Urgences
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Alice Cote
L’hôpital français est en crise, et tout particulièrement les services d’urgence. Comment décongestionner l’hôpital et prévenir la saturation des services d’urgence ? Zoom sur des leviers d’action.
En 2019, la France possédait 5,84 lits d’hospitalisation disponibles par millier d’habitants. Ce chiffre est proche de celui de la Belgique (5,57) et inférieur à celui de l’Allemagne (7,91). Entre 2012 et 2019, le nombre de lits a baissé de 5,4 %. La diminution du nombre de lits en France est plus forte lorsqu’elle est rapportée à la démographie : le nombre de lits par millier d’habitants est passé de 6,34 à 5,84 entre 2012 et 2019, ce qui représente une baisse de 7,9 %. En 2019, 393 000 lits d’hospitalisation complète ont été dénombrés dans les établissements de santé en France métropolitaine et outre-mer, soit une diminution de 76 000 lits d’hospitalisation depuis 2003. Le nombre de lits en court séjour a diminué, les capacités d’accueil en long séjour encore plus. A contrario, les capacités en hospitalisation partielle se sont développées pour atteindre un total de 79 000 places en 2019, soit une hausse de 29 000 places au cours de la même période. L’hospitalisation à domicile connaît également une croissance continue. Des disparités de densité de lits et de places subsistent entre les départements.
Les structures des urgences françaises, comme d’autres pays, sont confrontées à une augmentation de leur fréquentation par les usagers (le nombre de passages aux urgences est passé de 10,1 millions en 1992 à 21,2 millions en 2019) conjuguée à une pénurie de lits d’aval, occasionnant des épisodes dits de saturation. Les deux principales causes de cet engorgement sont les passages non appropriés aux urgences (hors détresse évidemment), et la complexité pour trouver des lits d’aval. Le temps d’attente subi par le patient entre la décision d’hospitalisation et son admission effective reste une cause importante expliquant l’engorgement des services d’urgence.
Le Service d’accès aux soins (SAS), dont l’objectif est de favoriser la coopération entre la médecine de ville et les services d’urgences pour le traitement des soins non programmés, est en phase d’expérimentation. Un des moyens de soulager les services d’urgences passe en effet par une meilleure collaboration avec les professionnels de ville, par le biais de structures conjointes et par un adressage facilité aux services compétents via des cellules de coordination ville-hôpital. Ces dernières permettront des filières d’admission directe des patients sans passage par les urgences. Un renforcement du maillage du territoire avec la création de « centres de soins non programmés » permettrait également de diminuer les flux entrants dans les véritables urgences (qui sont par définition, ouvertes 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7) en prenant en charge des patients avec une moindre gravité, tout comme des maisons médicales de garde (MMG) adossées à un service d’urgences, avec des protocoles de ré-adressage entre les structures.
Autres moyens qui pourraient être déployés pour désengorger les services d’urgences : les unités mobiles de télémédecine pour les urgences et soins non programmés, et l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pour aider à déterminer l’état de santé d’un patient en urgence.
Le développement d’hôpitaux de proximité, publics et privés, en les inscrivant dans une politique globale d’aménagement du territoire et d’amélioration de l’accès aux soins, est également un des axes d’amélioration. Leur rôle devrait être redéfini afin qu’ils soient des établissements disposant d’un service de soins non programmés, d’une maternité de niveau 1, de services de médecine et de chirurgie, et qu’ils bénéficient de services de soins de suite ou de structures pour les personnes âgées, s’adossant à un réseau de centres de santé et à la psychiatrie de secteur. Fluidifier les transferts en soins de suite et réadaptation (SSR) semble également intéressant pour faciliter la sortie d’hospitalisation, tout particulièrement celle des personnes âgées dont le retour à domicile est impossible.
Les cellules de gestion des lits semblent être une solution efficace pour anticiper le besoin de lits en aval. Toutefois, afin de faciliter cette recherche de lits sur le territoire à un moment donné, il est essentiel de pouvoir uniformiser et centraliser les demandes de prise en charge avec un déclaratif commun en temps réel. En donnant un outil clef en main aux cellules de bed management, leurs nouvelles missions sont facilitées et elles deviennent un réel appui au désengorgement des urgences, grâce à la mise en place d’un binôme équipe médicale/équipe bed management. L’automatisation des tâches grâce à des algorithmes intégrés dans une plateforme web permet un gain de temps précieux par rapport à la gestion manuelle actuelle. Le renforcement du réseau inter-établissements et des conventions mises en place apparaît également essentiel ici. Il pourrait être renforcé grâce à des équipes opérationnelles sur le terrain, chargées de la mise en place et de l’analyse de ces partenariats au quotidien pour assurer une continuité dans la recherche de lits d’aval.
Sources
- Deroche C. Hôpital : sortir des urgences. Rapport n° 587 (2021-2022) fait au nom de la CE Hôpital, déposé le 29 mars 2022. https://www.senat.fr/rap/r21-587-1/r21-587-1.html
- La situation de l’hôpital et le système de santé en France, Commission d’enquête. 14 janvier 2022. http://www.senat.fr/commission/enquete/2021_sante_et_hopital.html
- Oberlin M, Andrès E, Behr M, et al. La saturation de la structure des urgences et le rôle de l’organisation hospitalière : réflexions sur les causes et les solutions. Rev Med Interne. 2020;41(10):693-9.
- Morley C, Unwin M, Peterson GM, et al. Emergency department crowding: A systematic review of causes, consequences and solutions. PLoS One. 2018;13(8):e0203316.
Les cellules de gestion des lits (bed management) mises en place dans certains groupements hospitaliers de territoire depuis 2010 et en cours de structuration dans d’autres, facilitent la liaison entre les services des urgences et les services d’aval. Le bed manager ou gestionnaire de lits d’aval) a pour objectif de répondre au manque de lits d’aval en fluidifiant le parcours des patients et les orientant selon les recommandations médicales.
Généraliser le bed management fait partie des 41 recommandations de François Braun, alors président de Samu-Urgences de France, dans son rapport de la mission flash sur les urgences et soins programmés, remis en juin 2022 (recommandation n°38 : Mise en place obligatoire de la fonction de bed manager dans tous les établissements siège de service d'urgences).