OBJECTIF SOINS n° 0292 du 17/04/2023

 

ÉTHIQUE

Xavier Couteau   Laurence Creusat   

Cadre de santé, Ehpad La Seilleraye, CHU de NantesAumonière, Ehpad La Seilleraye, CHU de Nantes

La liberté d’aller et venir est fondamentale et doit être conciliée avec d’autres impératifs en établissement médicosocial, du fait de contraintes liées à la sécurité des usagers. Une réflexion sur l’accompagnement au quotidien de résidents en situation de vulnérabilité, dans le respect de ces principes, est à l’origine de la création d’un dispositif végétal de sécurisation à l’Ehpad de la Seilleraye à Carquefou (44). Ce concept innovant de jardin contribue au respect des droits et libertés des personnes. Il a également d’autres effets positifs non anticipés, dont le fait de favoriser l’expression de la dimension spirituelle des résidents, en lien avec l’équipe d’aumônerie.

Un Ehpad est par définition un lieu de vie dont la finalité est de préserver le bien-être de la personne âgée dépendante, quel que soit son parcours personnel. L’une des principales difficultés concernant l’organisation de la vie quotidienne dans ce type d’établissement est le respect des droits et libertés individuels du résident(1) (aller et venir librement, respecter ses valeurs et croyances) et sa sécurité, souvent invoquée par les proches des usagers et parfois privilégiée par l’équipe soignante.  Le droit à la sécurité du résident, qu’elle soit la liberté d’aller et venir ou une situation pour laquelle les risques d’atteinte à son intégrité sont identifiés, est souhaitée par tous, mais elle implique parfois une restriction de la liberté de mouvements, ce qui est dommageable pour le résident comme pour ses proches. Certains usagers, souffrant de troubles cognitifs, ont des velléités de sortie inopinée (appelée plus communément « fugue ») de l’établissement. Ces fugues/sorties inopinées peuvent mettre en danger l’intégrité physique de la personne, déstabiliser l’organisation du service, et générer anxiété et culpabilité auprès des professionnels, des familles et des bénévoles.

La mise en place d’un dispositif végétal de sécurisation(2) est une démarche de prévention innovante qui consiste à utiliser le « vivant paysager » plutôt que la technologie ou les clôtures physiques pour inciter ces personnes – dont la dépendance peut être motrice ou cognitive – à emprunter un parcours ou, au contraire, à les en dissuader. Il s’agit de réunir les conditions optimales offrant un cadre de vie agréable, sécurisant et non contraignant, à des personnes vulnérables et présentant des troubles cognitifs.

Les retombées de ce projet ont dépassé cet objectif initial. Lors de la pandémie de Covid-19, une observation de l’usage de ce nouvel espace paysager sur plusieurs mois a permis d’identifier une appropriation inattendue et positive par l’équipe d’aumônerie catholique, tant dans sa mission d’accompagnement spirituel et religieux que dans ses rapports avec les autres professionnels du site.

Le contexte des confinements

L’ouverture de ce jardin a coïncidé avec les différents confinements et mesures restrictives liés à la pandémie de Covid-19. Au même titre que les équipes soignantes, les personnels de l’aumônerie ont été confrontés à une demande aiguë de la part des résidents : trouver du sens, mettre des mots sur les événements et les frustrations qui en découlaient. L’équipe disposait déjà de supports, aussi bien humains que physiques, pour répondre à la demande religieuse. Mais faire face aux besoins spirituels de personnes avec des troubles cognitifs, en désarroi face à la solitude et aux restrictions de déplacements et de contacts, sans la médiation des proches, a révélé une situation complexe.

Des besoins spirituels

Qui dit demande à l’aumônerie dit réponse de l’aumônerie ! Une réponse qui respecte à la fois les cadres religieux, institutionnel et soignant, tout en répondant au plus proche à la demande. Trouver une réponse juste et adaptée à la demande de personnes souffrant de troubles cognitifs peut s’avérer délicat. De prime abord, la mission de l’aumônerie ne semblait pas liée directement au projet d’aménagement paysager et elle n’apparaissait pas dans la réflexion initiale du projet. En effet, les deux lieux privilégiés pour l’expression de la foi sont la chambre et la chapelle, qui sont exempts de danger pour des personnes vulnérables physiquement et/ou psychiquement.  

Autant les demandes religieuses sont le plus souvent clairement exprimées, autant les demandes spirituelles, qu’elles débouchent ou non sur une demande religieuse, ont une expression plus floue. C’est souvent au cours d’une discussion « fraternelle » que la question spirituelle apparaît. Poser la question du sens n’est pas aussi facile que demander un acte religieux clairement nommé ou la présence d’un prêtre. Tout être humain a des besoins spirituels et physiques. Les besoins spirituels – aspirations, espoirs, sens de la vie – peuvent être ou non liés à des besoins religieux – une relation personnelle à un dieu, souvent en lien avec une tradition religieuse. Il est désormais acquis que le soin spirituel, qui peut conduire à une demande religieuse, fait partie du soin global apporté à une personne, aussi appelé care ou prendre soin(3). Si la chapelle s’impose lors d’une demande précise de rite ou de sacrement, la demande spirituelle peut naître à tout moment, souvent dans un lieu neutre comme le jardin. Une discussion sur des questions religieuses ou spirituelles avec une personne peut l’aider à sortir de son isolement, à se relier à un ensemble plus vaste, à donner du sens au présent(4).

Une approche sensori-émotionnelle

Des études de la Société Alzheimer du Canada(5) mettent en avant l’intérêt du contact avec la nature, la musique, les rituels… pour répondre à un besoin spirituel. Elles suggèrent d’avoir recours à la spiritualité de manière globale en cas de troubles cognitifs : le fait d’utiliser des traditions spirituelles peut être source de réconfort. Toujours selon ces études, donner accès à des images, des odeurs, des sons, ou faire la lecture de textes sacrés, chanter d’anciens chants religieux, peut déclencher un souvenir et permettre à la personne de ressentir un sentiment d’appartenance. Cette approche sensori-émotionnelle, qui fait appel aux sens plus qu’à la cognition, est pertinente pour une personne souffrant de maladie d’Alzheimer ou de troubles apparentés, car « quel que soit le niveau de ses atteintes, [elle] conserve des capacités à ressentir des émotions et à réagir en fonction de son vécu, de son environnement matériel et humain, de ses goûts et préférences »(6).

Toute personne atteinte de troubles cognitifs doit pouvoir bénéficier d’espaces de liberté(6). Dans cette logique, elle doit pouvoir participer aux engagements religieux, philosophiques et politiques de son choix. « Entretenir et développer des centres d’intérêt maintient les sentiments d’appartenance et d’utilité tout en limitant l’isolement et l’ennui »(6). L’approche sensori-émotionnelle permet d’entrer en contact avec des personnes présentant des déficits cognitifs, à travers les émotions et les sens, d’identifier certains de leurs besoins spirituels et de leur apporter du réconfort(5).

Afin de mieux répondre aux demandes spirituelles et religieuses de personnes souffrant de troubles cognitifs, l’équipe d’aumônerie mène une réflexion régulière sur sa pratique afin de rester la plus juste et la plus adaptée aux besoins des résidents. Ce nouveau dispositif végétal est très vite apparu comme un nouveau moyen de répondre aux demandes faites à l’aumônerie, tout en respectant les exigences de confidentialité et de sécurité. Tout comme la chapelle, cet espace s’est imposé comme un nouveau lieu de partage et de confidences pour les résidents et leurs proches. Ce nouvel aménagement paysager permet de faire appel à la mémoire affective, au toucher, à l’odorat, au goût, à l’ouïe et à la vue. L’émotion ressentie devient un langage, un moyen de communication.

Un jardin favorisant les rencontres

Quel lien existe-t-il entre une chapelle, un jardin, la demande spirituelle et/ou religieuse d’une personne et le respect de sa dignité ? Ces deux lieux ne sont pas contraignants, les mouvements au sein de leur espace sont libres et hors parcours médical. La taille du jardin le rend intimiste ; bien qu’il y ait des jardinières de tailles différentes et un beau parcours de promenade, les promeneurs se voient et peuvent se croiser. Ce sont des lieux qui permettent aux souvenirs/mots/prières de refaire surface dans une mémoire souvent défaillante. L’échange, la demande de relation, partent du souvenir du résident, et non d’une question de l’accompagnant qui pourrait mettre le résident en échec. Dans le cadre de l’espace végétal, souvent le résident évoque une couleur, une odeur, une saveur … C’est lui qui lance et oriente la discussion. Des souvenirs vont pouvoir se dire, toujours à partir d’une réalité tangible. « L’émotion est ce qui rattache la personne à son passé et à son histoire. »(5) 

La nature propose une palette de supports pour laisser les émotions apparaître, revivre, se dire. Le résident souffrant de troubles cognitifs a le choix entre regarder, sentir, toucher… Nous sommes dans le registre de la communication spirituelle émotive. À partir d’un souvenir, d’une émotion, le résident peut échanger sur sa vie, ses besoins.

Le jardin permet la rencontre entre le bénévole et le résident, le soignant et le résident, mais aussi le bénévole et le soignant. La neutralité du lieu facilite les échanges. La posture professionnelle est plus légère, les « étiquettes » moins présentes. Les échanges humains sont moins connotés, ils sont non contraignants et gratuits : il y règne une application « inconsciente » de la laïcité. Cela a été très visible pendant les périodes de confinements où il n’existait pas d’échange avec l’extérieur. Par la vie des plantes et des oiseaux, un jardin est un lieu d’apaisement où les notions de maladie, de solitude et de vieillesse sont moins présentes qu’à l’intérieur. Un jardin, en Ehpad comme ailleurs, est un lieu de création sociale qui se répercute sur le lieu de vie intérieur.

La vulnérabilité, une richesse

Dans notre société, nous aimons à penser que les bien-portants constituent la majorité d’entre nous et que les personnes vulnérables sont moins nombreuses. Mais il n’en est rien. Les vulnérabilités ne sont pas l’exception, elles deviennent la norme(7),  d’autant plus dans des lieux de vie comme l’Ehpad. Ces vulnérabilités, que notre société aimerait parfois occulter, sont utiles ! Une observation sociologique de la société d’aujourd’hui, avec une attention particulière aux lieux de vie que sont les Ehpad révèle combien ces vulnérabilités sont bien à l’origine du lien social vital à tout être humain(7).

C’est le fait d’être écouté, d’avoir un auditeur, qui donne à une personne l’envie et l’autorisation de se raconter. Le dispositif végétal, en tant qu’élément facilitateur des souvenirs et des émotions, et la présence d’un accompagnateur spirituel, permettent à la personne de se rendre compte qu’elle a encore des choses à dire, à raconter : des choses importantes car elles font écho à sa mémoire et qu’elles sont écoutées par un tiers(8). « Seule l’alliance des soignants, des familles et de la société dans ses différentes composantes peut contribuer à ce que toute personne affectée d’une maladie de ce type, soit reconnue dans sa dignité, sa liberté, ses valeurs, ses droits et ses choix »(6). Pour l’aumônerie en Ehpad, il ne s’agit pas tant de faire que d’être. Ce lieu et la vie qui s’y déploie ont permis d’apaiser l’articulation parfois délicate entre deux institutions : l’Église, dont l’aumônerie reçoit sa mission, et le cadre institutionnel de l’Ehpad dans lequel s’incarne cette mission. 

Conclusion

Pour mener à bien notre mission dans un lieu de vie comme un Ehpad, tout ce qui peut nous aider à être au plus juste dans notre réponse constitue un atout. L’outil qu’est le jardin permet d’éviter des questions qui mettraient en difficulté le résident – et donc augmenteraient sa détresse spirituelle. C’est une « bénédiction » ! Grâce à ce support, initialement conçu pour éviter les sorties inopinées et assurer la sécurité du résident tout en respectant sa liberté de mouvement, la relation peut être à l’initiative du résident, ce qui lui permet d’être maître de l’échange. Favoriser l’expression de quelqu’un, c’est l’aider à conserver sa dignité. L’ensemble des collaborateurs, professionnels et bénévoles, partage cette philosophie d’accompagnement dont la finalité est de contribuer au bien-être des résidents et de leurs proches.

Le rôle de l’aumônerie

L’aumônerie catholique est à la fois une présence d’Église et une présence spirituelle pour les personnes en demande. « Le service d’aumônerie est destiné à répondre aux besoins spirituels des patients ». L’aumônier est rattaché à un culte précis mais il est formé à l’écoute et à l’accompagnement des questions existentielles et spirituelles, et habilité à accompagner les besoins spirituels de tous les résidents. Il est important de rappeler que le respect de la laïcité n’induit pas une interdiction de pratiquer une religion mais une possibilité, une ouverture, un respect de chacun. Elle permet la liberté de culte dans le respect du pratiquant et du non-pratiquant. La pratique de la foi catholique demande toujours la collaboration du résident, de sa famille et de l’équipe soignante.

Circulaire N°DGOS/RH4/2011/356 du ministère de la Santé, 5 septembre 2011.

Fiche de poste « Ministre du Culte » dans la fonction publique hospitalière : http://www.metiers-fonctionpubliquehospitaliere.sante.gouv.fr/spip.php?page=fiche-metier&idmet=46

Références bibliographiques

1. Article L311-3 1° du Code de l’action sociale et des familles. https://www.legifrance.gouv.fr

2. Couteau X. Dispositif végétal anti-fugue, un concept innovant en gérontologie. Soins gérontologie, 2021 ; 151 : 35-37.

3. Nouwen HJM. Prendre soin les uns des autres. Une spiritualité du Care. Paris : Salvator, 2012. p. 15-16.

4. Fiore C. Besoins spirituels et religieux des patients. Quelle place dans l’hôpital laïc ? Objectif Soins & Management, 2021 ; 280 : 53-56.

5. Lévesque L. L’accompagnement spirituel de personnes atteintes de déficits cognitifs : exploration de l’approche sensori-émotionnelle. La Gérontoise, 2013 ; 24(2) : 11. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3097286?docref=5Dc7Jyk08qhocBzqfZk7LQ

6. Charte Alzheimer Éthique et société, 2012. https://www.espace-ethique.org//sites/default/files/Charte%20Alzheimer%20E%cc%81thique%20et%20socie%cc%81te%cc%81.pdf

7. Calvat T, Chatel T, Hennezel (de) E. Les personnes vulnérables, une ressource pour demain. La Croix, 3/01/2022.

8. Nouwen HJM. Prendre soin les uns des autres. Une spiritualité du Care. Paris : Salvator, 2012. p. 35.