Des urgences pédiatriques surchargées, des services qui explosent, une épidémie de bronchiolite particulièrement sévère, des fermetures des urgences la nuit, des médicaments pédiatriques en tension voire en rupture : le secteur de la pédiatrie est à bout de souffle.
Comme beaucoup de secteurs hospitaliers, la pédiatrie n’échappe malheureusement pas à la crise. Si celle-ci a longtemps couvé, elle apparaît désormais au grand jour. Fin octobre 2022, plus de 7 000 soignants de pédiatrie et 18 associations de patients (collectif Pédiatrie) ont signé une lettre ouverte au Président de la République dans le quotidien Le Parisien/Aujourd’hui en France pour expliquer la situation : « Après deux semaines d’épidémies hivernales, habituelles et prévisibles, les services de réanimations pédiatriques partout en France sont saturés, les services d’hospitalisation débordent, les soins dits non urgents sont reportés et des enfants sont transférés hors région ». Ils ont, au passage, rappelé leurs diverses collaborations à des missions et rapports, qui sont restés lettre morte. « Il est urgent de pouvoir rouvrir des lits dans les services de pédiatrie en arrêtant la fuite des soignants et en recrutant des jeunes passionnés », rappellent les tribuns. Selon eux, la pédiatrie, comme d’autres spécialités, doit se recentrer sur le cœur du métier : « Évaluer la lourdeur des soins, adapter les ratios de patients par binôme infirmier/soignant, réévaluer les salaires et les modalités d’exercice en prenant en compte le niveau d’étude, la responsabilité et la pénibilité comme d’autres pays d’Europe et reconnaître le service comme entité nécessaire et indispensable à la gouvernance hospitalière » sont autant de mesures attendues par les soignants.
En réponse à ces doléances, Emmanuel Macron a demandé un plan d’urgence immédiat et l’activation locale de plans blancs, permettant ainsi de rappeler, là où cela s’avérait nécessaire, du personnel supplémentaire ; le ministre de la Santé, François Braun, a, quant à lui, annoncé une enveloppe d’urgence de 150 millions d’euros pour soutenir les services hospitaliers en tension. Une somme qui a été d’abord comparée à « un sparadrap sur une jambe de bois », selon les termes d’un pédiatre, voire qualifiée de « cynique » selon le collectif Pédiatrie.
Le ministre de la Santé a ensuite complété ses mesures en annonçant 400 millions d’euros, dont les 150 millions précédemment promis : une somme qui devrait servir au doublement de la rémunération des heures de nuit et au déploiement de primes pour les soins critiques, élargies aux soins de puériculture. Cela a contribué à apaiser certaines tensions, le collectif saluant les avancées, même s’il s’agit selon lui de « mesures d’urgence non structurelles, qui n’empêcheront pas la fuite des soignants ». Celles-ci ne couvrent, en effet, que le court terme et visent à combler un déficit en personnel qu’il semble compliqué d’endiguer. Par manque de moyens, financiers et humains, de nombreux soignants ont rendu leur blouse blanche ; de nombreux services d’urgence et de réanimation ont dû fermer.
Un reportage publié dans l’hebdomadaire Paris Match mi-novembre déclenche la foudre de l’exécutif : des soignants y dénoncent le « tri » des jeunes patients, en attente de soins, faute de place. Réplique du ministre de la Santé, le lendemain dans Le Parisien/Aujourd’hui en France, qui assure que l’on ne trie pas les enfants à l’hôpital. Pourtant, dans les faits, les soignants le martèlent, ils sont obligés de faire des choix, déprogrammer certaines opérations, déplacer certains enfants à des kilomètres de chez eux, quand ils le peuvent, car parfois ce n’est même plus possible. À bout de souffle, les soignants ont lancé une ultime bouteille à la mer au Président de la République : « Monsieur le président […] nous vous avons écrit pour vous alerter sur la situation précaire de la pédiatrie, les risques et les pertes de chance encourus par les enfants et le désespoir des soignants qui en résulte. Un mois plus tard, nous restons sans réponse de votre part : votre silence est assourdissant », écrivent-ils dans une tribune collective publiée dans le journal Le Monde daté du 30 novembre.
Ils dénoncent une situation intenable où ils soignent des enfants sur les genoux de leurs parents, sont obligés de laisser dans des couloirs de la réanimation des enfants intubés et ne peuvent même plus transférer de patients : « Nous pensions que transférer des enfants à 300 kilomètres de chez eux était une dégradation majeure des soins, nous constatons qu’il pouvait y avoir pire : ne plus pouvoir transférer car l’épidémie a déferlé partout, saturant l’ensemble des services de pédiatrie français. Nous culpabilisions d’envoyer des adolescents au sein des services adultes, ce sont désormais des enfants de 3 ans que nous envoyons », assènent-ils. Pour ces soignants du Collectif Pédiatrie, la discipline a trop souffert d’être constamment une variable d’ajustement.
Seront-ils entendus ? Le 7 décembre, François Braun a lancé les travaux préparatoires des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant qui se tiendront au printemps 2023. Son comité d’orientation a été confié au Pr Christèle Gras Le Guen, professeure de pédiatrie, cheffe de service à Nantes et présidente de la Société française de pédiatrie et Adrien Taquet, ancien secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles. Leur objectif : « Faire évoluer durablement la prise en charge et plus largement la santé de l’enfant ». Mais il faudra donc aux soignants serrer les dents pendant l’hiver avant de découvrir au printemps les résultats de ces travaux et la feuille de route que le Gouvernement souhaite donner à la pédiatrie. Dans cette attente, les plans blancs se multiplient dans les hôpitaux pour faire face à une épidémie de bronchiolite particulièrement forte et à l’augmentation inhabituelle et inquiétante de cas graves d’infections à streptocoques, dans un contexte de manque de certaines molécules pédiatriques, en particulier dans les officines de ville.
En 2020, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), avec l’appui du Pr Brigitte Chabrol, présidente du Conseil national professionnel (CNP) de pédiatrie avait brossé un portrait préoccupant de la pédiatrie française. Selon ce rapport, les difficultés viennent en premier lieu de problèmes démographiques déjà pointés dès 2006 par le rapport sur la pédiatrie du Pr Sommelet. Dans le bilan de 2020, l’Igas confirme un recul démographique important, notamment dans le secteur libéral avec un rôle déclinant de la pédiatrie de ville, assumée en grande partie par la médecine généraliste. À l’inverse, l’évolution démographique de la pédiatrie hospitalière et de la chirurgie pédiatrique, deux disciplines dont l’activité est réalisée très majoritairement à l’hôpital public, est plus satisfaisante, avec le développement de « surspécialités » telles que la néonatalogie, la pneumo-pédiatrie ou encore la neuropédiatrie. Néanmoins, la pédiatrie peine à attirer les étudiants, notamment « en raison d’une charge de permanence et de continuité des soins particulièrement importante, notamment aux urgences pédiatriques », note le rapport. Avec pour conséquence des problèmes de recrutement dans les centres hospitaliers, au sein d'équipes déjà réduites, et une focalisation quasi-exclusive sur le secteur public. Ajoutée à cela la pénurie de personnels formés aux problématiques pédiatriques (anesthésie réanimation, infirmières spécialisées), on en arrive à une défection pour la pédiatrie. Signe ultime du manque de reconnaissance que subit cette spécialité, le diplôme d’infirmière puéricultrice n’a connu aucune évolution depuis 1983 et il n’y a plus aucun stage ou formation obligatoire en pédiatrie dans le cursus infirmier actuel. Résultat, aujourd’hui, « Ce sont des infirmiers des réanimations adultes qui viennent à la rescousse : ils n’ont jamais soigné un enfant, qu’à cela ne tienne, ils s’occuperont désormais de nourrissons en réanimation », alerte le collectif Pédiatrie. Pour eux, il faut sortir du paradigme « petits enfants = petites urgences avec petits moyens ».