L'infirmière n° 055 du 01/04/2025

 

ACTIVITÉS CLINIQUES

REPORTAGE

Laure Martin  

L’Association pour l’utilisation du rein artificiel en région parisienne (Aura Paris) dispose de 11 structures en Île-de-France qui accueillent et prennent en charge les patients insuffisants rénaux chroniques. Elle propose un large panel d’actions pour répondre au plus près à leurs besoins.

Dans la salle de formation du pôle autonomie dialyse à domicile (Padd) situé à Montrouge (Île-de-France), Julie1, une patiente de 33 ans, vient de se peser avant de s’installer sur le fauteuil où elle va débuter son hémodialyse sous les regards attentifs des infirmières, Nathalie2 et Émilie Beaugey. Depuis quelques semaines, Julie se rend quotidiennement au pôle pour apprendre à maîtriser cette technique. Il y a un an et demi, elle a découvert brutalement être atteinte d’une vascularite à Anca (anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles) qui a épargné ses poumons et son cœur, mais pas ses reins. Prise en charge en urgence pour sa pathologie, sa maladie rénale a également été gérée en urgence avec la pose d’un cathéter veineux central. « J’ai été suivie huit mois en centre de dialyse, raconte-t-elle, tout en prenant sa tension. L’équipe médicale ne m’a jamais proposé l’hémodialyse à domicile, et je ne pensais pas pouvoir en bénéficier pour des raisons logistiques. » Julie vit dans un petit appartement parisien, avec son conjoint. Or, outre le fait d’accepter de « ramener la maladie chez soi », l’hémodialyse à domicile impose de disposer d’un espace suffisant pour stocker les poches de dialysat et le moniteur. « J’avais cependant envie de plus d’autonomie dans la gestion de ma maladie, poursuit-elle. Me rendre au centre trois fois par semaine devenait de plus en plus difficile à gérer. Après avoir constaté que je commençais à repousser mes séances, le néphrologue m’a proposé cette solution. » Pour cette avocate, qui a mis sa carrière entre parenthèses, cela représente l’espoir d’envisager la reprise de son exercice professionnel dans un avenir plus ou moins proche.

Les différents types de dialyse

L’insuffisance rénale chronique a pour origine, dans 50 % des cas, soit un diabète, soit une hypertension. Viennent ensuite les néphropathies héréditaires, essentiellement la polykystose rénale autosomique dominante et les glomérulonéphrites chroniques. Il existe cinq stades d’atteinte rénale, le stade 1 étant le moins grave et le 5 impliquant de passer sous dialyse. Les maladies rénales étant indolores, certains patients la découvrent tardivement et entrent dans le parcours de soins directement au stade 4/5. Dès lors qu’ils ont un débit de filtration glomérulaire (DFG) inférieur à 15 mL/min/1,73 m2, ils sont inscrits, en l’absence de contre-indications, sur la liste d’attente de transplantation rénale et sont préparés, en parallèle, à la dialyse. Plusieurs options s’offrent alors à eux.

La dialyse péritonéale - la moins fréquente car elle concerne moins de 10 % des dialysés en France - consiste en une technique d’épuration extrarénale utilisant le péritoine comme membrane d’échange entre le sang chargé de déchets et un liquide stérile introduit de façon répétitive dans l’abdomen. Elle a pour objectif d’éliminer les toxines telles que l’urée, la créatinine, l’excès de potassium ou de liquides que les reins ne parviennent pas à épurer du sang. Cette procédure doit être effectuée quotidiennement avec plusieurs cycles d’échanges durant la journée ou toutes les nuits, de manière manuelle ou automatisée. « Cette technique a une durée limitée dans le temps car la capacité de filtration du péritoine diminue au fil des années, explique Pascale Prebin, infirmière au Padd. Les patients devront nécessairement passer à l’hémodialyse après cinq à dix ans de dialyse péritonéale. » Cette solution est généralement privilégiée pour les patients phobiques des aiguilles, ceux ayant un mauvais état vasculaire aux membres supérieurs ou ceux qui souhaitent davantage d’autonomie puisque la dialyse péritonéale se déroule uniquement à domicile. Elle facilite la poursuite d’une activité professionnelle, notamment pour ceux qui utilisent le cycleur la nuit.

Second choix : l’hémodialyse, qui consiste à suppléer les reins déficients en épurant le sang plusieurs fois par semaine grâce à une machine. Elle peut être réalisée dans un centre avec une présence médicale constante ou dans une unité médicalisée avec une présence infirmière.

Elle peut aussi avoir lieu dans des unités d’autodialyse. Le patient va alors être préalablement formé pour se prendre en charge lui-même, sous surveillance infirmière. Dans l’ensemble de ces cas, le processus dure environ quatre heures et se déroule trois fois par semaine. En revanche, quand cela se passe à domicile, le patient est autonome. L’hémodialyse doit certes être réalisée cinq à six fois par semaine, mais sur des périodes de deux heures et au moment de son choix, offrant plus de flexibilité au quotidien, surtout pour les personnes actives. Cette solution permet aussi une diminution des coûts de prise en charge : le prix d’une séance à domicile est compris entre 200 et 250 € alors qu’une séance en centre coûte entre 340 et 380 €. L’Assurance maladie appelle par conséquent à développer le traitement à domicile, plus économique.

Une formation à la technique et à l’autonomie

Pour autant, être traité à domicile ne s’improvise pas. Les patients suivent une formation d’environ huit semaines, organisée autour de six séances hebdomadaires, de trois heures chacune. Ils y réalisent leur hémodialyse sur place et apprennent toutes les étapes à respecter afin de devenir autonomes : la préparation du moniteur, la prise de leur poids en amont et en aval, ou encore la gestion de leur tension, en amont, au milieu et à la fin de la séance. En cas de baisse de tension, le patient doit programmer le moniteur afin de réduire le volume d’eau retiré de son corps. Il apprend également à se piquer, à démarrer la séance et à contrôler les alarmes de l’appareil.

Aujourd’hui, au Padd, Julie va justement être acculturée aux différents types d’alarmes pouvant retentir. Pendant que Nathalie, l’infirmière, monte un moniteur à blanc pour cette formation, la patiente débute, en autonomie, son hémodialyse. Après avoir placé et connecté les poches de dialysat sur le moniteur, elle prépare les pansements et les bandes adhésives qui vont tenir les tuyaux et les aiguilles, puis relève sa manche. Elle commence alors à ôter les croûtes qui se sont formées au niveau de sa fistule artérioveineuse. Elle pose ensuite deux aiguilles, puis y connecte deux tuyaux, points de sortie et d’entrée du sang filtré par le moniteur. Avant de s’y connecter et de le programmer pour débuter les soins, elle rejoint Nathalie pour sa formation sur les alarmes.

Au Padd, qui a ouvert ses portes en juin 2020, deux à trois infirmières sont présentes quotidiennement, pour former les patients ayant fait le choix du traitement à domicile et de la dialyse péritonéale. « Ceux qui sont éligibles à l’hémodialyse à domicile viennent une première fois pour découvrir le centre, rapporte Nathalie. Lors de la consultation d’information, nous leur expliquons dans le détail ce qu’implique cette technique. » Outre le stockage du matériel, le patient doit être organisé et acteur de sa santé car de nombreux protocoles doivent être respectés concernant, notamment, les normes d’hygiène et d’asepsie. « Il faut être consciencieux, car nous sommes seuls responsables de notre santé », prévient Julie. De retour chez eux, les patients restent accompagnés. « Ils disposent d’un numéro pour nous joindre si besoin, sans oublier qu’ils reviennent tous les mois pour une séance de repli afin d’évaluer leurs difficultés et échanger sur leur qualité de vie », souligne Émilie Beaugey avant d’ajouter : « Pendant la formation, nous sommes en dehors du temps et nouons des relations solides avec les patients dont nous connaissons le mode de vie dans les moindres détails. S’ils sont confrontés à un problème, nous devons pouvoir leur répondre par téléphone. » Cet après-midi, l’infirmière va justement se rendre chez Julie pour une visite de pré-installation afin de voir comment optimiser son appartement de 24 m2 avec l’arrivée du matériel. Le jour de sa première session à domicile, un médecin et une infirmière seront présents pour l’accompagner.

Le suivi en centre

Tous les patients ne sont pas éligibles à cette option en raison de leurs comorbidités ou d’un domicile non adapté. De même que certains n’y tiennent pas. Pour eux, l’Aura dispose de centres spécialisés, dont un situé dans le 14e arrondissement de Paris, doté de 60 postes. Au premier et au deuxième étages, des patients viennent pour des séances de quatre heures, trois fois par semaine. Ils sont pris en charge par des infirmières, qui assurent les branchements au générateur, surveillent le déroulement et gèrent les alarmes des machines. Les patients n’ont à s’occuper de rien, si ce n’est comprimer leur veine à la fin. « J’ai fait le choix du centre car je ne voulais pas avoir à gérer ma maladie chez moi, confie un patient au terme des quatre heures de séance. J’ai déjà eu à le faire pendant deux ans lorsque j’étais en dialyse péritonéale et cela ne m’a pas du tout plu. J’oubliais tout le temps des commandes. Je ne voulais plus avoir à m’en occuper. » À la fin, les infirmières en profitent, en fonction des prescriptions, pour injecter aux patients des vitamines, de l’érythropoïétine ou encore pour prélever du sang, sans avoir à effectuer de prise de sang.

Les soins de support

Dès lors que les patients sont identifiés porteurs d’une maladie rénale, ils bénéficient d’un suivi par un néphrologue. Dans ce cadre, ils peuvent également avoir accès à des soins de support avec des assistants sociaux, des diététiciens et des psychologues. « Je reçois tous les nouveaux patients pour une consultation d’accueil, explique Sarah Wengler, diététicienne, qui intervient sur prescription médicale. Je leur dispense des recommandations alimentaires pour retarder la progression de la maladie, en insistant sur l’importance de réduire la consommation des aliments riches en protéines, en potassium et en phosphore. » Les diététiciens leur proposent par exemple des recettes alternatives. « Avant d’en être au stade de la dialyse, les recommandations sont restrictives, car les reins ne fonctionnent plus très bien, rappelle-t-elle. Cependant, dès lors qu’ils y sont, nous effectuons de l’éducation nutritionnelle pour déconstruire les idées reçues qu’ils peuvent avoir vis-à-vis de leur alimentation. » À titre d’exemple, il est important, à ce stade, qu’ils mangent davantage de protéines car le traitement leur demande de fournir beaucoup d’énergie. Sarah Wengler mène également des consultations de suivi pour ajuster les prises en charge et éviter les frustrations. De son côté, Jordan Wilfrid, assistant social, intervient en consultation de néphrologie auprès des patients atteints de maladie rénale chronique de stade 3/4/5 afin d’échanger sur leurs besoins sociaux, leur maintien à domicile ou encore leurs droits à l’Assurance maladie. « Pour les patients dialysés, je m’assure qu’ils ont contacté la maison départementale des personnes handicapées, car ils ont la possibilité d’être reconnus en invalidité à 80 %, d’obtenir une carte mobilité inclusion et l’allocation adulte handicapé », fait-il savoir.

Depuis septembre, l’Aura propose aussi à certains patients d’intégrer l’espace de transition et d’autonomie progressive (Etap). « Notre objectif est toujours de chercher à autonomiser au maximum les patients, donc de les orienter vers le Padd pour une formation à l’hémodialyse à domicile », fait savoir Jérôme1, infirmier et responsable de l’Etap. Des patients identifiés par les équipes comme pouvant tendre vers davantage d’autonomie bénéficient d’échanges, dans une approche similaire à celle de l’éducation thérapeutique du patient, avec les médecins, les infirmières, les infirmières en pratique avancée, les aides-soignantes, les assistants sociaux, les diététiciens et les psychologues, afin de leur présenter les différentes techniques, l’intérêt de l’autonomisation, les enjeux et les contraintes. « Cette offre reste récente et parfois, il nous arrive de nous tromper, de penser que cette autonomisation pourrait leur convenir alors que ce n’est pas le cas », reconnaît Jérôme. « Le choix de la technique de dialyse s’opérera toujours entre le néphrologue et le patient, en tenant compte de ses envies et de ses contraintes, et sans jamais rien lui imposer », conclut Patrice Launay, directeur des parcours, de la qualité et de la sécurité des soins.

1. Le prénom a été modifié.

2. Ne souhaite pas que son nom soit diffusé.

Le rôle des IPA

À l’Aura depuis 2014, Sabrina Barbot, infirmière en pratique avancée (IPA) et responsable des IPA, a répondu à un appel d’offres de la structure qui proposait, en 2018, de financer la formation pour évoluer vers ce statut. Elle a ainsi été formée à l’université Paris Cité en 2019-2021, et son protocole d’organisation a été signé en 2022. Elle intervient dans le cadre des parcours de soins destinés aux patients atteints de maladie rénale chronique 4/5 financés par l’Assurance maladie. Cette rémunération forfaitaire annuelle est versée aux établissements de santé qui mettent en place un parcours de prise en charge pluridisciplinaire (néphrologue, IPA ou infirmière de parcours, assistant social ou psychologue, ou diététicien) des patients atteints de maladie rénale chronique, aux stades 4 et 5, dans l’objectif d’améliorer leur suivi, de ralentir la progression de la maladie et la survenue de complications. Sabrina Barbot reçoit les patients dans le cadre d’une consultation, après que le néphrologue leur a annoncé une dégradation de leur maladie et l’entrée dans la dialyse. « Lors de notre rendez-vous, je fais une reprise d’annonce, de l’éducation thérapeutique sur le rôle du rein et les signes d’alerte, ainsi que de l’information sur les différents types de dialyse, précise Sabrina Barbot. Notre but est d’être le plus neutre possible afin d’orienter les patients vers les techniques de leur choix. »

Outre une intervention dans le cadre de l’espace de transition et d’autonomie progressive (Etap), l’IPA assure également les consultations de suivi des patients en alternance avec le néphrologue, les formations des infirmières de l’Aura, de l’analyse des pratiques en binôme avec une psychologue, des audits de pratiques pour s’assurer du respect des bonnes pratiques professionnelles, et des interventions en hôpital de jour pour de la néphroprotection.

Qu’est-ce que l’Aura ?

Créée en 1967, l’Aura (Association pour l’utilisation du rein artificiel) a tissé un vaste réseau de soins en partenariat avec des hôpitaux publics, notamment ceux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, des établissements privés à but non lucratif et des cliniques. L’activité de l’Aura s’inscrit dans une « filière néphrologique » allant de la prévention à l’hospitalisation complète, en passant par toutes les techniques de dialyse, qu’il s’agisse de l’hémodialyse ou de la dialyse péritonéale. L’association traite environ 1 100 patients au sein de ses 11 structures.