La maltraitance en Ehpad est très présente dans les médias depuis le scandale du groupe Orpéa. À l’inverse, des établissements revendiquent être bientraitants en affichant des labels. Un moyen de rassurer les résidents, leurs familles, et de mobiliser le personnel autour de valeurs communes. Une façon, aussi, de maintenir un niveau de qualité satisfaisant dans le temps, condition indispensable au renouvellement des labels.
La bientraitance, est, selon l’encyclopédie Larousse, « l'ensemble des soins, des actes et des comportements exercés par l’entourage familial ou professionnel d'une personne et qui procurent un bien-être physique et psychique au bénéficiaire ». Le concept de bientraitance a émergé en France au début des années 2000, mais il a fallu attendre 2013 pour que ce mot entre dans le dictionnaire. Être bientraitant n’est pas uniquement agir en absence de maltraitance. C’est une démarche active que la Haute Autorité de santé définit comme « une manière d’être, d’agir et de dire soucieuse de l’autre, réactive à ses besoins, respectueuse de ses choix et de ses refus ».
Anne Picard, fondatrice de la société de formation Ax’aide et du label Établissement Bien Traitant®, explique dans l’une de ses chroniques que « La bientraitance partage les mêmes fondements que la bienveillance, mais elle s’en distingue car elle intègre le point de vue de l’autre avant toute action. (…) Seul l’autre pourra me dire si je suis dans sa bientraitance et s’il la ressent. Elle suppose donc une adaptation permanente, personnalisée, dans chacune de nos interactions. Dès lors, la bientraitance peut s’exercer par des individus, des organisations ou des collectivités qui, par leurs actions, placent le bien-être des personnes au cœur de leurs préoccupations. » Consultante dans le secteur médicosocial depuis plus de 25 ans, elle forme et labélise des établissements sociaux et médicosociaux pour garantir que la structure développe la culture de la bienveillance et que les conditions sont réunies pour la prévention et la gestion du risque de maltraitance. « Le label Établissement Bien Traitant® permet de valoriser les établissements et les personnes qui s’engagent dans la bientraitance et de faire reconnaître leurs bonnes pratiques. C’est un moyen de tirer vers le haut. »
Six étapes sont nécessaires pour le décrocher. Les deux premières – adhérer aux valeurs du label et s’engager vers la labélisation – sont à mener en interne, par l’établissement. Le cabinet intervient directement pour les suivantes : se former à la mise en route vers le label, développer des compétences certifiantes à son obtention, se faire labeliser et maintenir les acquis du label. Anne Picard revendique 60 établissements labellisés ou en cours de labélisation, et en espère 200 d’ici à la fin de l’année. Pour elle, l’adhésion de toute l’équipe est essentielle : « La formation à la bientraitance et à la prévention de la maltraitance doit toucher tout le monde, du cuisinier au soignant. Je forme des experts en interne et les équipe d’outils d’auto-diagnostic croisés avec le nouveau manuel de la qualité. » L’audit initial est réalisé à la demande de l’établissement par un auditeur, Apave Certification, dans un délai de 2 ans maximum après le début de la démarche. Un audit de surveillance est réalisé 2 ans et demi après la labélisation, puis un audit de renouvellement au bout de 5 ans. « Le label valorise les personnels, il est utile dans les appels à projet, les recrutements, et contribue à la fierté d’appartenance. C’est un vrai outil de management, souligne Anne Picard. Dans « l’Ehpad bashing » actuel, il apporte une réponse positive en termes d’image de marque. Il est temps de faire évoluer les mentalités ! »
Obtenir le label n’est pas une fin en soi : l’enjeu est de développer une culture de bientraitance dans l’établissement et de veiller à ce qu’elle soit réellement respectée et appliquée par l’ensemble de ses acteurs. « L’intérêt d’un label est de maintenir le niveau de qualité. Cela oblige à la rigueur, la discipline, à respecter la démarche qualité propre à la méthodologie », estime Gwenael Le Borgne, directrice des résidences Les Grands Jardins et Les Menhirs, en Ille-et-Vilaine. Ces établissements ont été formés à l’Humanitude dès 2004, alors que le Label Humanitude n’existait pas encore. « Nous sommes montés en compétence et, lorsque le label a été créé, nous étions à niveau. Notre objectif est différent de ceux qui veulent atteindre le label : nous souhaitons déployer la méthode, maintenir le niveau, progresser sur certains points. »
L’Humanitude, kesako ? Cette philosophie « s’intéresse aux liens qui permettent aux humains de se rencontrer quels que soient leur état, leur statut ». Le maintien de ces liens s’appuie sur trois piliers relationnels – le regard horizontal, c’est-à-dire que le soignant se met au même niveau que la personne, la parole, le toucher – et un pilier identitaire, la verticalité, la position debout des personnes accompagnées étant privilégiée, car signe de dignité. L’Humanitude s’appuie sur 150 techniques de soin innovantes qui permettent de professionnaliser l’accompagnement dans la bientraitance, dans le respect de cinq principes : « Zéro soin de force, sans abandon du soin », « Respect de la singularité et de l’intimité », « Vivre et mourir debout », « Ouverture vers l’extérieur », enfin « Lieux de vie, lieux d’envies ».
« Cette philosophie secoue les cultures d’entreprise, des soignants. Il y a 10 ans, des établissements pilotes se sont mis autour d’une table pour pérenniser l’approche et délivrer le label Humanitude, gage de bientraitance. Ce sont donc des professionnels qui labélisent les autres. Le label est accordé pour 5 ans et, tous les ans, l’établissement réalise une auto-évaluation sur 60 critères du référentiel », détaille Annie de Vivie, gérontologue, fondatrice d’Agevillage.com et coordinatrice des formations Humanitude. La formation vise en premier lieu le management, puis l’ensemble du personnel. Il faut compter 3 à 4 ans pour atteindre le niveau du label.
« Ce label s’appuie sur un référentiel qualité très dense. Il est exigeant en temps et en énergie, et a des impacts médico-économiques favorables car on constate une amélioration de l’autonomie fonctionnelle des habitants. La difficulté est que les établissements n’en bénéficient pas financièrement, ils doivent se battre en permanence pour leur budget alors qu’avec le label on constate de moindres taux d’hospitalisation, de prescription de médicaments, de dénutrition. » À ce jour, le label Humanitude a été délivré à une trentaine d’établissements et une centaine sont engagés dans la labélisation. Pour Annie de Vivie, la multiplication des labels de qualité va dans le bon sens : « Cela montre le besoin de structuration et d’outillage. Plus on aura de labels, plus on montrera la volonté des professionnels d’exprimer qu’ils sont fiers de ce qu’ils font ! »
Et, si les familles et résidents connaissent mal ces labels et s’y perdent un peu, l’essentiel est que la qualité soit au rendez-vous, comme le souligne Gwenael Le Borgne : « Nous sommes jugés sur les faits ! Bien qu’il soit difficile de maintenir le niveau dans un contexte de renouvellement important des effectifs depuis le Covid, nous veillons à former le personnel et à maintenir la philosophie Humanitude dans les établissements. Car c’est une manière de travailler qui va dans le bon sens : respecter le temps de sommeil de chacun, son rythme et ses envies, travailler non pas en blouse mais en tenue civile, au plus proche du domicile : cela satisfait les résidents, leurs proches, mais aussi les soignants. »
Anne Picard lors de l'inauguration du label Établissement Bien Traitant® à l'Ehpad Épissos d'Airaines (Somme), le 24 janvier 2023.Annie de Vivie, coordinatrice des formations Humanitude.