OBJECTIF SOINS n° 0292 du 17/04/2023

 

DOSSIER

Laurent Soyer   Nicole Tanda  

Infirmier, M. Sc (Recherche en sciences de l’éducation), cadre de santé, formateur en IfsiInfirmière puéricultrice, en sciences infirmières, chercheuse associée au Réseau de Recherche en Interventions en Sciences Infirmières du Québec (RRISIQ), membre invitée du Centre d’Innovation en Formation Infirmière (CIFI), cadre de santé formatrice

Quel est le lien entre la formation infirmière et le connectivisme ? Ce néologisme se rapporte en fait à la plus récente théorie de l’apprentissage, en prise directe avec la révolution numérique. En 1968, le sociologue Mc Luhan avançait déjà l’idée d’un « village global » : « Contracté par l’électricité, le monde n’est plus qu’un village »(1). Cette métaphore connaît aujourd’hui une seconde vie avec Internet et l’avènement d’une société connectée. « La société moderne se construit autour d’espaces virtuels où chacun peut se croire le centre du monde »(2). Les dispositifs de formation sont donc à reconsidérer à la lumière de ces avancées dans le domaine de l’apprentissage à l’ère digitale.

Introduction

La crise sanitaire liée à la Covid-19 est venue questionner les pratiques pédagogiques antérieures fondées essentiellement sur un format présentiel (face à face formateurs / formés). L’ingénierie pédagogique s’en est trouvée impactée, ce qui motive une actualisation des compétences des formateurs en Institut de formation aux métiers de la santé (IFMS), notamment en termes de digital learning. Il nous semble tout aussi pertinent au contexte actuel de porter la focale sur les théories de l’apprentissage qui forment le socle culturel des formateurs : « Nul ne peut prétendre favoriser l’apprentissage de l’autre et mettre en place les conditions pour qu’il apprenne, s’il ne cherche pas lui-même à élaborer, à construire et à expliciter une conception personnelle de l’apprentissage »(3). Dans le présent article, notre propos est de souligner l’intérêt majeur, pour les formateurs, de s’appuyer sur la théorie de l’apprentissage connectiviste(4, 5), en phase avec les publics d’apprenants et la digitalisation des dispositifs de formation. Après avoir présenté brièvement les principales théories de l’apprentissage, nous développerons le connectivisme et ses applications en formation infirmière.

Le connectivisme

En préambule, il est important de souligner que les recherches en éducation ont été réalisées dans des champs scientifiques différents (linguistique, psychologie, numérique…). Leurs auteurs de référence se sont parfois opposés et quelquefois méconnus (comme Piaget et Vygotsky). De même, ces théories de l’apprentissage s’ajustent plutôt dans une continuité de recherche que dans une succession de ruptures. Notre système éducatif actuel et, de fait, la formation infirmière, sont donc imprégnés de l’influence de l’ensemble de ces courants théoriques (figure 1).

Le connectivisme, théorie de l’apprentissage la plus récente développée par Siemens (théoricien de l’apprentissage canadien), reconnaît les bouleversements sociaux provoqués notamment par les nouvelles technologies dont le numérique, lesquelles impliquent que l’apprentissage n’est plus seulement une activité individualiste et endogène, mais qu’il dépend aussi de l’entourage et des outils de communication dont disposent les apprenants. « La co-construction de savoirs passe par le tissage de liens qui échappe à toute frontière institutionnelle » : le connectivisme s’inscrit alors dans la « notion de technologie du maillage de connaissances »(6). L’apprentissage consiste en une actualisation des connaissances. Le connectivisme s’étaye sur des constats d’évolution sociétale et s’appuie sur la mise en lumière de caractéristiques spécifiques (figure 2).

L’obsolescence des savoirs

Autrefois considérés comme stables, notamment en regard du modèle de l’instruction axé sur un mode pédagogique transmissif (du maître sachant vers l’apprenant majoritairement passif), les savoirs ont aujourd’hui une demi-vie de plus en plus courte (la demi-vie du savoir étant le laps de temps entre le moment où le savoir est acquis et le moment où il devient obsolète). Les savoirs de référence sont en reconstruction permanente. C’est le futur professionnel qui construit son référentiel. « La compétence nécessite davantage de savoir se situer dans le lien de contradiction, et donc d’évaluer (à l’estime) ce qui se fait en situation, que d’acquérir une fois pour toutes des gestes ou des savoirs transmis »(7). Ces phénomènes pris en compte, l’un des objectifs majeurs de l’apprentissage est l’actualisation des savoirs des apprenants, puis de leurs connaissances, notamment via les bases de données (accès à la littérature professionnelle et scientifique en ligne), pour obtenir des connaissances exactes et à jour.

La recherche de l’information

Plus que les savoirs, c’est la recherche de l’information qui constitue la quête de l’apprentissage. L’information revêt en effet un caractère plus large que les savoirs en termes de ressources pédagogiques à convoquer, notamment pour problématiser ou analyser des situations professionnelles. La compréhension de l’emplacement où il est possible de trouver l’information supplante la transmission historique des savoirs. Le connectivisme s’envisage comme la capacité à vivre, apprendre, communiquer dans un monde d’instantanéité. Une compétence clé en termes de professionnalisation consiste à savoir rechercher l’information la plus fiable pour prendre les meilleures décisions au regard de la qualité des soins. Par exemple, le mémoire ou travail de fin d’études (MFE/TFE) peut susciter, chez l’ESI, le réflexe de rechercher des données probantes comme ressource pour problématiser les situations de soins et ainsi opter pour la réponse soignante la plus pertinente à la situation et à l’avancée des recherches. La capacité à opérer la distinction entre l’information importante et l’information sans importance (voire la fake news) est essentielle. En effet, le chaos informationnel, médiatique, constitue une nouvelle réalité. Le chaos correspond à une rupture de la prévisibilité. La capacité à prendre une décision devient alors également une compétence à part entière qui s’obtient par un processus d’apprentissage. La signification de l’information et les éléments qu’il faut apprendre sont examinés à travers le prisme d’une réalité instable, changeante. Bien qu’il y existe une réponse efficace ou efficiente aujourd’hui, elle pourrait être inadaptée ou obsolète demain en raison de l’actualisation de l’information.

Les compétences et le tissage de connexion

Le développement de compétences ne peut donc plus dépendre uniquement d’un cadre institutionnel, même en alternance, mais il s’inscrit dans un tissage de connexions extramuros. Ce tissage, ou cette complexité (du latin complexus : tisser ensemble), amène deux considérations. L’apprentissage est compris comme un processus de connexions avec des liens vers des sources d’informations et des nœuds plus spécialisés comme des micro-réseaux, des communautés de pairs ou des sociétés savantes… La connexion aux autres, l’accès à une connaissance plurielle et au partage constituent le Saint Graal. En effet, comme nous ne pouvons pas tout expérimenter, les expériences des autres deviennent le complément d’un apprentissage individuel. Le connectivisme valorise donc l’apprentissage collaboratif.

La co-construction de connaissances

Le connectivisme s’inscrit, nous l’avons dit, dans la notion de technologie (apports des nouvelles technologies) du maillage de connaissances. Le connectivisme rejoint ici le socioconstructivisme par le fait que l’apprentissage et la connaissance reposent sur la diversité des opinions. L’apprentissage se fonde bien alors sur la capacité à établir des liens entre les sources d’information (à réseauter), et donc cognitivement à créer des modèles d’informations indispensables pour apprendre une forme d’auto-organisation. Dans ce prolongement, apprendre s’ajuste aussi à une capacité à entretenir ces liens pour faciliter l’apprentissage continu. La construction identitaire professionnelle se trouve catalysée par la co-construction de connaissances en réseau. L’ESI peut se connecter aussi bien à ses pairs qu’aux formateurs, aux professionnels en activité, aux associations ou aux réseaux de santé, au niveau national ou international, de manière quasi-universelle.

L’apprentissage pluriel

L’éducation, dans un cadre formel, institutionnel, ne représente plus la majeure partie des apprentissages. Apprendre, littéralement « prendre à soi », est désormais possible de diverses façons, par exemple par l’entremise de communautés de pratique, de réseaux personnels et de tâches liées au travail. Mucchielli(8) estimait en 2016 que 70 % des apprentissages sont réalisés dans l’activité professionnelle (ou en stage pour les ESI), 20 % en société (entre amis, en famille…) et seulement 10 % en formation conventionnelle (en milieu scolaire, en institut de formation…). Aujourd’hui, l’apprentissage connecté permet de reconsidérer ce triptyque et d’ajouter une nouvelle dimension qui mériterait d’être évaluée.

L’impact cognitif du numérique

La technologie numérique affecte de plus en plus nos modes de pensée. Un « recâblage » cognitif est constaté, selon différentes modalités. Par exemple, nous pouvons déléguer une part de nos fonctions cognitives à des outils numériques : effectuer des calculs ou des opérations simples et complexes grâce à des algorithmes, s’orienter sans utiliser nos sens (GPS)… Nous pouvons également déléguer nos apprentissages à des intelligences artificielles, ce qui rend caduque la nécessité d’acquérir certaines connaissances (ex : traduire des documents ou en corriger l’orthographe…). De même, des processus cognitifs comme le traitement de l’information peuvent maintenant être déchargés vers la technologie ou appuyés par celle-ci, comme par exemple le traitement de données textuelles lors de l’analyse d’entretiens dans le contexte de la recherche. Guité(9) a établi un tableau de 14 éléments clés du connectivisme, relevés lors d’une conférence de Siemens (tableau 1).

Applications du connectivisme en formation

Le référentiel de formation de 2009

La mise en œuvre du programme de formation 2009 a-t-elle répondu à sa philosophie, à son horizon professionnalisant, c’est-à-dire : « mieux préparer les infirmiers à l’exercice de leur métier aujourd’hui et demain avec la prise en compte des évolutions du métier d’infirmier : nouveau rôle de prévention, meilleure prise en charge des personnes âgées, coordination autour du patient et coopération interprofessionnelle, analyse des pratiques plus développée »(10) ?

Par ailleurs, ce programme de formation est-il actualisé, correspond-il au contexte sanitaire, aux nouvelles technologies disponibles et aux profils des étudiants contemporains ?

Approche sociologique des ESI

Il est assez ardu de dresser un profil des ESI. Il est préférable d’évoquer un melting pot de profils dont nous pouvons entrevoir des tendances mais pas de généralités. Ainsi, conjointement à l’avènement d’un recrutement sur dossier via Parcoursup, les filières Bac et Bac pro se trouvent représentées au sein des promotions d’ESI, avec une moyenne d’âge jeune. S’ajoute un profil d’ESI en reconversion professionnelle et un autre en promotion professionnelle. Depuis la rentrée 2022, les étudiants qui ont validé leur PASS (Parcours Accès Santé Spécifique) ou leur LAS (Licence avec option « Accès Santé ») et qui n’ont pas intégré les filières de santé MMOPK (Médecine, Maïeutique, Odontologie, Pharmacie, Kinésithérapie) peuvent directement entrer en deuxième année d’études infirmières. Cette dynamique encore expérimentale introduira des ESI peut-être plus à l’aise avec les outils numériques, sachant que les ESI actuels ne sont pas toujours familiarisés avec l’usage des outils bureautiques(11). Pour autant, les futures promotions d’ESI seront probablement plus compétentes, d’une part, pour avoir réalisé en partie leur parcours scolaire en distanciel du fait du confinement, et d’autre part, du fait de l’inclusion dans les cursus de l’apprentissage numérique (l’évaluation et la certification des compétences numériques avec Pix).

D’un point de vue purement sociologique, la majorité des ESI relèvent des générations Y nées entre 1980 et 2000, ou Z nées à partir de l’an 2000. Les générations Y, ou Digital natives (Millenials) ont eu une enfance marquée par l’apparition d’Internet, le smartphone, l’allongement de la « jeunesse », les loisirs, la qualité de vie au travail (QVT), l’écologie... De leur côté, les générations Z, ou « Ultra-connectées », correspondent à l’avènement des réseaux sociaux, de la célérité de la communication, des valeurs universalistes, du sens critique, du besoin de rétroactions et de renforcements positifs, de la crise sanitaire, de l’anxiété-dépression, de la liberté et de l’entrepreneuriat(12).

Cette prévalence de jeunes connectés est à mettre en balance avec la socio-démographie des formateurs. Le profil des formateurs correspondait en 2012-2013 à une majorité de plus de 40-50 ans(13), donc plutôt à la génération X.

Par ailleurs, les jeunes dans leur ensemble militent pour une pédagogie réellement différenciée : « Ils revendiquent des parcours qui combineront des envies et des compétences diverses »(14).

Une ingénierie pédagogique à repenser

S’appuyer sur le connectivisme implique de revisiter et actualiser le dispositif de formation infirmière, c’est-à-dire, concrètement, de repenser l’ingénierie pédagogique. Cet effort doit provenir de l’intérieur des instituts de formation et des équipes pédagogiques. Cela suppose de travailler différemment, avec plus de digital en présentiel (présentiel augmenté) et en distanciel, avec des composants dynamiques et interactifs, des groupes de révisions, de soutien, des sous-groupes de travail collaboratifs… Le formateur sera encore plus amené à adopter une posture d’accompagnant, de coach.  La mise en œuvre de formations hybrides, ainsi que la formation des formateurs qui se développe de plus en plus, peuvent être entrevues comme un pas signifiant vers le connectivisme, à condition d’en saisir pleinement la portée en termes d’apprentissage.

Se décentrer des savoirs théoriques et procéduraux

Cette réingénierie amènera les équipes pédagogiques à revoir les contenus pédagogiques. Il sera d’abord question de se décentrer des savoirs théoriques ou procéduraux pour favoriser la problématisation autour de situations emblématiques, de faire émerger l’essentiel pour professionnaliser l’ESI et lui permettre d’être performant en situation de travail. En conséquence, le formateur devra renoncer à certains contenus, privilégier la qualité, c’est-à-dire la réflexion et la métacognition autour de l’action, sur la quantité et la mémorisation lexicale (le « par cœur »). Il sera question d’articuler référentiel de formation, référentiel de compétences et référentiel d’activités, ce dernier méritant d’être davantage exploité.

Raisonner en mode ressources

La notion de ressources comprend et dépasse les savoirs, les informations, les données. Elle englobe tous les éléments pouvant permettre aux ESI de problématiser des situations professionnelles. Le travail du formateur consistera alors à sélectionner un panel de ressources ou de liens pour accéder à des données qui seront mises à disposition des ESI (documents déposés comme des cours, des podcasts, des capsules vidéos…, liens Internet, catalogues de bibliothèques : BU, BIU, CDI avec l’appui des compétences des documentalistes…). Toutefois, élaborer ces ressources ne signifie pas réinventer systématiquement. La question à se poser est : ces ressources existent-elles déjà ?

Lâcher prise sur l’évaluation contrôle

La réingénierie pédagogique consistera à sortir de la culture de l’évaluation normative, pour adopter une posture d’évaluateur accompagnant. Pour le formateur il sera alors question de travailler l’évaluation selon deux axes majeurs(15) : le repérage des erreurs, car souvent évaluer c’est identifier, et la valorisation, car évaluer c’est toujours valoriser l’ESI et sa progression dans son processus de professionnalisation et son projet professionnel.

Redonner l’initiative aux ESI

Un autre axe est de permettre aux ESI de développer un panel de compétences transversales, voire universelles. Il s’agit par exemple d’organiser son apprentissage, de se fixer un agenda de travail, de travailler en groupe en autonomie, en mode collaboratif ou projet, d’être créatif, d’apprendre entre pairs, de questionner systématiquement ses pratiques professionnelles et d’apprentissage, de s’appuyer sur l’autoévaluation… Toutes ces dimensions, qui se rapportent à l’autonomisation du sujet apprenant, sont à instiller de manière progressive. En effet, les ESI ont un vécu scolaire ou universitaire antérieur qui, globalement, s’inscrit dans un rapport au savoir où l’aspect transmissif est prégnant. Passer d’un apprenant majoritairement passif à un apprenant autonome et actif ne va pas de soi, notamment en première année. Par ailleurs, dans sa posture d’accompagnant, le formateur devra déconstruire certains stéréotypes liés aux compétences numériques ou à des lacunes en termes de prérequis (mathématiques, capacités scripturales…). Il a été prouvé dès les années soixante-dix, que l’attitude d’un enseignant croyant que ses élèves sont moins intelligents a pour effet de renforcer des résultats en deçà de l’attendu standard(16). Il est donc primordial de ne pas « materner » les ESI et au contraire, de les tirer vers le haut, de leur lancer des défis qui renforceront leur sentiment de réussite et leur motivation intrinsèque.

Expérimenter des potentialités pédagogiques innovantes

Durant la crise sanitaire, les équipes de formateurs se sont adaptées au format distanciel de manière empirique(17). Aujourd’hui, avec la prise en compte au niveau des plans de formation d’une nécessaire montée en compétences en digital learning (c’est-à-dire l’usage des outils digitaux dans la formation, qu’elle soit distancielle ou présentielle), les formateurs vont pouvoir peu à peu expérimenter de nouveaux scénarios pédagogiques et de nouveaux outils numériques. Les potentialités pédagogiques en lien avec le connectivisme et ayant un fort impact positif sur les apprentissages sont nombreuses (figure 3).

La classe inversée permet de dispenser en distanciel les contenus de bas niveau cognitif (sous formes de ressources pédagogiques à distance : vidéos, diaporamas, articles…), ce qui permet de travailler en présentiel les activités de haut niveau cognitif, comme le raisonnement clinique infirmier(18). La classe inversée catalyse également la conduite de projet entre pairs, au niveau institutionnel (Ifsi, établissement de soins…) ou à une échelle interdisciplinaire (ESI/étudiants MMOPK). D’un point de vue connectiviste, elle permet aux ESI de reprendre le pouvoir sur leur construction de connaissances et de privilégier, lors des temps en présentiel, le dialogue pédagogique, en passant plus de temps sur la problématisation, la réflexivité et les applications pratiques.

Le vidéo learning correspond à l’usage de la vidéo dans l’apprentissage. Il s’inscrit dans le courant psychopédagogique de Mayer(19) et s’appuie sur les recherches en matière d’apprentissage multimédia qui postulent qu’un apprentissage optimal se produit lorsque des matériaux visuels et verbaux sont présentés simultanément. En 2020, 7 consommateurs sur 10 préféraient ce format au texte pour découvrir un produit ou un service, et 90 % d’entre eux affirmaient que la vidéo les aide à prendre une décision d’achat. Par ailleurs, la vidéo est l’un des formats les plus efficaces sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook ou LinkedIn. Par exemple, une vidéo Facebook a en moyenne une portée 135 % plus élevée qu’une photo(20). « Le vidéo learning correspond à un public de jeunes coutumiers des plateformes vidéo. En effet, une étude régionale de 2017 souligne que 89,1 % des jeunes utilisent YouTube. Pour les formateurs, créer des vidéos peut amener une réelle plus-value pédagogique tout en prenant du plaisir dans leur réalisation »(20).

La gamification (ou ludification) correspond à introduire le jeu dans les apprentissages. Cette dynamique peut être mise en œuvre aisément via le recours à des outils auteurs, sous forme de jeux simples comme des quiz ou des drag and drop (glisser et déposer) … Une autre possibilité, nécessitant une scénarisation avancée, est l’escape game (jeu d’évasion) qui consiste à sortir d’une pièce ou d’une situation défavorable en un temps défini. Le jeu est réalisé en groupe (pédagogie collaborative), par exemple en réseau sur une application de communication collaborative. Le fait que les « joueurs » découvrent au fur et à mesure le scénario participe à l’apprentissage du raisonnement non analytique (ou instinctif) puis du raisonnement hypothéticodéductif, ainsi qu’à la gestion de l’imprévu en équipe. De même, utiliser un serious game (jeu sérieux) permet de mettre en scène sous forme ludique des situations professionnelles favorisant ainsi l’immersion émotionnelle de l’apprenant. Il se situe à l’interface du jeu vidéo et de l’e-formation, alliant apprentissages et plaisir. Il est possible par exemple de concevoir des chambres des erreurs (CDE) en distanciel synchrone sur un temps limité, où les ESI joueraient en réseau connecté. La motivation naturelle des étudiants pour le jeu permet la déclinaison de cette méthode pédagogique pour un apprentissage de situations complexes plus authentiques.

L’autoformation, comprise dans une approche connectiviste, place l’ESI dans la recherche d’informations. Celui-ci consulte des ressources digitales (sites Internet, bibliothèque interuniversitaire, base de données, données téléchargées…) pour répondre à une commande institutionnelle, dans le cadre notamment des TD et travaux personnels guidés (TPG) (lors des recherches documentaires pour le MFE/TFE). L’autoformation favorise l’autonomie, en développant des compétences méthodologiques et des connaissances théoriques. Elle permet également un apprentissage individualisé, l’ESI étant libre de convoquer les ressources en fonction de ses attentes, de compléter ses recherches documentaires via des découvertes en ligne ou son réseau de pairs.

La co-formation (formation coopérative ou collaborative) consiste à réaliser un projet en groupe d’ESI à partir d’un cahier des charges commun. Les ESI s’organisent pour la répartition des tâches à réaliser en collaboration en réseau, pour la gestion du temps et pour la restitution. La formation coopérative nécessite des capacités techniques (de l’animation de réunion à l’usage de matériels informatiques) ; des capacités d’élaboration à plusieurs, ce qui met en jeu aussi bien les dimensions affectives des personnes que la capacité à la rationalité dans l’étude des problèmes ; la nécessité pour chaque groupe de « gérer » les phénomènes de pouvoirs internes et externes. L’accompagnement, notamment distanciel, est assuré par un formateur référent. La formation coopérative répond à la nécessité de développer le travail d’équipe et les compétences collectives, ainsi qu’à la demande des jeunes étudiants qui « recherchent plus de coopération, plus de sens et moins de compétition »(14).

Conclusion

Dans une société dont l’environnement technologique évolue constamment, l’avenir proche s’ajuste à une transition éducative, où le défi du siècle va être de passer d’un enseignement et de formations massifiées à des parcours d’apprentissages individualisés. Ce qui signifie passer d’un formatage via un référentiel de formation à des parcours d’apprentissages différenciés. Dans cette dynamique, la question de la relation pédagogique avec l’étudiant et son environnement connecté est cruciale. L’universitarisation, encore balbutiante, est-elle en capacité d’offrir une telle possibilité aux ESI et aux formateurs ? La question reste vive, mais passera inévitablement par la prise en considération du connectivisme, théorie de l’apprentissage la plus en phase avec les évolutions sociétales.

Références

1. Mc Luhan, M. (1977). Pour comprendre les médias. Seuil (Points essais). P. 296.

2. Coudray, M. A. (2004). Le cadre soignant en éveil : la fonction d’encadrement au défi de la quête de sens. Séli Arslan (Perspective soignante). P. 85.

3. Donnadieu, B., Genthon, M., et Vial, M. (1998). Les théories de l’apprentissage. Quel usage pour les cadres de santé ? Interéditions Masson. P. 2-3.

4. Siemens, G. (2004). Connectivism: A Learning Theory for the Digital Age. http://www.elearnspace.org/articles/connectivism.htm 

5. Siemens, G. (2005). Connectivism: A Learning Theory for the Digital Age. International Journal of Instructional Technology & Distance Learning. http://www.itdl.org/Journal/Jan_05/article01.htm

6. Guité, F. (2007). Constructivisme, socioconstructivisme et connectivisme. http://www.francoisguite.com/2007/10/constructivisme-socioconstructivisme-et-connectivisme/

7. Vial, M. (2013). Évaluation et autoévaluation, quels espaces de formation ? Actes du 25e colloque de l’ADMEE-Europe. Fribourg (Allemagne).

8. Mucchielli, R. (2016). Les méthodes actives: Dans la pédagogie des adultes. ESF.

9. Guité, F. (2007). Conférence / connectivisme : George Siemens. http://www.francoisguite.com/2007/02/conference-connectivisme-george-siemens/

10. Coudray, M. A. et Gay, C. (2009). La réforme des études en soins infirmiers : quels enjeux, quelles perspectives ? La construction du référentiel de formation. Le contenu et principes de la mise en œuvre. Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins. Séminaire organisé par le ministère de la Santé et des Sports. P. 3.

11. Delon, B. (2021). Un nouveau profil pour accompagner la mutation numérique de la formation infirmière : le digital learning manager. Objectif Soins & Management, (281), 37-41.

12. Lassale, M. (2019). La génération Z est-elle vraiment différente des autres ? Udemnouvelles. https://nouvelles.umontreal.ca/article/2019/11/15/la-generation-z-est-elle-vraiment-differente-des-autres/

13. Soyer, L. (2013). Universitarisation de la formation initiale en soins infirmiers : Partenariat entre IFSI et Aix-Marseille Université : genèse d’un glissement paradigmatique ? Mémoire de Master Recherche 2e année « Éducation, systèmes d’apprentissage, d’évaluation et de formation », Aix-Marseille université.

14. Weixler, F. (2020). Amener chacun au meilleur de lui-même. Famille et Éducation, (533), 4-6. P. 6.

15. Bonniol, V. (1996). La passe ou l’impasse. Le formateur est un passeur. En question. Les Cahiers, (1), 9-27. P. 16.

16. Gounelle, L. (2008). L’homme qui voulait être heureux. Anne Carrière.

17. Soyer, L. et Tanda, N. (2020). Covid-19. Vécu des formateurs d’IFSI et réingénierie du dispositif de formation. Objectif Soins & Management, (276), 48-58.

18. Soyer, L. et Tanda, N. (2021). La formation. Dans M. C. Daydé (Dir.), Pratiques soignantes et crises sanitaires : témoigner, apprendre et prévenir. (P. 103-120). Lamarre. Collection : Soigner et accompagner. P. 117.

19. Mayer, R. E. (2014). The Cambridge Handbook of Multimedia Learning. Cambridge University Press.

20. https://www.youlovewords.com/content-marketing/motion-design/