OBJECTIF SOINS n° 0292 du 17/04/2023

 

Pratique hospitalière

DROIT

Gilles Devers  

Avocat à la cour de Lyon

Exercice sans inscription à l’ordre national des infirmiers, administration de produits morphiniques sans prescription médicale, faute pour une recanulation tardive, faute commise par une étudiante infirmière, gestion d’une urgence après l'horaire de travail ou violation du secret professionnel : voici quelques décisions de jurisprudence concernant la responsabilité infirmière.

Exercice sans inscription à l’ordre national des infirmiers

Avant le 14 juillet 2018, la non-inscription à l’ordre national des infirmiers était une faute, à apprécier dans le contexte général. Désormais, c’est une question stricte de légalité (CA Lyon, 22 février 2023, n° 19/07999).

Faits

Le 10 octobre 2016, la clinique a remis à une infirmière une lettre de mise en demeure aux termes de laquelle elle lui reproche de ne pas avoir régularisé de demande d'adhésion à l'ordre national des infirmiers « suite à de nombreux rappels verbaux suivis de deux notes de service » et « malgré son engagement en ce sens ».

La clinique précise qu'elle suspend l'activité professionnelle de l’infirmière dans l'attente du justificatif de son adhésion à l'ordre et l'informe qu'à défaut de satisfaire à cette exigence légale, elle en tirera les conséquences quant à la poursuite de son contrat de travail.

L’infirmière est passée outre, et elle a été licenciée pour faute grave, à effet immédiat.

Droit applicable

L'article L4311-15 du Code de la santé publique (CSP) prévoit une obligation d'enregistrement des infirmiers auprès de l’ordre avant leur entrée dans la profession, et dispose que nul ne peut exercer la profession d'infirmier s'il n'est pas inscrit au tableau de l'ordre des infirmiers. 

Cet article énonce que les modalités d'application sont fixées par décret, et le décret d'application n° 2018-596 du 10 juillet 2018, inclus à l'article D4311-52-2 du CSP, prévoit que les employeurs tiennent à jour des listes des infirmiers relevant de leur effectif, et les transmettent au conseil national de l'ordre des infirmiers.

« II.- À partir des informations communiquées par le conseil national à chaque conseil départemental ou interdépartemental de l'ordre concerné, ce conseil identifie ceux des infirmiers qui ne sont pas inscrits au tableau et procède à leur inscription provisoire dans l'attente de la communication des pièces nécessaires à l'instruction du dossier.

Le conseil départemental ou interdépartemental informe sans délai le professionnel et la structure qui l'emploie de cette inscription provisoire et communique à l'infirmier concerné la liste des pièces à fournir, en application des articles R4112-1 et R4311-52, dans le délai de quatre mois, en vue de son inscription au tableau.

À défaut de transmission du dossier complet dans les quatre mois, le conseil départemental ou interdépartemental de l'ordre informe le professionnel, par tout moyen, qu'il se trouve dans l'impossibilité de vérifier les conditions nécessaires à son inscription définitive au tableau de l'ordre et que, en l'absence de communication de sa part des pièces demandées dans le délai d'un mois, son inscription provisoire prendra fin automatiquement. Le conseil départemental ou interdépartemental de l'ordre en informe également la structure publique ou privée employant l'infirmier, ainsi que le conseil national ».

Cette procédure est entrée en vigueur le 13 juillet 2018.

Analyse

Avant l'embauche, le 31 mai 2016, deux contrats de travail à durée déterminée, successifs, avaient été signés entre les parties.

Le 24 octobre 2014, le directeur de la clinique a demandé à plusieurs infirmières de s'inscrire au tableau national de l'ordre des infirmiers avant le 31 décembre 2014, indiquant que dans le cas contraire, il serait dans l'obligation de mettre fin à leur contrat puisqu'ils ne pourraient exercer la fonction d'infirmier dans l'établissement. Ainsi, la clinique a accepté d'embaucher l’infirmière en mai 2016 en sachant qu'elle n'était pas inscrite au tableau de l'ordre.

L'employeur ne peut, par ailleurs, considérer que l'absence d'inscription constituait une faute d'une gravité telle qu'elle imposait la cessation immédiate de la relation de travail alors qu'il a laissé la salariée exercer sa prestation de travail pendant ses contrats de travail antérieurs, l'a réembauchée et a attendu plus de quatre mois avant de lui délivrer une mise en demeure d'avoir à respecter cette obligation. Ainsi, la non-régularisation par la salariée de son inscription au tableau de l'ordre des infirmiers ne présentait pas un caractère fautif à la date du licenciement.

Dans ces conditions, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Commentaire

Cette jurisprudence concerne les situations de non-inscriptions antérieures au 13 juillet 2018 : en l’absence de décret d’application de la loi, la non-inscription était une faute, et nous voyons comment le juge modère la réalité de cette faute dans un contexte large de tolérance des non-inscriptions. Pour des situations postérieures au 14 juillet 2018, le juge ne pourrait se placer sur ce même terrain, mais il devrait le faire sur celui de la légalité stricte. La tolérance n’a pas créé de droit, et sans inscription, l’employeur ne peut légalement garder une infirmière à l’effectif (encadré 1).

Administration par l’infirmière de produits morphiniques sans prescription médicale

Confrontée à une demande impérieuse sur le plan clinique, avec la réalité d’un traitement au long cours, une infirmière qui a délivré un traitement morphinique sans prescription, mais en avisant les médecins et en complétant le dossier, n’a pas commis de faute (CA Riom, 21 février 2023, n° 20/01641).

Faits

Une patiente, personne âgée, devait bénéficier environ tous les deux jours, de pansements concernant ses ulcères artériels des jambes. Cette acte étant très douloureux pour la personne âgée, son médecin traitant avait prescrit un médicament morphinique. Il confirme que sa patiente était sous morphiniques depuis un certain temps lorsqu'elle a été hospitalisée, et qu'à son retour in fine à son domicile, ce traitement antalgique avec des morphiniques a été de nouveau institué.

La patiente a été hospitalisée du 10 août au 21 septembre 2018 dans un centre hospitalier pour opérer une artérite du membre inférieur. Elle se voyait administrer, notamment, un produit morphinique, à savoir deux à six comprimés d'OxynormOro® 5 mg ou oxycodone LP 10 mg par jour pour atténuer ses douleurs. Il n’y avait aucun problème particulier ni addiction, et elle connaissait parfaitement son traitement.

La dernière ordonnance, délivrée en date du 10 août 2018, expirait le 7 septembre 2018 au soir, soit après un délai de 28 jours.

Alors qu’une sortie vers un service de soins de suite était programmée, un médecin du centre hospitalier, service de chirurgie, a délivré le 20 septembre 2018 une ordonnance prescrivant pour la patiente différents médicaments, dont du paracétamol et du Topalgic® pour les douleurs, mais pas d'OxynormOro® 5 mg ni oxycodone LP 10 mg. Cette ordonnance comportait la mention « reprise du traitement habituel ».

La patiente a été admise le 22 septembre dans un autre établissement, assurant un service de soins de suite.

Elle s'est plainte de douleurs l'empêchant de dormir. L’infirmière a alors consulté le dossier médical de la résidente et elle a constaté une prescription habituelle d'OxynormOro® 5 mg.

Elle a téléphoné au centre hospitalier et une infirmière lui a confirmé que ce médicament avait été administré pendant l'hospitalisation. Elle n'a pu obtenir un médecin mais un interne lui a confirmé qu'on pouvait traiter les douleurs de cette patiente avec l'OxynormOro® 5 mg et qu'il allait envoyer une ordonnance en ce sens. Ne recevant pas rapidement l'ordonnance promise, mais vu l'accord oral du centre hospitalier, l’infirmière a administré, le dimanche 23 septembre 2018, à l'occasion du changement des pansements souillés, un comprimé d'OxynormOro® 5 mg à la patiente, et elle a laissé à disposition un comprimé pour la nuit, comme pratiqué au centre hospitalier. Un stock de morphiniques était disponible dans l’armoire à pharmacie.

L’infirmière a agi de la sorte les 23, 24 et 26 septembre 2018.

Elle a rendu compte de cette situation le lundi 24 au médecin coordinateur.

L’interne du premier établissement atteste qu'il a « autorisé » l’infirmière à administrer de la morphine per os 5 mg à la patiente à partir du 22 septembre 2018 en attendant que le dossier soit transféré. Il précise que cette patiente, qui venait d'être transférée du service de chirurgie vers le service de soins de suite, possédait déjà son traitement habituel d'OxynormOro® 5 mg à chaque réfection de ses pansements d'escarres, qu'il s'agissait donc de la continuité de son traitement quotidien. Il ajoute que l'ordonnance de morphinique a été faxée en retard, à savoir le 24 septembre 2018.

De fait, le 24 septembre 2018, a été délivrée par le médecin du centre hospitalier une ordonnance prescrivant sur une période de 28 jours, les médicaments OxynormOro® 5 mg (un comprimé le soir et toutes les 6 heures si douleurs intenses) et oxycodone LP 10 mg (un comprimé matin et soir).

Procédure

L'employeur estime que l’infirmière a commis une faute grave en administrant ce traitement morphinique le 23 septembre 2018 à 10 heures 30 lorsqu'elle a changé le pansement concernant les ulcères de la résidente.

L'entretien préalable au licenciement a eu lieu le 22 octobre 2018 en présence d’un représentant syndical qui assistait la salariée et de infirmière coordinatrice.

À la suite, l’employeur a prononcé un licenciement pour faute grave.

Droit applicable

Les divers licenciements possibles

Si l'employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu'il considère comme fautif, il doit s'agir d'un comportement volontaire, par action ou omission. À défaut, l'employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire.

La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d'autres personnes, même proches.

En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu'établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, donc abusif.

En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l'indemnité compensatrice de congés payés, de l'indemnité de licenciement, du préavis ou de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents.

Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement.

Le licenciement pour faute lourde, celle commise par le salarié avec l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, entraîne également pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, avec possibilité pour l'employeur de réclamer le cas échéant au salarié réparation du préjudice qu'il a subi. Dans tous les cas, l'indemnité compensatrice de congés payés reste due.

La sanction disciplinaire prononcée par l'employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée mais doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l'employeur à l'encontre du salarié n'est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.

Le régime de la faute grave

Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.

La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d'appréciation ou l'insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d'une faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté. La commission d'un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu'il soit nécessaire qu'il ait donné lieu à un avertissement préalable.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d'exécution du préavis. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d'une telle mesure n'est pas obligatoire.

La faute grave ne saurait être admise lorsque l'employeur a laissé le salarié exécuter son préavis. En revanche, il importe peu que l'employeur ait versé au salarié des sommes auxquelles il n'aurait pu prétendre en raison de cette faute, notamment l'indemnité compensatrice de préavis ou les salaires correspondant à une mise à pied conservatoire.

Analyse

La restitution des faits

L’infirmière reconnaît avoir donné un comprimé d'OxynormOro® 5 mg à la patiente le 23 septembre 2018 à 10 heures 30, lorsqu'elle a changé le pansement concernant les ulcères, alors qu'elle savait, ou aurait dû savoir, que l'ordonnance du 10 août 2018 avait expiré.

Ce dimanche 23 septembre 2018, jour de la semaine où apparemment il n'était pas aisé de contacter rapidement le médecin coordinateur ou l'infirmière coordinatrice de l'établissement, l’infirmière s'est retrouvée confrontée à une situation complexe en ce que, suite à sa sortie d'hospitalisation, la patient réclamait, pour pouvoir dormir et supporter le changement de pansement, son traitement morphinique habituel, soit l'OxynormOro® 5 mg ou l'oxycodone LP 10 mg, alors que la dernière ordonnance avait expiré et que l'ordonnance délivrée le 20 septembre 2018 par le centre hospitalier mentionnait « reprise du traitement habituel » mais sans prescrire expressément l'OxynormOro® 5 mg ou l'oxycodone LP 10 mg.

Confrontée à la souffrance d'une personne âgée résidente, de façon parfaitement logique et adaptée, l’infirmière a contacté le centre hospitalier. Elle n'a pas obtenu de parler à un médecin titulaire mais a pu échanger avec une infirmière puis un interne qui lui ont indiqué qu'il convenait d'administrer l'OxynormOro® 5 mg ou l'oxycodone LP 10 mg. L'interne a promis de lui transmettre rapidement une ordonnance en ce sens. Cette ordonnance a été faxée finalement le 24 septembre 2018 à 11 heures 23 minutes.

L’infirmière expose, sans être contredite par l'employeur, que la patiente prenait ce médicament à la même dose depuis assez longtemps à l'occasion des mêmes soins, sans aucun problème particulier relevé, et qu'il était impératif de changer le ou les pansements de la résidente le 23 septembre 2018. Elle relève qu'il n'était pas envisageable d'effectuer cette opération sans administration de morphinique, sous peine de grandes souffrances infligées de façon injustifiée à la personne âgée. Elle a trouvé dans le coffre ou armoire à « toxiques » du service de nombreux comprimés d'OxynormOro® 5 mg.

Elle a informé dès le lundi 24 septembre 2018, le médecin coordinateur de la résidence de la situation et du fait qu'elle avait donné la veille ce comprimé d'OxynormOro® 5 mg.

Sur le plan médical

L’infirmière a inscrit régulièrement l'administration de morphinique le 23 septembre 2018 sur la fiche ad hoc. Par la suite, le même médicament a été administré de façon régulière par les autres infirmières.

Le médecin coordinateur du service de soins de suite atteste avoir été informé le 24 septembre 2018 par l’infirmière du fait que l'ordonnance de sortie délivrée par le centre hospitalier le 20 septembre 2018 n'était pas conforme à la feuille d'information de sortie de ce même hôpital. Elle précise que l’infirmière a tout mis en œuvre pour récupérer une ordonnance conforme notamment au traitement antalgique mentionné sur la feuille d'information. Ce médecin conclut que le traitement antalgique a été correctement administré et noté sur la feuille de surveillance interne.

Ainsi, l’infirmière n'a pas particulièrement mis en danger la santé de la patiente, et elle n'a pas cherché à dissimuler l'administration du médicament OxynormOro® 5 mg le 23 septembre 2018.

Conclusion de la cour d’appel

Vu le contexte, l'infirmière a agi de façon adaptée sur le plan professionnel pour assurer à la patiente une continuité des soins et lui éviter une souffrance inutile, sans prise excessive de risque.

Compte tenu de l'obligation de sécurité qu’il supporte, l’employeur se devait d'enquêter sur l'administration d'un morphinique à une résidente alors que l'ordonnance prescrivant ce traitement avait légalement expiré. À l'issue, l'employeur pouvait légitimement rappeler les règles de santé publique aux salariés, notifier éventuellement un avertissement à l’infirmière et surtout prendre des mesures adaptées pour éviter le renouvellement d'une telle situation. Mais, vu le contexte susvisé, le comportement de l’infirmière le 23 septembre 2018 ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement. Le licenciement constitue une sanction disciplinaire disproportionnée.

Faute infirmière pour retard de recanulation

Le retard dans la réaction à une alarme consécutive à la décanulation d’un prématuré est une faute infirmière (CAA de Nantes, 3 février 2023, n° 20NT02369).

Faits

Une petite fille est née le 15 novembre 2011 par césarienne au terme prématuré de vingt-neuf semaines d'aménorrhée. Elle a été prise en charge dans l'unité de néonatalogie de la maternité, puis transférée au CHU de Tours dans le service de réanimation néonatale. Des difficultés respiratoires ont justifié la réalisation d'une trachéotomie le 12 mars 2012. Après un retour au domicile, elle a été à nouveau hospitalisée dans le même établissement, une première fois, du 13 au 14 août 2012 pour le réglage de son respirateur puis, une deuxième fois, du 24 au 26 août 2012 pour aide parentale.

L’analyse concerne un accident de décanulation survenu vers 7 heures du matin le 26 août 2012 lorsque l'enfant était sous ventilateur. Jusqu'à six heures du matin, la nuit du 25 au 26 août 2012, les constantes vitales étaient en effet normales, avec notamment un taux de saturation à six heures de 97 %.

En revanche, lorsque l'infirmière de jour, arrivée aux alentours de 6 heures 35 du matin dans le service, s'est rendue après 7 heures dans la chambre, alertée par l'alarme du ventilateur, le saturomètre indiquait un taux de 33 % et l'enfant, non ventilé, ne respirait plus. Cette infirmière a indiqué qu'elle a alors immédiatement repositionné la canule et mis en œuvre une ventilation. L'alarme du ventilateur a fonctionné correctement et s'est déclenchée à 7 heures 4 minutes et 35 secondes, mais elle n'a été arrêtée qu'à 7 heures 10 minutes et 3 secondes.

Les actes de réanimation à la suite de son arrêt cardiaque ont été conformes aux règles de l'art.

L’enfant présente une infirmité motrice cérébrale de niveau V, une quadriplégie spastique, une atteinte centrale avec dysrégulation thermique, une gastrotomie et une absence totale d'autonomie.

Droit applicable

Les établissements et professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (CSP, Art. L1142-1).

Analyse de la faute

La prise en charge de la décanulation de l'enfant par l’infirmière, effectuée au-delà du délai critique de trois minutes, n'a pas été conforme aux règles de bonne pratique clinique. Cette recanulation, intervenue trop tardivement, a entraîné l'hypoxie profonde et prolongée à l'origine de l'arrêt cardiaque subi par l'enfant.

Dans ces conditions, la responsabilité du centre hospitalier du fait de la faute infirmière est engagée.

Analyse de la perte de chance

La jeune enfant présentait, du fait de son état de santé antérieur, des risques de troubles du développement neurologique, compte tenu de sa grande prématurité. L'expert a rappelé que plus de 8 % des prématurés de vingt-neuf semaines d'aménorrhée ont une infirmité motrice cérébrale, 20 % à 40 % un déficit neurologique global modéré à sévère, et a précisé que le pourcentage de séquelles sévères observé est de 16,9 % et celui de séquelles modérées de 32,1%.

Il est vrai qu'avant l'accident de décanulation, l'évolution de l'état de santé de l'enfant était favorable, avec notamment un développement neurologique régulier, une croissance du périmètre crânien en cours de rattrapage et une absence d'atrophie cérébrale. Toutefois, l'examen neurologique de l'enfant avant l'accident avait permis d'observer des anomalies, à savoir une hypotonie axiale et une hypertonie périphérique. De plus, l'enfant présentait plusieurs facteurs aggravant son pronostic neurologique : un retard de croissance intra-utérin extrêmement sévère, une réouverture du canal artériel et une bronchodysplasie, ainsi qu'un antécédent de choc septique, qui sont de nature à doubler le risque de troubles neuro-développementaux secondaires chez les prématurés.

L'arrêt cardiaque subi par l'enfant a fait perdre une chance très importante d'éviter le dommage résultant des séquelles neurologiques et du retard d'évolution neurologique qu'elle a subis. Il sera fait, dès lors, une juste appréciation du taux de cette perte de chance en le fixant à 75 %.

Fautes de sécurité commises par une étudiante infirmière

Pour une étudiante infirmière, les fautes mettant en cause la sécurité du patient justifient l’arrêt du stage, et peuvent justifier l’exclusion de l’Ifsi (CAA de Nancy, 28 février 2023, n° 21NC01109).

Faits

Une étudiante infirmière a redoublé sa première année, a rencontré des problèmes de santé et a interrompu ses études pendant l’année 2015, avant de redoubler sa deuxième année. N'ayant pas validé sa troisième année au motif de difficultés rencontrées dans l'acquisition et la mise en œuvre des compétences en stages, elle a été amenée à effectuer des stages de rattrapage au cours de l'année scolaire 2018-2019.

Elle devait effectuer un stage de rattrapage de dix semaines au sein du service de chirurgie orthopédique d’un centre hospitalier du 22 avril 2019 au 28 juin 2019. Le 17 juin 2019, ce stage a été suspendu par la directrice de l'institut de formation en soins infirmiers (Ifsi). Ce dernier s'est prononcé, lors de sa séance du 28 juin 2019, en faveur de son exclusion définitive, au motif que le stage a été interrompu le 17 juin 2019 en raison de plusieurs actes commis par l'étudiante et incompatibles avec la sécurité des personnes soignées.

Droit applicable

Aux termes de l’article 16 de l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux : « Lorsque l'étudiant a accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes prises en charge, le directeur de l'institut de formation, en accord avec le responsable du lieu de stage, et le cas échéant la direction des soins, peut décider de la suspension du stage de l'étudiant, dans l'attente de l'examen de sa situation par la section compétente pour le traitement pédagogique des situations individuelles des étudiants. Cette section doit se réunir, au maximum, dans un délai d'un mois à compter de la survenue des faits ».

Lorsque la section se réunit, elle peut soit alerter l'étudiant sur sa situation en lui fournissant des conseils pédagogiques pour y remédier ou proposer un complément de formation théorique et/ou pratique, soit exclure l'étudiant de l'institut de façon temporaire, pour une durée maximale d'un an, ou de façon définitive ».

Analyse

Les faits sont établis par les pièces du dossier et notamment le rapport du cadre de santé du service. Les 7 et 16 mai 2019, l'étudiante infirmière a méconnu les règles d'asepsie. Les 15 mai et 31 mai 2019, elle a oublié de poser les bandes de contention avant le lever d'un patient, ce qui est susceptible d'engendrer un risque thromboembolique. Le 21 mai 2019, elle a failli administrer un traitement anti-hypertenseur sans avoir vérifié au préalable la tension du patient. Le 31 mai et le 12 juin 2019, elle a commis une erreur dans la manipulation d'un patient venant de subir une pose de prothèse intermédiaire de la hanche, susceptible de causer une luxation. Enfin, le 31 mai et le 12 juin 2019, elle n'a pas réagi de manière à assurer la sécurité du patient après le malaise de celui-ci. La décision est donc valablement motivée.

Gestion d’une urgence alors que l’horaire de travail est terminé

Pour sanctionner l’attitude d’une infirmière qui quitte le service car son horaire de travail est dépassé, alors qu’un patient est en situation délicate, l’employeur doit avoir prévu un régime gérant cette présence et les heures supplémentaires (CA Grenoble, 23 février 2023, n° 21/01369).

Faits

Une IDE a été embauchée en 1997 par une association gérant un établissement de santé, exerçant les fonctions d’infirmière.

Le 13 septembre 2018 vers 13h15, une jeune fille hospitalisée s'est mise à vomir alors qu'elle avait été reconduite dans sa chambre. Une aide-soignante a fait appel à l’infirmière pour aider la patiente, mais celle-ci a refusé de voir de nouveau la résidente, en lui indiquant de lui donner du Spasfon®, ajoutant les propos rapportés suivants : « J'ai fini mon service, j'ai quelque chose de prévu, je me casse, tu n'as qu'à lui donner du Spasfon® ».

De fait, alors qu'elle avait commencé à s'occuper de la résidente, l’infirmière n’est pas être restée jusqu'à l'arrivée des pompiers. L’effectif ne comprenait que des aides-soignantes.

Les faits sont établis par trois attestations – d’une aide-soignante, du chef de service éducatif, et d’une auxiliaire d'accompagnement, et la fiche d'événement indésirable dressée le 13 septembre 2018.

Elle a été licenciée pour faute grave.

Droit applicable

L'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave doit établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre de licenciement. Il doit également démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis (Code du travail, Art. L1232-1, L1232-6, L1234-1 et L1235-2).

Aux termes de l’article R4312-10 du CSP :

« L'infirmier agit en toutes circonstances dans l'intérêt du patient.

Ses soins sont consciencieux, attentifs et fondés sur les données acquises de la science ».

Aux termes de l’article R4312-12 du CSP :

« Dès lors qu'il a accepté d'effectuer des soins, l'infirmier est tenu d'en assurer la continuité.

Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un infirmier a le droit de refuser ses soins pour une raison professionnelle ou personnelle.

Si l'infirmier se trouve dans l'obligation d'interrompre ou décide de ne pas effectuer des soins, il doit, sous réserve de ne pas nuire au patient, lui en expliquer les raisons, l'orienter vers un confrère ou une structure adaptée et transmettre les informations utiles à la poursuite des soins ».

Analyse

Visant dans la lettre de licenciement les articles R4312-10 et R4312-12 du CSP, l’employeur a reproché à l’infirmière un manquement à ses règles déontologiques et aux règles de l'art dans les termes suivants : « Vous avez gravement manqué à vos obligations d'infirmière coordinatrice, tant vis-à-vis de la jeune fille que vis-à-vis du personnel paramédical que vous devez encadrer, les conséquences de votre attitude auraient pu être dramatiques si le pronostic vital de la jeune fille avait été engagé. Votre comportement a compromis la qualité de notre prise en charge, ainsi que la santé et la sécurité de notre résidente, ce qui est susceptible de mettre en cause la responsabilité de l'association ».

L'inquiétude et l'étonnement du père de la jeune fille exprimés auprès du directeur adjoint, sur la prise en charge de sa fille à l'occasion de cet incident, sont sans valeur probante dès lors qu'il n'est pas établi par l'employeur que l’infirmière aurait contrevenu aux règles éthiques et professionnelles de sa profession d'infirmière.

En effet, estime la cour, l’employeur n’apporte aucun élément utile et probant sur le ou les protocoles mis en place au sein de la structure pour gérer des situations d'urgence médicale. Il ressort de la fiche de poste que la patiente est supposée être placée sous l'autorité fonctionnelle ascendante du médecin salarié de la structure et être en liaison hiérarchique avec l'adjoint de direction et le chef de service, mais il n'est versé aux débats aucun élément relatif aux consignes qui auraient pu être données par ledit médecin à l’infirmière, ou aux règles qui auraient pu être convenues pour traiter ce type d'événement. L’employeur n’a pas demandé d'effectuer des heures complémentaires, ainsi que cela est prévu par son contrat de travail, afin de prendre en charge la résidente.

L'employeur ne dit rien non plus sur l'organisation du service médical de la structure s'agissant de la partie ascendante, c’est-à-dire les conditions d'intervention d'un ou plusieurs médecins, puisqu'il se limite à évoquer le rôle de coordination de l’infirmière à l'égard des aides-soignants et autres intervenants dans le processus de soins, coordination qu'elle a assurée à tout le moins jusqu'à la fin de son horaire de travail. Enfin, l’employeur est défaillant dans l'administration de la preuve qui lui incombe s'agissant des modalités de continuité des soins dans l'établissement, notamment après la fin de la vacation de l'infirmière.

Il n'est pas rapporté la preuve par l'employeur d'une faute de l'employée, a fortiori grave, à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail.

Violation du secret professionnel

La consultation par une IDE du dossier d’une collègue hospitalisée est une violation du secret professionnel, constitutive d’une faute disciplinaire (TA Toulouse, 23 février 2023, n° 2001604).

Faits

Madame B., infirmière, a été recrutée depuis le 30 mars 2015 par un centre hospitalier et affectée du service des urgences, par contrats à durée déterminée successifs. Par une décision du 3 février 2020, le directeur du centre hospitalier de Montauban lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions de quatre jours, pour avoir consulté le dossier médical d'une collègue hospitalisée. Par la présente requête, Madame B. demande au tribunal d'annuler cette sanction.

Droit applicable

Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant (CSP, Art. L1110-4).  

Analyse

Il ressort de l'historique de connexion informatique produit par le centre hospitalier que l’infirmière s'est connectée sur sa session à 22 h 37 et que les différents éléments du dossier de sa collègue ont été consultés entre 22 h 39 et 22 h 49. Cet écart de deux minutes seulement entre la connexion et le début de la consultation du dossier est de nature à corroborer que ces deux actions ont été effectuées par la même personne. Dans ces conditions, la matérialité des faits reprochés est suffisamment établie par les pièces du dossier.

L’infirmière a sciemment consulté le dossier médical d'une de ses collègues hospitalisée dont elle n'était pourtant pas responsable. Ce faisant, elle a méconnu l'obligation de respect du secret professionnel et du secret médical, lesquels ne sont pas opposables aux seules personnes extérieures à l'hôpital mais s'imposaient également à elle en tant que personnel du centre hospitalier non responsable de la patiente. Par ailleurs, la circonstance que sa curiosité ait été éveillée par les propos d'une collègue ayant elle-même révélé des informations concernant l'état de santé de leur collègue hospitalisée, est sans incidence sur le caractère fautif de sa propre démarche.

En revanche, il ne ressort pas que Madame B. aurait par la suite divulgué les informations illégalement consultées et les aurait utilisées d'une façon susceptible de nuire à l'image de l'hôpital, de sorte que la méconnaissance à l'obligation de discrétion professionnelle n'est pas établie par le centre hospitalier.

Néanmoins, la seule faute tirée de la violation du secret professionnel suffisait à fonder la sanction, qui est confirmée par le tribunal.

encadré 1

L'inscription au tableau de l'ordre, une obligation

L'inscription au tableau de l'ordre est obligatoire pour tout infirmier quel que soit son mode d'exercice et sa spécialité (salarié du public ou du privé, libéral, cadre de santé infirmier, cadre supérieur de santé, directeur de soins infirmiers, directeur d’institut de formation en soins infirmiers, cadre de santé formateur, infirmier de santé au travail, infirmier scolaire, etc.).

Le règlement de la cotisation annuelle est obligatoire.

Tout  infirmier non inscrit au tableau de l’ordre peut se voir refuser la couverture par toute assurance en cas de sollicitation de celle-ci dans le cadre de son exercice professionnel – cet infirmier (et filière) est donc non couvert par son assurance et/ou celle de son employeur qui peut se retourner contre le professionnel et son employeur.

Tout infirmier qui exerce sans être inscrit au tableau de l’ordre s’expose à des poursuites pénales pour exercice illégal (article L4314-4 du CSP). Cette infraction est réprimée par deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Les employeurs (établissements de santé, publics ou privés,….) s’exposent à des poursuites pour complicité d’exercice illégal de la profession d’infirmier.