L'infirmière n° 055 du 01/04/2025

 

DOSSIER

PARCOURS COORDONNÉS

Dans le secteur sanitaire, les acteurs se succédant au domicile du patient âgé peuvent être nombreux. La principale problématique à gérer s’avère alors être leur coordination pour la bonne transmission des informations.

Les infirmières libérales (Idel) sont parmi les principales actrices de la dispensation des soins à domicile avec environ 80 % de leur patientèle composée de personnes âgées. Leur intervention quotidienne au domicile - parfois jusqu’à trois, voire quatre fois par jour -, permet aux seniors de poursuivre leur vie dans leur environnement, et d’éviter hospitalisation ou institutionnalisation. Un rôle indispensable « face au nombre insuffisant de maisons de retraite en France », souligne Ghislaine Sicre, présidente de Convergence Infirmière. Le suivi des pathologies chroniques, les pansements, la dispensation de traitements, les bilans sanguins, les soins de nursing, les perfusions, les alimentations artificielles : la liste des actes pouvant être réalisés à domicile par les Idel est grande. En pratiquant ces soins indispensables au maintien à domicile, elles portent aussi un regard sur leurs besoins globaux et peuvent ainsi coordonner les interventions des différents acteurs (médecins, paramédicaux ou encore aides à domicile). « Cette mission avec les autres professionnels est essentielle pour une prise en charge optimale du patient âgé », estime-t-elle.

Le rôle des différents intervenants

Cependant, elles ne sont pas les seules à affirmer pouvoir assumer cette fonction. Les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) par exemple - structures rattachées aux établissements et services sociaux et médicosociaux, prises en charge à 100 % par l’Assurance maladie - ont pour mission de prodiguer des soins aux personnes âgées de plus de 60 ans et, depuis 2004, aux personnes adultes de moins de 60 ans handicapées ou atteintes de certaines pathologies chroniques. En plus des actes techniques, ils proposent des soins de nursing réalisés par des aides-soignants.

De son côté, l’hospitalisation à domicile (HAD) intervient sur prescription hospitalière pour la réalisation à domicile de soins complexes, son secteur d’intervention étant soumis à des périmètres d’autorisation. « La prise en charge d’une personne âgée par l’HAD requiert un motif qui va au-delà de la perte d’autonomie, explique Delphine Faure, infirmière coordinatrice à l’HAD Bagatelle en Gironde. Des problématiques médicales complexes doivent y être associées. » Il peut s’agir de pathologies neurodégénératives, de plaies complexes avec le recours à une thérapie par pression négative, de la dispensation d’un traitement antibiotique à délivrance hospitalière ou encore de l’accompagnement palliatif à domicile. « Nous sommes sollicités pour une prise en charge globale de la personne », précise Delphine Faure. Lors de leur intervention, les professionnels de l’HAD effectuent un premier bilan sur l’environnement psychosocial du patient, ses habitudes diététiques et les aspects logistiques afin de pérenniser le maintien à domicile. « Sans l’HAD, les personnes seraient placées en Ehpad ou en hospitalisation complète : notre plus-value est donc réelle », considère Mathurin Laurin, délégué général de la Fédération nationale des établissements d’HAD. Chaque HAD dispose de son propre fonctionnement avec parfois uniquement des infirmières salariées, parfois exclusivement le recours à des Idel ou encore, un modèle mixte. « Dans le cadre de nos interventions, nous menons un travail conjoint avec l’ensemble des intervenants du domicile, notamment les SSIAD, les libéraux et les prestataires de santé à domicile (PSAD) », soutient-il. L’équipe peut également solliciter l’assistante sociale, mettre en place des auxiliaires de vie ou le portage des repas.

Les PSAD, eux, ne sont pas effecteurs de soins « mais nous sommes des acteurs de santé de proximité car nous participons au maintien à domicile des personnes âgées notamment, assure Louis Champion, président-directeur général de la Fédération des prestataires de santé à domicile. Nous avons une conscience très claire de notre contribution et de notre territoire d’intervention. » Les PSAD interviennent généralement pour la mise en place de la nutrition artificielle, pour des perfusions, l’insulinothérapie ou l’activité respiratoire. « Nous voyons notre intervention comme un trinôme entre nous, l’Idel et l’hôpital, ajoute-t-il. Sur le terrain, notre travail consiste à tout mettre en œuvre pour augmenter le temps de soins des Idel, en nous occupant de la logistique et de la coordination. » « Pour la gériatrie, nos relations avec la ville dépendent des patients, précise Thierry Guillaume, président d’Experf, un PSAD. Les Idel peuvent nous appeler pour installer le matériel à domicile, par exemple un lit médicalisé, un fauteuil roulant, un déambulateur, mais elles peuvent aussi les orienter vers la pharmacie. »

Des mésententes économiques

L’intervention de l’ensemble de ces personnes au domicile des patients peut, en fonction des territoires, être source de concurrence, notamment sur l’axe de la coordination.

Avec les SSIAD et l’HAD, les points de tension sont parfois prégnants, en raison du modèle économique qui lie ces structures aux Idel. Que ce soit avec l’HAD ou avec le SSIAD, si le patient pris en charge dispose déjà d’une Idel, elle doit normalement être sollicitée pour travailler en collaboration, sous réserve de signer une convention. « Le secteur libéral est un gisement pour ces structures avec lesquelles nous travaillons par convention sous seing privé, soutient Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers. Elles ont compris que nous pouvions être une variable d’ajustement de leur activité car nous solliciter leur coûte moins cher. » Le nerf de la guerre repose sur les « modalités de financement qui font que nous travaillons davantage en concurrence qu’en synergie », considère-t-il. Dans le cadre de la convention, même si la majorité des structures respectent la nomenclature générale des actes professionnels, ce n’est pas une obligation. Dès lors que la convention est signée, les Idel ne facturent plus leurs actes à l’Assurance maladie, puisque ce sont les SSIAD ou les HAD qui vont les rémunérer sur la base des forfaits qu’ils perçoivent pour leur fonctionnement et qui incluent les actes infirmiers. Les syndicats d’Idel plaident pour que les actes techniques soient externalisés des financements de ces structures, afin que ces dernières puissent coter leurs actes directement à l’Assurance maladie. « Nous pourrions ainsi être dans une meilleure collaboration », insiste Daniel Guillerm.

Une concurrence face à la coordination des parcours

Autre point de tension : la sphère d’intervention de chacun, notamment dans le champ de la coordination. « De manière générale, nos relations ne sont pas mauvaises, reconnaît John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux. Cependant, sur le terrain, les différents acteurs ressentent parfois une forme de concurrence. Nous devons nous interroger sur la façon d’en sortir pour mieux répartir les prises en charge et fluidifier les parcours des patients âgés, car nous sommes toujours sur la même problématique de savoir qui fait quoi et qui prend en charge qui. À titre d’exemple, tous veulent assurer la coordination, mais finalement qui l’assure réellement ? »

Un rôle que revendiquent les Idel. Or, à ce jour, en intervenant dans le cadre d’une HAD ou d’un SSIAD, elles ne peuvent pas coter la majoration de coordination infirmière. « Généralement, ce sont nous, infirmières de coordination de l’HAD, qui assurons ce rôle, de même que le médecin coordonnateur de l’HAD se met en lien avec le médecin prescripteur », souligne Delphine Faure. « Avec le développement des pathologies lourdes et complexes, nous sommes contraints à la réussite d’une collaboration entre les Idel et l’HAD, soutient Mathurin Laurin. Nous nous devons de travailler ensemble mais il faut clarifier les obligations respectives qui régissent les relations entre les Idel et l’HAD, d’un point de vue juridique, déontologique et organisationnel. »

Côté PSAD, ce sont généralement eux qui assurent la coordination de la prise en charge vis-à-vis du médecin prescripteur, notamment « parce que les infirmières ont entre 20 et 30 patients à gérer quotidiennement, il leur est difficile d’appeler tous les médecins de tous leurs patients pour assurer cette mission, estime Thierry Guillaume. De notre côté, nous pouvons concentrer les informations et endosser un rôle de facilitateur et de coordinateur. » Et d’ajouter : « Le médecin attend d’ailleurs de nous que nous assurions ce lien, car nous surveillons les patients pour éviter toute dégradation de leur état de santé et une nouvelle hospitalisation. Nous transmettons également rapidement les informations à l’Idel afin qu’elle puisse s’organiser et continuer ses soins. »

Selon John Pinte, il faudrait repenser le système en analysant la plus-value des uns et des autres afin de construire une organisation dans laquelle chacun est à sa juste place en fonction de ses compétences et de sa sphère d’intervention. L’harmonisation des relations peut aussi reposer sur le déploiement d’outils d’informatisation afin que l’information circule entre l’ensemble des professionnels concernés, « ce qui permettrait d’éviter d’avoir un nombre infini de coordinateurs et décomplexifierait le système », conclut-il.

L’intervention des Idel auprès des seniors en Ehpad

Les infirmières libérales n’ont aucune interdiction conventionnelle d’intervenir auprès des résidents en Ehpad. Mais, comme pour l’hospitalisation à domicile et les services de soins infirmiers à domicile, cette intervention doit faire l’objet d’une convention car le financement des soins est directement intégré dans les prises en charge en Ehpad. C’est alors l’établissement qui rémunère l’Idel, cette dernière ne facturant plus directement ses soins à l’Assurance maladie.

Ces interventions restent ponctuelles et sont effectuées à la demande de l’Ehpad. En parallèle, depuis cinq ans environ, des unions régionales des professionnels de santé infirmiers libéraux déploient des dispositifs d’astreintes assurées par des Idel volontaires, auprès d’Ehpad. Les équipes soignantes des Ehpad peuvent donc les appeler en cas de problématique avec un résident : chute, douleur, dégradation de l’état de santé, besoin de réassurance pour un patient agité et éviter ainsi les urgences. Les agences régionales de santé participent au financement de ce dispositif pour indemniser les Idel, à savoir généralement 100 € la nuit en semaine, 150 € la nuit le week-end et les jours fériés. Un protocole de sécurisation est également mis en place avec un appel de tous les Ehpad au moins une fois par semaine par l’infirmier d’astreinte. Ce dernier perçoit une indemnité de forfait téléphonique de 20 € par semaine et 30 € en cas de déplacement.