un impact fort ou très fort sur leurs activités quotidiennes ».

Et les infirmiers sont concernés par le sujet à double titre : comme potentiels soignants appelés à prendre en charge ces patients d’une part, mais aussi comme malades. Car ce n’est pas un hasard si les deux membres de l’association #ApresJ20 que nous avons interrogées sont deux infirmières. Selon une étude anglaise portant sur 5 248 soignants et publiée dans une revue britannique2, la prévalence de la maladie chez les professionnels de santé serait de 34 %. Pire : au sein de cette population de malades qui devrait être parmi les plus informés sur le sujet, seulement 7 % avaient été diagnostiqués de manière formelle.

Les paroles et les actes

Autant de raisons qui doivent, selon l’association #ApresJ20, pousser à mettre les actes en cohérence avec les discours. « C’est vrai que c’est une pathologie qui prend du temps à diagnostiquer, reconnaît Céline Lesprit. On n’a pas de biomarqueur permettant de l’identifier à coup sûr, et le diagnostic reste un diagnostic d’élimination. Mais justement, c’est pour cela qu’il faut des consultations plus longues, qu’il faut prendre le temps de questionner le patient, de retracer l’histoire de la maladie, etc. »

C’est pourquoi l’association continue à demander des soins adaptés au Covid long. « On ne peut pas faire faire à ces patients de la rééducation comme pour d’autres, par exemple, beaucoup d’entre eux voient leur situation aggravée à l’effort, c’est délétère pour eux », martèle Céline Lesprit. En attendant, les patients se raccrochent à l’espoir d’avancées dans la recherche, et au travail de professionnels qui se battent pour créer ou maintenir des parcours adaptés. « Il y a la Pre Dominique Salmon-Ceron à Paris, le Dr Jérôme Larché en Occitanie », énumère Sandrine. Reste à savoir comment, au-delà de la communication ministérielle, leurs efforts peuvent essaimer sur l’ensemble du territoire.

1. Cette personne a souhaité n’être identifiée que par son prénom.

2. Dempsey B, et al. Post Covid-19 syndrome among 5248 healthcare workers in England: longitudinal findings from NHS Check. Occup Environ Med 2024;81:471-479.