L'infirmière n° 055 du 01/04/2025

 

DOSSIER

NOUVEAUX MODÈLES

La loi de financement de la Sécurité sociale de 2018 a autorisé des expérimentations afin d’encourager, accompagner et accélérer le déploiement de nouvelles organisations en santé et tester de nouveaux modes de financement. Certaines impliquent directement les infirmières libérales pour un meilleur suivi et un maintien à domicile des patients âgés.

Le programme Icope

Développé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le programme Icope, pour Integrated Care for Older People, a pour objectif de retarder l’entrée dans la dépendance en surveillant précocement la capacité intrinsèque (combinaison des capacités physique et mentale) des seniors. Ce programme de santé publique de soins intégrés vise à expérimenter une nouvelle approche préventive des soins en ciblant les capacités fonctionnelles des plus de 60 ans, autonomes et vivant à domicile, en particulier les plus vulnérables d’entre eux. Le dispositif se décline en cinq étapes : dépistage ; évaluation ; plan de soins personnalisé ; fléchage du parcours de soins et suivi du plan d’intervention ; mobilisation des communautés et soutien aux aidants. À partir de tests simples et ludiques, une évaluation des six fonctions essentielles (locomotion, état nutritionnel, santé mentale, cognition, audition et vision) pour un dépistage est réalisée par un professionnel de santé (ou un autre professionnel formé ou en autoévaluation) avec l’appui d’outils numériques. Si un risque de déclin de la capacité intrinsèque est repéré, une recherche approfondie est réalisée par un professionnel de santé formé et un suivi personnalisé est instauré. L’accompagnement proposé permet à la personne de s’impliquer activement dans le renforcement ou la préservation de ses capacités. L’expérimentation se place en amont du maintien à domicile puisque l’objectif est d’éviter sa dégradation et de basculer dans la fragilité et la dépendance.

L’histoire du programme

« À l’origine, c’est le gérontopôle du centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, partenaire de l’OMS, qui a amorcé l’implémentation avant l’expérimentation nationale », explique Caroline Berbon, infirmière en pratique avancée (IPA) pathologies chroniques stabilisées, au sein de l’équipe régionale vieillissement et prévention de la dépendance du CHU. Après avoir adapté les outils de l’OMS, l’implémentation a d’abord été déployée en Occitanie avant de devenir, en 2020, une expérimentation article 51 nationale, orientée vers les soins primaires. Cette initiative a été menée par le ministère de la Santé et l’Assurance maladie, dans le cadre de la stratégie globale de prévention de la perte d’autonomie 2020-2022 « Vieillir en bonne santé ». Dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt, 13 porteurs de projets sur neuf régions ont été retenus, en sachant que certains territoires supplémentaires portent Icope hors expérimentation.

En Occitanie, les acteurs engagés dans Icope sont à 80 % des infirmières libérales, les autres étant des kinésithérapeutes, des pharmaciens, des orthophonistes, des ergothérapeutes, ou encore des médecins. Du côté du gérontopôle, l’équipe intervient principalement pour la mise en œuvre opérationnelle de l’expérimentation sur le territoire. « Cependant, nous disposons également d’un temps spécial pour aider les autres porteurs du projet lorsqu’ils ont des questions sur nos outils numériques que nous mettons à leur disposition », souligne Caroline Berbon, qui s’occupe notamment de la formation des professionnels de santé du territoire occitan.

L’accompagnement proposé

Les cinq étapes d’Icope s’organisent tout d’abord autour du repérage, accessible à tous. Les professionnels de santé peuvent l’effectuer sans difficulté, « mais à la condition d’avoir la capacité de gérer la suite en fonction des résultats, car il n’est pas possible de laisser le patient sans prise en charge, prévient Caroline Berbon. Il faut, a minima , l’orienter vers son médecin traitant ». Pour mener l’étape 2 (évaluation avec des échelles) et l’étape 3 (plan de soin personnalisé), il est nécessaire d’avoir suivi une formation accessible sur le site www.icope-formation.com pour le distanciel puis en lien avec les porteurs de projets pour la partie présentielle. « En Occitanie, l’ensemble des professionnels ayant effectué la formation pour l’étape 1 sont recontactés pour conventionner et être rémunérés », indique l’IPA. Au niveau national, cela dépend des porteurs de projets. Actuellement, la pérennisation d’Icope et sa généralisation ont été actées par le conseil stratégique de l’innovation en santé, sans que les financements n’aient encore été explicités. Une période de transition est en cours et des liens avec les dispositifs existants doivent être créés, par exemple avec le bilan de prévention mis en place par l’Assurance maladie, mené par les infirmières libérales notamment.

L’objectif du ministère de la Santé est de prioriser le déploiement du programme au sein des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) parce qu’Icope est avant tout un parcours, qui requiert un plan de soins et donc la mobilisation de plusieurs acteurs de la santé. Des animateurs territoriaux sont d’ailleurs rattachés à la CPTS pour aider à son déploiement.

La place des infirmières libérales

Dominique Jakovenko, infirmier libéral (Idel) dans le Gard, participe à l’expérimentation depuis sa mise en œuvre. Il a été préalablement formé au protocole de coopération sur la fragilité de la personne âgée. « Dans le cadre d’Icope, j’effectue le dépistage de mes patients ou de leurs proches, rapporte l’infirmier. À titre d’exemple, j’ai une patiente qui m’a parlé des problèmes de mémoire de son mari, je leur ai alors proposé une évaluation, que j’ai ensuite envoyée au gériatre. »

L’Idel peut également être sollicité par d’autres professionnels de santé, par exemple des collègues infirmiers non formés, voire parfois par le gériatre du centre hospitalier de sa commune afin de lui faire gagner du temps. Étant formé aux différentes étapes d’Icope, Dominique Jakovenko est en mesure d’effectuer un plan de soins personnalisé, qui doit être validé par le médecin traitant ou le gériatre. « Cependant, pour les étapes 4 et 5, il est impératif de se construire un réseau, souligne-t-il. Nous pouvons par exemple contacter des assistantes sociales ou orienter les patients vers des psychologues. » Il a également la possibilité de proposer la mise en place de séances de kinésithérapie, d’activité physique adaptée pour la prévention des chutes ou encore un rendez-vous avec un diététicien en cas de problème alimentaire.

Les infirmiers sont rémunérés pour effectuer ce travail. Dominique Jakovenko l’est par le gérontopôle : 18 € pour l’étape 1. La rémunération de l’étape 2 est modulée en fonction du nombre de domaines explorés (entre 20 et 60 €). Une réunion de concertation est ensuite prévue avec le médecin traitant pour décider du plan de prévention. En Occitanie, cette réunion est payée 21 € pour le soignant, par l’agence régionale de santé (ARS). Enfin, un entretien de restitution du plan de prévention est prévu avec le senior (21 €). Quand l’étape 1 est réalisée en autoévaluation, le professionnel de santé qui analyse les résultats et organise la suite du parcours, est rémunéré 11 € de plus.

L’expérimentation « RSMO »

Du côté de la Sarthe, la MSP Le Mans est à l’initiative d’une expérimentation article 51, également en phase d’intégration dans le droit commun : le suivi à domicile des personnes invalides et/ou âgées par les médecins traitants et les infirmiers. Cette expérimentation, appelée « RSMO », consiste à mettre en place un suivi coordonné au domicile des personnes âgées (80 ans et plus) et/ou en situation de handicap et en incapacité de se déplacer au cabinet d’un médecin généraliste, par un binôme constitué d’un médecin généraliste traitant libéral et d’une infirmière libérale. Elle a été lancée sur un territoire où la densité de médecins généralistes est inférieure à la moyenne nationale. « L’expérimentation est née dans le cadre de notre fonctionnement en tant que MSP, explique Jérémy Degroote, infirmier libéral et coordinateur de la MSP. En 2017, nous avons vécu les prémices d’une démographie médicale en baisse, avec peu de perspective d’évolution positive. » L’équipe a donc cherché des solutions pour apporter une réponse à la patientèle la plus fragile, à savoir les personnes âgées dépendantes à domicile « afin de ne pas les perdre de vue et éviter une aggravation de leur situation de santé », indique-t-il. C’est ainsi que les professionnels se sont orientés vers la rédaction d’une expérimentation article 51, épaulés par l’ARS Pays de la Loire et par la caisse primaire d’assurance maladie pour la rédaction du projet, l’arrêté le validant ayant été publié en juillet 2019.

Un suivi alterné entre Idel et médecin traitant

Le projet porte sur l’accompagnement du patient dépendant à domicile par deux interlocuteurs privilégiés, à savoir l’Idel et le médecin. Plusieurs critères d’inclusion ont été identifiés pour le patient : il doit être dépendant, donc ne pas pouvoir se rendre par lui-même au cabinet du médecin, et avoir plus de 80 ans. Il peut aussi s’agir de personnes de tout âge en situation de handicap reconnues par la maison départementale des personnes handicapées. Pour être inclus dans le dispositif, le patient doit nécessairement faire partie de la patientèle du médecin. En revanche, l’Idel ne doit pas obligatoirement y exercer.

Lors de la première visite, les deux professionnels de santé se rendent au domicile du patient, idéalement, en présence d’un aidant, pendant environ une heure. « Nous allons alors établir le plan de soins pour l’année à venir », fait savoir Jérémy Degroote. Pour les deuxième, troisième, quatrième et cinquième rendez-vous, l’infirmière se rend seule chez le patient. La visite mensuelle dure environ 30 minutes. « Outre les constantes, nous avons un questionnaire à remplir avec la personne âgée afin de faire le point sur son état psychologique, physiologique et sur l’aspect social de sa situation, énumère l’Idel. Il s’agit d’un bilan global. » L’infirmière établit alors une fiche de retour qu’elle intègre dans le dossier du patient. « Les Idel qui ne font pas partie de la MSP doivent remplir une fiche navette qu’elles transmettent à la MSP et au médecin », précise-t-il. En cas de problème identifié, l’infirmière utilise l’outil numérique Paaco-Globule (voir encadré ci-dessus) pour échanger avec le médecin traitant directement. « Il peut alors prescrire un bilan biologique, une radiographie et même décider de se rendre au domicile pour une consultation », explique Jérémy Degroote.

Au sixième rendez-vous, le médecin assure seul la visite, après avoir pris connaissance des différents rapports de l’infirmière. Il rédige lui aussi un compte rendu, transmet ses consignes pour la suite de l’accompagnement et renouvelle les traitements si besoin. Du septième au onzième rendez-vous, les visites mensuelles sont de nouveau effectuées par l’infirmière seule. Puis, lors de la douzième visite, le binôme intervient pour établir le bilan annuel, les nouvelles consignes et les prises en charge à mettre en place pour l’année qui vient. « Bien entendu, nous demandons au patient son consentement pour renouveler la prise en charge, indique l’infirmier. Jusqu’à présent, nous n’avons jamais essuyé de refus. » Après un an d’expérimentation, toutes les personnes suivies se disent satisfaites de bénéficier d’un rendez-vous avec un soignant tous les mois à leur domicile. Après cinq ans, aucun patient n’est sorti de l’expérimentation à sa demande, celle du médecin ou d’une infirmière. En échange de ce suivi, les médecins s’engagent à prendre davantage de patients en raison du temps médical dégagé.

Le financement des professionnels

Au total, 157 patients ont été inclus dans l’expérimentation. Le dispositif est à présent dans sa phase transitoire avant sa généralisation. Un exercice coordonné sera exigé pour son déploiement sur le territoire. Un forfait annuel de 370 € est prévu. Il couvre les deux visites annuelles du médecin à hauteur de 60 €, et le suivi infirmier à hauteur de 310 € pour les 11 visites. « Les plus-values du dispositif sont nombreuses, à commencer par une consolidation du travail pluriprofessionnel et de la confiance entre les médecins et les infirmiers », se félicite Jérémy Degroote, avant de conclure : « Nous sommes convaincus de l’apport de ce modèle, tout d’abord parce que nous sommes rassurés par la prise en charge des patients isolés. Et, en tant que professionnels, nous pouvons, par cet intermédiaire, nous installer dans cette posture d’infirmier référent, ce qui contribue à valoriser notre travail quotidien auprès des patients. »

La surveillance de la dénutrition du patient âgé

En France, 400 000 personnes âgées vivant à domicile et 270 000 personnes en Ehpad sont touchées par la dénutrition, un critère de fragilité prévalent (données du collectif de lutte contre la dénutrition).

Une expérimentation article 51, appelée D-NUT, portée par l’union régionale des professionnels de santé infirmiers Pays de la Loire, mais qui n’a pas obtenu l’avis favorable du conseil stratégique de l’innovation en santé pour sa généralisation, impliquait directement les infirmières libérales. Le test D-NUT existe toujours et permet à l’infirmière, qui repère visuellement un patient âgé de 60 ans et plus pouvant potentiellement être confronté à un problème de dénutrition, de remplir un questionnaire. Composé de sept items qui déterminent un score de dénutrition, il peut être imprimé ou envoyé par messagerie sécurisée au médecin traitant du patient. Un autre parcours dénutrition, Nutri’Age, est en cours d’expérimentation dans les Hauts-de-France. Il porte sur la prévention, le dépistage et la prise en charge de la dénutrition et des situations à risque en équipe pluriprofessionnelle ville-hôpital. Il concerne les patients de plus de 60 ans, dénutris modérés ou sévères, ne relevant pas d’une prise en charge hospitalière, et à situation à risque rentrant dans les critères du réseau de santé gériatrique. Le parcours est organisé autour de sept étapes : le prérepérage, qui peut notamment être effectué par une Idel ; le signalement au médecin traitant ; l’adressage au réseau de santé gériatrique ; le diagnostic de l’état nutritionnel et la recherche des situations à risque ; la réunion de concertation pluriprofessionnelle avec l’élaboration du plan personnalisé de coordination en santé ; la prise en charge et le suivi au domicile avec une coordination effectuée par le médecin traitant, l’infirmière libérale ou l’équipe du dispositif d’appui à la coordination ; et enfin, l’évaluation dans un délai de trois à quatre mois. La sortie du parcours est déterminée en fonction des résultats obtenus sur le statut nutritionnel et les situations à risque prises en charge.

La solution Globule

Globule est un dossier patient utilisable sur Internet ou en mobilité, disponible sur smartphones ou tablettes en version iOS et Android, accessible à tout professionnel médical, paramédical ou social, qui intervient dans la prise en charge d’un patient. Cette solution permet d’assurer, sans rupture, le suivi des patients entre les professionnels utilisateurs, avec un partage sécurisé des informations. Elle propose notamment un journal de communication, un agenda du patient, une documenthèque, un espace traitement, etc. Un système de notifications et d’alertes permet aussi le signalement des nouveaux événements dans le parcours du patient. Cet outil offre de nombreuses interfaces avec d’autres logiciels, de même qu’un mode déconnecté permet son utilisation en tout lieu, même au domicile des patients résidant dans des zones isolées.

Il est notamment utilisé par des cabinets d’infirmières libérales, par les professionnels de santé des maisons de santé pluriprofessionnelles, des communautés professionnelles territoriales de santé, des dispositifs d’appui à la coordination, des équipes mobiles, des réseaux de spécialités, ou encore des parcours coordonnés renforcés, pour de la coordination en ville et/ou avec l’hôpital. Plusieurs groupements régionaux d’appui à l’e-santé (Grades) - service public - ont retenu Globule comme solution web et mobile pour les parcours, en adaptant son nom : Paaco-Globule (Nouvelle-Aquitaine), Mobil’Ety (Bretagne), Projet « Mobilité » (Pays de la Loire), Globule Pro (Centre-Val de Loire), Eticss (Bourgogne-Franche Comté), Sara (Grand Est). À ce jour, 60 574 professionnels utilisent Globule.