sur le terrain
DOSSIER
Cadre IADE, chargée de formation en IFSI, Hôpital nord-ouest de Villefranche-sur-Saône
Les élèves aides-soignants rencontrent souvent des difficultés avec l’orthographe, notamment celle des termes médicaux, mais aussi avec la compréhension de ce qu’ils lisent et écrivent. Toutefois, l’arrêté du 10 juin 2021 relatif à la formation conduisant au diplôme d’État d’aide-soignant demande que soit assurée une remise à niveau en français. Est-ce le rôle du formateur ? Des fautes d’orthographe peuvent-elles occasionner un risque pour les patients ?
L’arrêté du 10 juin 2021 relatif à la formation conduisant au diplôme d’État d’aide-soignant et portant diverses dispositions relatives aux modalités de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux stipule qu’un dispositif d’accompagnement des apprenants par le formateur doit être programmé en institut de formation aide-soignante (Ifas). Notamment, l’accompagnement pédagogique individualisé (API), d’une durée de 35 heures, doit être effectué dans les trois premiers mois de la formation. Son objectif est de réaliser un accompagnement ciblé compte tenu de la diversité des profils et des nouvelles modalités d’accès à la formation. Il vise à développer des compétences manquantes ou insuffisantes, notamment en matière de maîtrise du français. Les formateurs ont noté de la part des élèves une augmentation des fautes d’orthographe, des difficultés de lecture et de compréhension des textes ou des cours. Or, l’élève aide-soignant doit connaître le vocabulaire médical pour échanger avec ses pairs. Les formateurs s’interrogent : doivent-ils faire fi, ou non, des fautes d’orthographe concernant le vocabulaire médical ? Sont-ils compétents pour enseigner les bases de la grammaire et de l’orthographe et est-ce leur rôle ? Un apprenant qui rencontre des difficultés d’expression écrite peut-il devenir soignant ? Cela comporte-t-il des risques pour le patient ?
En novembre 2016, une enquête du ministère de l’Éducation nationale montrait une baisse globale du niveau d’orthographe chez les élèves de CM2, toutes catégories sociales confondues. Selon Loïc Drouallière, enseignant-chercheur à l’université de Toulon : « Le langage SMS a causé des ravages car les jeunes écrivent et lisent des mots mal orthographiés. Et comme ils lisent de moins en moins de livres, c’est le mauvais usage du français qui s’imprime dans leur mémoire »(8). Des tests d’orthographe réalisés auprès d’écoliers de CM1 classent la France 34e sur 50 pays(9). Depuis 15 ans, le niveau chute.
Or, les fautes d’orthographe entraînent des conséquences dans le monde du travail, d’autant plus dans le secteur des soins, car elles rendent plus difficiles la lecture et la bonne compréhension de ce qui est lu.
En 1967, la France comptait seulement 61,7 % de réussite au baccalauréat général, contre 63,9 % en 1980, 78, 6 % en 2001, 90,5% en 2021 (sachant que le contexte sanitaire de 2020 n’a pas permis aux lycéens de passer les épreuves habituelles). Entre 1967 et 2021, ce taux de réussite a donc augmenté de près de 30 points(10).
Les baccalauréats professionnels, quant à eux, voient leur taux de réussite passer de 79,1 % en 1997 à 82,6 % en 2018. Ces chiffres sont intéressants car les personnes titulaires d’un bac professionnel Sapat (Services aux personnes et aux territoires) ou ASSP (Accompagnement, soins et services à la personne) sont désormais admises en formation aide-soignante : l’arrêté de 2021 précise que « des équivalences de compétences, de blocs de compétences ou des allègements partiels ou complets de certains modules de formation [leur] sont accordées »(11).
Enfin, concernant les bacs technologiques, en 1997 le taux de réussite était de 77,7 % contre 88,9 % en 2018. Notons que les élèves aides-soignants titulaires du baccalauréat Sciences et technologies de la santé et du social (ST2S) doivent suivre la formation en cursus complet. Nous pouvons alors nous interroger : « Qu’en est-il de la valeur du baccalauréat aujourd’hui ? Il s’agit d’un débat qui se renforce chaque année à mesure que le nombre d’admis augmente »(10).
Nous aurions pu poursuivre l’étude de ces statistiques en analysant le nombre de bacheliers de la filière littéraire par rapport à ceux de la filière scientifique ; ceux qui ont appris le latin ou le grec, de moins en moins nombreux aujourd’hui. À ce sujet, Jacqueline de Romilly pense notamment que « Le latin peut apprendre […] à mieux maîtriser le français […] La culture littéraire peut compenser les inégalités […] Mais je crois que la formation littéraire peut contribuer à donner le sens des responsabilités. Elle permet d’analyser les problèmes, de définir les priorités, d’être plus à l’aise dans les rapports avec autrui »(12).
La formation aide-soignante accueille aujourd’hui des élèves de différentes filières : baccalauréat général, technologique (ST2S), professionnel (Sapat, ASSP), mais aussi des diplômés : auxiliaire de puériculture, ambulancier, auxiliaire médicopsychologique, des assistants de régulation médicale, des assistants de vie aux familles (AVF), des agents de service médicosocial (AVS) ou des agents de services hospitaliers qualifiés (ASHQ) de la fonction publique hospitalière. Certains Ifas accueillent aussi des apprentis(11). Enfin, la formation peut être réalisée, selon les profils, en cursus complet ou partiel. Cette disparité est certainement source de difficultés dans les apprentissages, dans l’écriture. En 2020 et 2021, les vagues pandémiques liées au Covid-19 impactent lourdement la formation de tous les élèves. Les promotions aides-soignantes travaillent en distanciel, ce qui nécessite de posséder son propre matériel informatique avec une connexion fiable, ainsi qu’un espace de travail dédié. De nombreux apprenants vivent dans la précarité et ils éprouvent des difficultés face à cette situation. Certains avouent par la suite avoir « lâché prise » durant ces temps hors les murs de l’Ifas.
Les effets de la pandémie, ainsi que la diversité des profils des apprenants, les cursus complets ou partiels (selon la date du diplôme, les temps de présence en Ifas sont différents), impactent fortement l’acquisition des connaissances et l’expérience professionnelle.
En pratique, il semble que les apprenants se familiarisent alors davantage avec un jargon professionnel, à défaut d’acquérir un vocabulaire médical. Ils peuvent rencontrer des difficultés à rejoindre un groupe, à s’ouvrir aux diverses cultures des apprenants de la promotion, à donner leur confiance au soignant. De son côté, le professionnel en exercice peut éprouver des difficultés à faire confiance au stagiaire/apprenant, d’autant plus dans un contexte hospitalier en tension où il manque de temps… Ce soignant, éventuellement jeune diplômé, encadre un apprenant qui ne maîtrise pas encore tous les termes médicaux de son service. L’un vient acquérir un savoir, l’autre demande qu’un soin de qualité soit réalisé. La réciprocité au sein du groupe d’apprenants et apprenant-soignant risque de ne pas se construire, laissant la place à une relation en sens unique, deux finalités ne tendant plus vers le même but.
Les formateurs d’aides-soignants ou d’infirmiers constatent que les apprenants rencontrent des difficultés avec l’orthographe, qui s’amplifient au fil des ans, tant dans le domaine de l’expression orale, que de l’expression écrite et la compréhension des cours. Pour autant, doivent-ils remédier à ces problèmes pointés par les études dès l’école primaire ?
L’accès à la formation aide-soignante n’est pas conditionné à l’obtention d’un diplôme, il s’effectue par différentes voies et les modalités de sélection ont été modifiées en juin 2021 afin de permettre une arrivée plus importante d’aides-soignants pour combler les manques d’effectifs dans les services de soins. La sélection est réalisée sur dossier et l’entretien a été abandonné à la suite de la pandémie. Certains candidats sont dispensés des épreuves de sélection (ASHQ de la fonction publique hospitalière, agents de service), enfin la formation est proposée à des candidats de façon partielle (selon les titres et les certifications professionnelles conduisant à des équivalences de blocs de compétences ou à des allègements de formation(13)) ou continue. Cette situation a mené les Ifas à abandonner les préparations aux concours, qui permettaient aux candidats de se familiariser avec l’expression écrite et orale, de se faire aider pour comprendre les consignes, d’acquérir ou de développer des connaissances de culture générale.
L’arrêté de 2005 (module 2) et celui de 2021 (bloc 2 module 3) imposent aux apprenants de s’approprier et d’utiliser le vocabulaire professionnel nécessaire pour décrire l’état clinique d’une personne(11).
Le formateur est alors confronté à un dilemme : doit-il réaliser, avec les apprenants, des fiches pour les aider dans leurs acquisitions ? Peut-il accepter les fautes d’orthographe dans les termes du vocabulaire médical comme « umérus », « omoplat », « femure », « radiusse » dans un schéma de squelette ; ou bien « émato », « san »… ?
Les avis dans les équipes de formateurs sont partagés. Sachant que le bloc 2 module 3 de la formation, « Évaluation de l’état clinique d’une personne », compte 77 heures, il faut effectuer au moins 4 heures de formation sur le vocabulaire médical. Les formateurs chargés de ce cours expriment souvent une certaine frustration face aux fautes d’orthographe des élèves. D’autres pensent que phonétiquement le mot est compris s’il est bien positionné sur le schéma. D’autres encore estiment que ce n’est pas leur rôle de former les élèves en français, mais celui des parents et de l’Éducation nationale.
Par ailleurs, les formateurs éprouvent très souvent des difficultés à comprendre ce que l’élève a écrit lors de la rédaction d’une situation clinique ou d’une évaluation. Ces apprenants, formés à la traçabilité orale et écrite de leurs actes, seront-ils compris par leurs pairs ? Peuvent-ils écrire « Iel à une émoragie dans le service de réa » ? Se pose la question de l’insécurité ou du risque éventuel induit pour le patient.
Comment les Ifas peuvent-ils agir dans ce contexte ? La question est complexe et les enjeux, nombreux, sont à la fois économiques, politiques et sociétaux. De façon concrète, le patient comprendra-t-il les informations concernant son état de santé ? L’infirmier fera-t-il confiance à son binôme aide-soignant ? Comment le cadre de proximité devra-t-il réagir ?
Des outils pédagogiques pourraient sans doute être proposés pour aider les apprenants dans ce contexte, tout en veillant à ne pas les infantiliser : programmer des temps de lectures d’articles courts en lien avec les pathologies abordées, proposer un résumé des points essentiels à la fin du cours, utiliser plus fréquemment le vocabulaire professionnel durant les interventions pour qu’ils s’en imprègnent, les inciter à écrire plusieurs fois des termes médicaux jusqu’à ce qu’ils ne fassent plus de fautes d’orthographe …
Les apprenants, qui sont d’âges et de milieux sociaux différents, sont toutefois, dans leur grande majorité, familiarisés aux technologies de l’information et de la communication. Ils peuvent s’en saisir pour stocker des données fiables et traiter les informations de façon optimale. Le formateur pourrait s’appuyer sur les recherches de l’élève pour l’aider à apprendre, réajuster les méthodes d’apprentissage lors des dispositifs d’accompagnement (dont le suivi pédagogique individualisé qui comporte 7 heures réparties tout au long de la formation), lire les résumés des cours si l’élève en fait la demande, etc.
La méthode de la classe inversée, pour certains cours, est intéressante car elle encourage la motivation de l’apprenant et permet au formateur de détecter rapidement les difficultés pour y remédier. Toutefois elle demande de disposer de locaux adaptés, d’un nombre de salles suffisant, de formateurs disponibles, de matériel informatique et de connexions performantes.
Il s’agit avant tout d’impliquer l’élève dans ses apprentissages et de favoriser les échanges pour lui faire prendre conscience des enjeux d’une orthographe erronée, d’une expression orale ou écrite peu compréhensible, de la possibilité d’un contresens. L’objectif premier est d’éviter le risque d’erreur ou de mauvaise qualité des soins. Et bien évidemment, les fautes d’orthographe ne mettent pas toutes le patient en danger…
Le rôle du formateur est aussi d’inviter l’apprenant à prendre en compte son environnement et sa place au sein de celui-ci(14), pour mettre ses connaissances au service de l’équipe.
L’aide-soignant est un professionnel qui s’engage dans des relations humaines, en maintenant une juste distance avec les patients, qui accepte d’endosser des responsabilités, de développer ses savoirs et d’améliorer la qualité des soins.
Le bloc 3 de la formation, modules 6 et 7, « Relation et communication avec les personnes et leur entourage » et « Accompagnement des personnes en formation et communication avec les pairs » l’invitent à établir une communication adaptée avec le patient et son entourage, mais aussi à connaitre les règles et procédures de communication dans un contexte professionnel.
Le bloc 5, modules 9 et 10, « Traitement des informations » et « Travail en équipe pluriprofessionnelle, qualité et gestion des risques » doit l’amener à savoir transcrire les données recueillies, et transmettre, par les modalités de communication les plus appropriées, les informations, observations relatives à la personne et à son environnement. Ses recueils doivent être fiables, pertinents et de qualité.
Dans ce cadre, il semble important de prendre en compte les difficultés observées par les formateurs chez les apprenants aides-soignants en Ifas, en matière de fautes d’orthographe, de compréhension de texte et de lecture, car elles peuvent avoir des conséquences sur la qualité et la sécurité des soins, et sur le professionnalisme d’une équipe. Cette réflexion doit associer de façon large les instances, les formateurs d’Ifas et d’Ifsi ainsi que les universitaires, afin d’émettre des propositions qui feront consensus.
« Le français est une langue romane. Sa grammaire et la plus grande partie de son vocabulaire sont issues des formes orales et populaires du latin. »(1) Un article de l’ordonnance de Villers-Cotterêts signée par François Ier en 1539 stipule que : « Afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence des arrêts de justice, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait, ni puisse avoir, aucune ambiguïté ou incertitude, ni lieu à demander interprétation. »(1) Ainsi, « l’attachement résolu à la langue française répond à une exigence à la fois politique, juridique et littéraire »(1).
De nombreuses réformes de la langue française voient le jour. En 1990, le Conseil supérieur de la langue française fait paraître au Journal officiel des rectifications de l’orthographe(1). La dernière mise à jour, le 8 novembre 2021, par l’Académie française, concerne la prise en compte des évolutions dites « naturelles » de la langue française et l’entrée en vigueur de nouvelles orthographes déjà proposées en 1990(2). Surgit ensuite le sujet de l’écriture inclusive, dont l’un des objectifs est d’établir la parité femme/homme dans la langue française. Cela complexifie l’écriture et provoque de nombreuses polémiques, jusqu’à constituer « un épouvantail politique »(3-5).
Chaque année, de nouveaux mots et expressions apparaissent dans le dictionnaire Petit Larousse. L’édition 2022 inclut 170 nouvelles occurrences(6). Bernard Cerquiglini, professeur de linguistique et conseiller scientifique de l’ouvrage, témoigne : « Je n’avais jamais vu un tel changement linguistique. Cela me rappelle ce qui s’est passé pendant la Révolution française : un bouleversement, l’apparition de mots et de sens nouveaux et surtout une appropriation collective de la langue »(6).
Enfin, le pronom « iel », composé de « il » et de « elle », est inventé dans le but de ne pas préciser le genre de la personne qu’il représente. Le mot « Iel » est recensé dans le service en ligne du dictionnaire Le Robert qui propose cette définition : « pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre »(7).
1. Le français aujourd’hui. Académie française, https://www.academie-francaise.fr/la-langue-francaise/le-francais-aujourdhui
2. Le guide complet de la nouvelle orthographe, La langue française, https://www.lalanguefrancaise.com/orthographe/guide-complet-nouvelle-orthographe
3. L’écriture inclusive, un débat très politique, https://www.franceculture.fr/politique/lecriture-inclusive-un-debat-tres-politique
4. Dans une circulaire en date du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, le premier ministre a demandé à ce qu’il ne soit pas fait application de l’écriture inclusive dans les textes officiels. Par la décision n°417128 du 28 février 2019, le conseil d’État rejette les recours formés par l’association requérante, confirmant ainsi que l’écriture inclusive ne s’applique pas aux textes officiels, https://kiosque.bercy.gouv.fr/alyas/search/print/lettre-daj/11263
5. Règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports et les pratiques d’enseignement, circulaire du 5 mai 2021, https://www.education.gouv.fr/bo/21/Hebd018/MENB2114203.htm
6. « Télétravailler », « cluster », « réa »… Les nouveaux mots du Larousse marqués par la crise sanitaire, https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/05/teletravailler-cluster-rea-les-nouveaux-mots-du-dictionnaire-marques-par-la-crise-sanitaire_6079193_3224.html
7. Que veut dire le pronom « iel » ?, https://www.lejdd.fr/societe/que-veut-dire-le-pronom-iel-4077998
8. Le niveau d’orthographe en chute libre en France, https://www.kelprof.com/a/francais/55/le-niveau-dorthographe-en-chute-libre-en-france
9. Niveau de lecture des écoliers : la France parmi les derniers de la classe européenne. Le Parisien, https://www.leparisien.fr/societe/niveau-de-lecture-des-ecoliers-la-france-derniere-en-europe-05-12-2017-7433781.php
10. Historique de l’évolution du taux de réussite au bac de 1967 à 2020, https://www.cours-thales.fr/preparation-bac/taux-de-reussite-au-bac
12. Grand angle avec Jacqueline de Romilly. Enseigner, c’est armer les jeunes pour le changement. Les Echos, 17 octobre 1996.
13. Müller C, ,Gassier J, Géracfas. Guide Aide-soignant, nouveau programme 2021, 5e édition, Elsevier, 2021, pp.128-130.
14. Professionnalisme, https://www.cairn.info/dictionnaire-des-concepts-de-la-professionnalisation-9782804188429-page-237.htm