SORTIES D’HOSPITALISATION : UNE (LOURDE) GESTION À LA CHARGE DES INFIRMIÈRES LIBÉRALES
EXERCICE LIBÉRAL
CONTINUITÉ DES SOINS
La sortie d’hospitalisation d’un patient : bête noire des infirmières libérales ? En l’absence de lien avec les services hospitaliers, la prise en charge du patient et la continuité de ses soins s’avèrent en effet complexes. Explications.
« Il y a encore beaucoup à faire actuellement pour optimiser les sorties d’hospitalisation de nos patients, reconnaît Brigitte Lecointre, infirmière libérale (Idel) à Nice et ancienne présidente de l’Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants. En fonction des hôpitaux et des services, la coordination fait défaut et nous nous retrouvons, dans certains cas, dans des situations complexes pour obtenir des informations sur nos patients et sur la suite des prises en charge. » L’absence d’uniformisation sur l’organisation des sorties oblige les infirmières libérales à s’adapter en permanence.
Première problématique : être informées du retour à domicile de leur patient. « Généralement, nos patients réguliers préviennent les structures que nous sommes leur Idel, et les infirmières hospitalières nous tiennent au courant de leur sortie », indique Brigitte Lecointre. Mais dans certains cas, l’information n’est pas transmise et il arrive souvent que ce soit directement les patients ou leurs proches, qui préviennent leur Idel de leur retour à domicile.
Pour leurs patients réguliers comme pour de nouveaux, les Idel subissent parfois « la commercialisation de la sortie d’hospitalisation entre les hôpitaux et les prestataires de santé à domicile qui l’ont gérée, à la demande du service, sans pour autant nous avoir prévenues, constate Brigitte Lecointre. C’est seulement une fois de retour au domicile qu’ils nous tiennent informées. » En parallèle, de plus en plus de plateformes proposent des mises en relation entre les services hospitaliers, les patients et les infirmières libérales. « Certaines d’entre elles demandent aux soignants de payer pour être référencées », fait savoir Thomas Ayesa, infirmier libéral en Gironde. « Ces plateformes sont une fausse bonne idée, une solution de facilité pour le service hospitalier qui ne cherche pas toujours à savoir si le patient dispose déjà d’un soignant, regrette Pascal Chauvet, infirmier libéral en Charente-Maritime et trésorier d’AVECsanté1. J’ai déjà été contacté pour prendre en charge les patients de mon confrère du village et inversement. Heureusement que nous nous entendons bien, et que nous nous appelons avant d’accepter. » Les Idel peuvent également être sollicitées par le Prado, service de retour à domicile créé par l’Assurance maladie pour certaines prises en charge2. « Ce n’est pas parce que la caisse primaire d’assurance maladie gère le Prado que la sortie est mieux accompagnée, observe Brigitte Lecointre. Nous avons un cahier des charges à remplir avec une traçabilité à domicile qui mériterait d’être simplifiée. » Lorsque c’est l’hôpital qui s’en charge directement, il arrive que l’équipe « enjolive la situation pour que nous acceptions ce nouveau patient, qui en réalité peut être complexe, témoigne Johanna Pané, infirmière en pratique avancée (IPA) en libéral dans le Gard. Ce type de comportement contribue à de mauvaises relations avec les services. »
Une fois le patient de retour à domicile, l’Idel est généralement la professionnelle de santé activement mobilisée pour organiser la prise en charge. « Dans 90 % des cas, les services hospitaliers n’assurent pas la coordination avec le patient, ses proches et les professionnels de premier recours », regrette Brigitte Lecointre. Certaines familles se trouvent en grand désarroi. Les patients rentrent chez eux avec une enveloppe remplie de prescriptions pour des traitements, des pansements, des séances de kinésithérapie, des soins infirmiers ou encore des rendez-vous de suivi à l’hôpital. « Nous nous retrouvons avec toutes ces informations à gérer », ajoute-t-elle. Les Idel doivent trier, expliquer, téléphoner aux autres professionnels de santé concernés, gérer l’inquiétude des familles, des patients ou encore appeler les prestataires de santé. « C’est lourd et tout ce temps passé n’est pas rémunéré, regrette Brigitte Lecointre. Bien entendu, je n’en veux pas à mes collègues hospitalières car elles sont débordées. Mais il faudrait améliorer le système ; la sortie d’hospitalisation est un enjeu capital. »
Cette gestion est souvent effectuée dans l’urgence afin de garantir la continuité des soins au patient. Mais la situation se complexifie davantage en l’absence de fiche de liaison et d’explications, par exemple sur la modification des traitements, surtout lorsque la sortie a lieu un vendredi ou un samedi. « Nous souhaitons avant tout disposer des informations nécessaires pour assurer la liaison entre l’hôpital et le retour à domicile », indique Thomas Ayesa. Ce qui implique de savoir comment s’est déroulée l’hospitalisation, si les traitements ont été modifiés, si de nouveaux médicaments ont été introduits, et de disposer d’une synthèse globale. En l’absence d’informations, le premier réflexe de l’Idel est d’appeler le service hospitalier, souvent difficilement joignable. Elle se tourne alors vers le médecin traitant, pas toujours joignable non plus. La solution ? La débrouille. « En l’absence d’informations requises, nous pouvons vraiment nous retrouver en difficulté et avoir à engager notre responsabilité », informe Marie-Claude Daydé, ancienne Idel en Haute-Garonne.
Pour Thomas Ayesa, l’une des solutions est de miser sur les systèmes d’information partagés. Son cabinet utilise l’outil numérique de coordination des parcours de soins Globule (voir encadré p. 29), nommé « Paaco-Globule » en Nouvelle-Aquitaine, un dossier de soins dématérialisé et sécurisé en lien avec l’ensemble des acteurs de la prise en charge du patient. « Il est particulièrement utile car il nous permet de renseigner les informations des patients, les traitements, les antécédents dans un dossier partagé, témoigne-t-il. Cet outil dispose aussi d’un onglet social afin de mentionner les personnes de confiance, la famille, les personnes à prévenir. Nous pouvons y accéder, peu importe l’endroit où nous nous trouvons. » Lorsque les infirmières coordinatrices des services hospitaliers peuvent s’y connecter, le suivi des patients est facilité, tout comme la bonne observance des traitements car toutes les informations le concernant sont partagées. Mais l’ensemble des établissements hospitaliers n’adhèrent pas à l’outil, en raison de l’absence d’interopérabilité avec leurs systèmes informatiques. Quant au dossier médical partagé (DMP), « nous n’avons pas encore le réflexe de le remplir et de le regarder, reconnaît l’infirmier. Pourtant, nous sommes conscients de son utilité ». « Mon espace santé et le DMP ne fonctionnent pas encore car nous ne prenons pas le temps d’y aller, confirme Johanna Pané. Les mentalités doivent changer mais actuellement, nous avons plutôt l’impression qu’on nous rajoute du travail. » L’informatisation gagne donc à être améliorée pour tendre vers plus d’interopérabilité. « C’est avec ce type d’outils qu’il faut envisager le futur, estime Brigitte Lecointre. Il s’agit nécessairement d’une source d’amélioration de la continuité des soins à condition que ces solutions offrent un gain de temps car plutôt que de passer trois heures sur un logiciel, je préfère consacrer ce temps à mes patients, leur famille ou à la mienne. »
L’anticipation et l’évaluation des besoins des patients à domicile représentent également l’une des clés pour assurer au mieux la continuité de ses soins. Car désormais, « l’absence d’information des équipes hospitalières sur l’environnement du patient à son domicile est difficile à gérer, souligne Marie-Claude Daydé. Pour rentrer au plus vite chez eux, certains leur dressent un tableau idyllique de leur situation à domicile, alors qu’ils peuvent en réalité être isolés, ne pas avoir de proches à proximité. Si l’équipe hospitalière appelait l’Idel en amont, elle pourrait savoir ce qu’il en est ». Lorsque le patient dispose déjà d’une équipe soignante, « il serait judicieux d’organiser des réunions de concertation pluridisciplinaires, rémunérées, en amont du retour à domicile, avec l’équipe de soins primaires, l’équipe hospitalière, ainsi que le patient et ses proches, en visioconférence, afin d’échanger sur la prise en charge à instaurer et ainsi, éviter les prescriptions inappropriées au regard de la situation économique et sociale des patients », propose Brigitte Lecointre. La situation s’est toutefois améliorée avec l’arrivée des IPA dans certains services. « C’est un bonheur de travailler avec elles, car cela simplifie et allège les prises en charge, poursuit-elle. Les IPA sont disponibles et lorsqu’elles ne peuvent pas répondre à nos interrogations, elles se renseignent auprès des médecins spécialistes avec lesquels elles travaillent avant de nous rappeler. »
À l’échelle du territoire, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) représentent également l’un des axes pour travailler à une meilleure coordination entre la ville et l’hôpital. « Là où il y a une CPTS, l’hôpital est généralement partie prenante, et la sortie d’hospitalisation peut représenter une thématique de travail », souligne Pascal Chauvet. Autre levier : les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). « En équipe, il est tout à fait envisageable de créer un protocole avec la coordinatrice de la MSP qui serait chargée de ce lien ville-hôpital pour anticiper les sorties d’hospitalisation, ajoute-t-il. L’Idel est en mesure de le faire, mais elle ne va pas être rémunérée pour le temps passé alors que dans le cadre de la MSP, l’équipe peut décider d’attribuer cette mission à la coordinatrice et “protocoliser” avec l’hôpital. » AVECsanté travaille d’ailleurs sur cette piste ; un temps rémunéré aux Idel qui souhaitent remplir cette fonction et gérer ces parcours en dehors de leur jour de tournée ou sur un mi-temps. « Nous réfléchissons à un modèle économique, précise Pascal Chauvet. Mais il faudrait faire reconnaître cette fonction avec une enveloppe financière à la clé. Nous devons en parler avec l’Assurance maladie sinon, nous n’irons pas bien loin. »
1. AVECsanté est un mouvement associatif présent sur tout le territoire via ses quatorze fédérations régionales et qui se donne l’objectif de développer l’exercice coordonné en équipe pluriprofessionnelle à travers les MSP.
2. Le Prado concerne les patients atteints de pathologies chroniques, les plus de 75 ans, les personnes hospitalisées pour le Covid-19, pour une intervention chirurgicale ou encore, pour les mères et leur nouveau-né après l’accouchement.
Si les infirmières libérales sont dans l’attente d’informations de la part des services hospitaliers, il est de bon ton qu’elles aussi transmettent les données sur leurs patients lors de leur hospitalisation. « Je transmets toujours une note avec les renseignements cliniques globaux, les informations sur le traitement, ainsi que la dernière biologie mais j’évite que mon patient parte avec son classeur de soins, sinon, je ne le vois pas revenir », souligne Johanna Pané, infirmière en pratique avancée. « Au sein de notre union régionale des professionnels de santé infirmiers Occitanie, nous avons répertorié l’ensemble des coordonnées des professionnels du premier recours, à transmettre à l’équipe hospitalière, fait savoir Marie-Claude Daydé, ancienne Idel. Lorsque l’hospitalisation est programmée, cela peut fonctionner, mais lorsqu’il s’agit d’une urgence, bien souvent le patient, en raison de son stress, oublie de la prendre et part sans son dossier de soins. »
par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale
La pitié dans la relation de soins
« Hier, j’ai bien vu dans la façon dont votre nouvelle collègue me regardait que je lui faisais pitié ! Et cette pitié, je n’en veux pas ! » C’est ainsi que cette patiente de 79 ans, qui vit dans une situation sociale difficile et souffre de polypathologies, a accueilli l’infirmière venue lui prodiguer des soins à domicile. Ce sentiment d’être dépréciée, identifié par la patiente dans le regard de l’infirmière, constitue ici un ressort négatif dans la relation soignant-soigné. Il peut renforcer la dissymétrie initiale existant dans la relation de soins. D’autant que, malgré ses difficultés, cette patiente a su donner du sens à sa situation en mettant toujours en avant les éléments qu’elle considère comme positifs.
La soignante s’est-elle laissé submerger par ses propres émotions provoquant chez elle une forme d’apitoiement ? La confrontation à la souffrance d’autrui peut être cause de souffrance aussi pour le soignant, et engendrer un sentiment de tristesse qui n’est pas toujours partagé par la personne soignée. Pour cette patiente, il est possible que cette « pitié » ait été vécue comme une humiliation parce qu’elle mettrait l’accent sur sa vulnérabilité et évoquerait chez elle l’impression « d’être rabaissée ». Il est vrai que la pitié peut être synonyme de domination, voire d’une forme de paternalisme. Pourtant, elle peut aussi interroger le fait que nous sommes semblables à cet autre et traduire notre propre tracas de le voir souffrir.
Au-delà du terme lui-même, sujet à de multiples interprétations, ce sont surtout nos regards qui font langage : immédiats et spontanés, ils interpellent celui qui les reçoit. Si le regard peut être stigmatisant - à l’instar de cette patiente qui s’est sentie « déconsidérée » -, il a aussi un fort pouvoir libérateur.
C’est précisément ce que nous enseigne l’écrivain Amin Maalouf dans Les Identités meurtrières : « C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer. »