ÉCORESPONSABILITÉ ET SOINS INFIRMIERS : UN ENGAGEMENT AU QUOTIDIEN
EXERCICE LIBÉRAL
SOINS ET ÉCOLOGIE
Des groupes de travail ont été mis en place entre les syndicats représentatifs des infirmières libérales et l’Assurance maladie depuis le 10 juillet 2024. Parmi eux, l’un est consacré au gaspillage et l’écologie dans les soins. Si des actions se déploient sur le terrain, beaucoup d’entre elles sont encore à mettre en œuvre. Comment s’engager ?
« Le métier d’infirmière s’exerce dans une approche systémique du soin et du “prendre soin” du patient dans son environnement de vie, il tend donc “naturellement” à prendre en compte l’ensemble des déterminants de la santé et à agir pour la préservation des milieux naturels, estime la Dre Alice Baras, chirurgien-dentiste de formation, à présent formatrice et facilitatrice en écologie prévention santé1. L’écoresponsabilité en tant que valeur humaine nous engage à prendre soin de notre maison commune ainsi que des vivants qui y habitent et vont y habiter. » Cette réalité étant intrinsèque à la profession, « il est important que les infirmières valorisent ce qu’elles mettent déjà en œuvre auprès des patients et dans les territoires, leurs connaissances et leurs actions, leur pouvoir d’agir spécifique et leurs expériences », encourage-t-elle.
La démarche écoresponsable se réalise à travers deux axes principaux que sont l’écoconception des soins - la mise en place de mesures environnementales pour maîtriser l’impact des soins - et les mesures de prévention des maladies et de promotion de la santé.
• Dans ce domaine, si des orientations globales peuvent guider l’intégration des mesures en pratique, « chaque professionnel de santé doit, en fonction de son activité, de sa démarche de soins et de ses contraintes, se les approprier et les adapter », explique la Dre Baras.
• Des solutions applicables à tous les secteurs permettent d’enclencher des actions, notamment dans le champ de la sobriété énergétique : optimiser l’éclairage, le chauffage et la climatisation du cabinet à l’aide d’un thermostat ; limiter l’impact du numérique en allongeant la durée de vie des appareils informatiques ; limiter le stockage des données à l’essentiel.
• D’autres mesures sont propres aux métiers de la santé avec, par exemple, les actions sur les achats et prescriptions des produits de santé. L’un des enjeux concerne la réflexion autour de l’usage unique versus le matériel réutilisable. « Ce choix appartient au professionnel de santé et à son contexte de travail, insiste la Dre Baras. Le plus souvent, le matériel réutilisable est intéressant dès lors qu’il va être réutilisé un grand nombre de fois. Pour savoir précisément combien, il est nécessaire de s’appuyer sur des évaluations d’impact tout au long de son cycle de vie. »
• Le matériel réutilisable soulève également la question de la sobriété chimique. « Il faut éviter la surqualité, et s’interroger pour savoir quel matériel est critique ou non, nécessite d’être désinfecté, stérilisé ou simplement nettoyé, et être en accord avec les recommandations professionnelles », prévient Alice Baras. La démarche est identique concernant les dispositifs médicaux ou encore les locaux. Les recommandations évoluent avec, notamment, les procédures « zéro chimie » qui encouragent à l’entretien des sols avec uniquement des tissus microfibres et de l’eau.
• Au cabinet comme au domicile des patients, optimiser la gestion des déchets, celle des déchets d’activité de soins à risque infectieux (Dasri) est également pertinente. Le Haut Conseil de la santé publique a récemment émis des recommandations allant dans le sens d’une « lecture » allégée de ce qui relève des déchets d’activité de soins et de ce qui relève des Dasri, en supprimant, entre autres, le risque psychoémotionnel. Ainsi, les perforants ou objets piquants, coupants, tranchants sont toujours des Dasri, « en revanche, la seule présence de sang ou de liquide biologique n’est pas un critère de classement en Dasri », prévient la Dre Baras. En respectant ces recommandations, l’infirmière est nécessairement gagnante car la gestion des Dasri coûte plus cher pour le professionnel de santé et le climat, leur traitement émettant en moyenne trois fois plus de gaz à effet de serre que celui des déchets classiques.
• Un axe à valoriser : la collaboration entre médecin, infirmière, pharmacien et patient, concernant la dispensation des médicaments, afin qu’elle soit la plus juste possible. Une maison de santé pluriprofessionnelle a d’ailleurs mis en place un protocole, accordant à l’infirmière libérale un droit de regard sur les médicaments à ne pas délivrer (ordonnance NPD). Dans le cadre de l’exercice coordonné ou pluriprofessionnel, créer un groupe de travail santé-environnement est opportun afin de réfléchir, par exemple, à la mutualisation des biens entre les professionnels de la structure : des éléments du secrétariat, un prestataire de gestion commun des Dasri ou encore un véhicule.
• Pour les transports, bien entendu, si l’infirmière libérale a besoin d’une voiture, il n’est pas question de supprimer son usage. Pour autant, « elle peut réfléchir à utiliser un véhicule plus léger, se former à l’écoconduite, optimiser ses visites pour limiter les kilomètres, même si, sur ce dernier point, il semble évident qu’elles le font toutes, reconnaît la Dre Baras. Si, dans quelques cas, elles peuvent remplacer des visites à leur patient généralement effectuées en voiture, par de la marche ou du vélo, ce sera à la fois bénéfique pour leur santé, leur porte-monnaie et la planète. »
Cet axe est déjà au cœur de la mission des infirmières. « L’éducation thérapeutique et l’éducation à la santé font partie intégrante de la démarche écoresponsable », rapporte la Dre Baras. Pour monter en expertise et agir en santé-environnement, il est d’ailleurs possible de se former à la santé environnementale dans des structures spécialisées, notamment l’institut de formation de santé environnementale de l’infirmier Philippe Perrin, afin de devenir « écoinfirmier ». « Il est utile de se former sur les moyens d’agir pour des environnements favorables à la santé, dont notre environnement quotidien, l’alimentation, les produits cosmétiques ou d’entretien, indique-t-elle. De plus en plus de professionnels de santé cherchent à intégrer ces approches dans leur démarche de soins et à les partager auprès des patients, ce qui leur permet de revenir à leurs valeurs et missions de prendre soin. »
En se lançant dans une démarche écoresponsable, la Dre Baras insiste sur la nécessité pour chacun de construire sa propre feuille de route. « Il ne s’agit pas de cocher des cases les unes après les autres, il n’y a pas une méthode universelle », alerte-t-elle.
La première étape consiste donc pour l’infirmière à analyser l’ensemble des actions qu’elle mène déjà et les valoriser par leur bénéfice écologique. Puis, elle peut se former ou s’informer afin de connaître les recommandations professionnelles sur la santé-environnement, appuyées sur des données probantes et ainsi, éviter les fausses bonnes idées. « Dans un quotidien déjà très surchargé, consacrer une demi-journée ou une journée à une formation pour ensuite savoir où trouver les bonnes informations, les bons outils et choisir des écogestes ainsi que des actions pertinentes avec leur pratique est une étape importante, conseille-t-elle. Cela permet de s’inscrire dans une attitude positive, d’amélioration continue, de regarder ce que l’on peut faire - et pas ce que l’on ne peut pas faire -, de réfléchir à sa zone d’influence spécifique, à son plus grand pouvoir d’agir pour le métier que l’on exerce, en lien avec son lieu d’exercice et les personnes qui y vivent. »
1. Alice Baras est auteure du Guide du cabinet de santé écoresponsable, Éditions Presses de l’EHESP, septembre 2024, 2e édition.