À la recherche de l'équilibre financier de la protection sociale - Objectif Soins & Management n° 172 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 172 du 01/01/2009

 

Économie de la santé

PROTECTION SOCIALE → Depuis plus de vingt ans, notre système de protection sociale est en constant déséquilibre. Les différents plans successifs (plus de 15) n'ont pas permis de restaurer de manière durable l'équilibre tant recherché de la Sécurité sociale. Première partie.

Au moment où la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 s'apprête à être promulguée, et dans un contexte de crise financière internationale qui aura de manière certaine des répercussions sur notre système de protection sociale - à la fois sur les recettes et sur les dépenses -, les développements qui suivent sont consacrés aux facteurs du déséquilibre financier de la Sécurité sociale, aux réformes du mode financement et à la maîtrise des dépenses de protection sociale.

LES FACTEURS DU DÉSÉQUILIBRE FINANCIER DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Sans parler du système de la compensation, qui pèse sur le régime général, force est de constater que l'équilibre financier de la Sécurité sociale repose sur une dualité de logiques différentes entre les recettes d'une part, et les dépenses d'autre part.

Les recettes

→ Elles évoluent au rythme de l'assiette salariale (cotisations salariales et patronales), qui elle-même évolue en quantité et en qualité. Ainsi, en période de crise, le sous-emploi et la segmentation du travail qui sont associés engendrent des emplois moins rémunérateurs. Ce qui conduit à un rétrécissement de l'assiette du prélèvement social. Les exonérations de charges accordées pour certaines catégories d'emplois accentuent et amplifient ce phénomène.

→ Ainsi les recettes de la Sécurité sociale dépendent étroitement de la santé de l'économie et de la croissance : plus la croissance est élevée et plus les recettes augmentent ; plus la croissance est faible et plus les recettes diminuent. D'autant que certaines mesures pour relancer l'économie peuvent avoir des effets néfastes à court terme sur les recettes de la Sécurité sociale (dixit les exonérations de charges).

Les dépenses

→ Parallèlement, les dépenses de protection sociale évoluent dans le sens inverse : plus l'économie d'un pays est fragile et plus les dépenses de sécurité sociale ont tendance à augmenter, en soulignant toutefois des évolutions différentes selon la branche.

→ Ainsi, concernant les prestations de chômage, celles-ci augmentent quand la situation de l'emploi est défavorable.

→ En revanche, la branche famille se porte mieux du fait de l'évolution démographique (baisse de la natalité) : il est possible d'augmenter la valeur des prestations tout en maintenant la situation excédentaire de la branche famille, du fait de la baisse du volume de prestations à délivrer.

→ La branche vieillesse est en très fort déficit du fait de l'arrivée à maturité du système de retraites (les premiers cotisants sont arrivés à l'âge de la retraite), le vieillissement de la population par le haut (allongement de l'espérance de vie grâce aux progrès techniques et médicaux) et par le bas (baisse de la natalité). Cette situation conduit de manière inéluctable à une détérioration du rapport actifs/inactifs : la réforme du système des retraites repose sur ce constat.

→ Les dépenses d'assurance maladie quant à elles répondent à une double logique. D'une part, le progrès technique est un facteur d'augmentation des dépenses dans la mesure où, s'il abaisse le prix de revient des services rendus par la baisse de la quantité de main d'oeuvre à utiliser (bien que ce point ne soit pas complètement vérifié dans le secteur de la santé, mis à part peut-être pour les laboratoires et les activités médico-techniques dans les établissements de santé), il élargit le champ des besoins en matière de santé en permettant de découvrir de nouvelles pathologies mal ciblées (meilleure performance au niveau du diagnostic) et de nouvelles techniques pour soigner les pathologies existantes (nouveaux équipements matériels lourds). Les exemples sont nombreux en la matière pour démontrer les deux effets : la cancérologie, la maladie d'Alzheimer, la neurochirurgie... D'autre part, en termes de progrès social, plus un pays est développé, plus son niveau de vie augmente, et plus la part du produit intérieur brut consacré aux dépenses de santé a tendance à croître. Plus on s'élève dans l'échelle des revenus, plus l'on devient exigeant en matière de qualité de vie, de confort, et plus la santé n'est plus considérée seulement comme un facteur de réparation mais également comme un bien de confort de vie. Sans compter l'effet génération qui montre qu'une classe d'âge donnée consomme davantage aujourd'hui qu'à la période d'avant.

Les mesures intervenant sur les recettes ou les dépenses

L'équilibre financier de la Sécurité sociale repose donc sur deux logiques, l'une de recettes, l'autre de dépenses, dont les mesures peuvent avoir des effets en sens contraire.

Ainsi les mesures visant à relancer l'emploi ont pour objectif de diminuer les dépenses d'assurance chômage mais également d'accroître l'assiette des prélèvements ; mais, dans le même temps, elles risquent de réduire à court terme les recettes par une baisse des charges sociales, par exemple. De même, la réduction des dépenses vieillesse (retraites) risque d'avoir un effet très néfaste sur la consommation (les études montrent que la classe d'âge 60/80 ans consomme quatre fois plus que la classe d'âge 40/60 ans), et donc à terme sur l'emploi, et pourrait entraîner une baisse des recettes sociales.

Il convient donc de bien jauger les effets de court terme et les effets de long terme lors de la mise en place de politique publiques. Ainsi un plan de relance de l'économie, par le biais d'investissements publics, est favorable pour l'assiette du prélèvement social et la diminution de certaines dépenses de protection sociale, mais il risque d'un autre côté d'alourdir le taux de prélèvement social : là encore il faut juguler les effets en sens inverse du plan. De même, les politiques publiques doivent être évaluées de manière globale dans leurs effets, et non de manière séparée.

Dès lors, le maintien (ou la restauration) de l'équilibre des comptes sociaux doit reposer sur un savant dosage entre des mesures visant à augmenter les recettes et des mesures visant à réduire (ou maîtriser) les dépenses. Sachant naturellement qu'il sera plus facile d'agir sur les dépenses (bien que la maîtrise des dépenses d'assurance maladie montre que ceci n'est pas aussi évident à faire) que sur les recettes, celles-ci étant étroitement liées à la santé de l'économie du pays, et dépendant de l'ensemble des politiques publiques mises en oeuvre pour soutenir l'économie et du contexte international qui nous échappe.

QUALITÉS D'UN BON SYSTÈME DE FINANCEMENT SOCIAL

Un bon système de financement social doit tout d'abord présenter un bon rendement. Les recettes doivent être satisfaisantes et régulières. L'assiette du prélèvement social doit être stable, régulière et correctement évaluée. Or l'assiette salariale est peut-être stable à court terme (et encore), mais elle n'est pas régulière : elle ne présente pas une croissance qui permette d'augmenter les prestations sociales sans être obligé de relever les taux de cotisations sociales, et on se retrouve alors confronté à la dualité des deux logiques mentionnée dans le paragraphe précédent. L'assiette salariale est également mal évaluée : par exemple, les revenus des professions indépendantes sont sous-évalués. Ainsi l'assiette fluctue trop en fonction de l'économie pour apporter une stabilité. Seul un taux de croissance très élevé peut permettre un taux de rendement satisfaisant. Ou alors il convient de changer l'assise du prélèvement social.

Ensuite le financement doit être équitable en garantissant un certain niveau de justice entre les cotisants.

Dès lors, deux grands principes de justice sociale peuvent être retenus : le principe d'équivalence et de justice commutative et le principe de la capacité contributive.

Le principe d'équivalence et de justice commutative

Chacun reçoit en fonction de ce qu'il apporte. Le montant de l'impôt payé par chaque citoyen doit être lié à la satisfaction qu'il retire des dépenses publiques. Ce principe rejette toute idée de redistribution des revenus entre les individus, le caractère équitable de la répartition de l'impôt étant lié à la distribution initiale des revenus.

Ce principe justifie alors le recours à l'assurance : le montant de la cotisation payée est déterminé en fonction de la probabilité de réalisation du risque présenté par l'individu. Notre système de financement de la protection sociale, bien que s'appuyant sur une logique assurantielle, ne repose pas sur ce principe de justice, dans la mesure où, d'une part, il est obligatoire, d'autre part, les cotisations ne sont liées ni aux risques, ni aux besoins.

Le principe de la capacité contributive

Les contribuables ayant une capacité contributive égale acquittent une cotisation égale (équité horizontale). Or, actuellement, le traitement est inégal entre les salariés et les non-salariés. Les contribuables ayant une capacité contributive inégale supportent un sacrifice égal (équité verticale). Chacun reçoit en fonction de ses besoins et donne en fonction de ses moyens. Cependant, l'existence du plafond de la Sécurité sociale fait que les cotisations n'assurent pas un traitement équitable des salariés selon ce principe. Les avantages reçus sont fonction des droits acquis mais le prélèvement social est fonction du revenu.

Logiques de l'assurance et de l'assistance

Le système de financement français de la protection sociale repose en fait sur ces deux principes : la logique de l'assurance mais avec une cotisation indépendante du risque (taux appliqués à l'assiette salariale) et une logique de l'assistance (une assurance obligatoire pour tous avec des prestations indépendantes des cotisations versées).

Neutre et efficace ?

Enfin le système de financement doit être neutre et efficace économiquement. Un bon impôt ne contrarie pas les systèmes de prix relatifs sur le marché et ne modifie pas l'allocation optimale des ressources. Or le système de redistribution existant n'est pas neutre sur l'économie : les cotisations sociales (leur taux) affecte fortement le prix des facteurs de production. Un prélèvement obligatoire doit être bien accepté par ceux qui le supportent. De même les prestations fournies sont facteurs de consommation et de croissance. Dès lors deux logiques contraires s'affrontent à nouveau : diminuer les cotisations sociales pour ne pas pénaliser l'économie de production ou augmenter les prestations sociales pour relancer le pouvoir d'achat ?

Le prochain numéro sera consacré aux réformes possibles du prélèvement social et à la maîtrise des dépenses de protection sociale par les deux canaux classiques : celui de l'offre et celui de la demande.

Monsieur Daniel MARIE, conseiller général des établissements de santé, ancien directeur général du centre hospitalier universitaire de Dijon, nous a quittés brutalement en décembre dernier. Didier JAFFRE tenait à lui rendre hommage pour l'ensemble de son action dévouée à la cause de l'hôpital public et du service public hospitalier, et lui dédie cet article.

Le système de la compensation

Le régime général de sécurité sociale supporte de manière indue des charges du fait de l'existence du système de compensation. Ces charges indues correspondent aux prestations de solidarité qui devraient être financées sur le budget de l'État (allocation chômage), les charges de compensation, c'est-à-dire la solidarité entre les différents régimes de sécurité sociale pour prendre en compte certaines disparités supposées involontaires (rapport démographique défavorable, capacité contributive limitée). Le système de la compensation illustre la volonté affichée depuis 1945 de fusionner l'ensemble des régimes de sécurité sociale en un seul, fusion qui, pour l'instant, n'a jamais pu être réalisée malgré les tentatives des différents gouvernements qui se sont succédés. Il s'agit de répartir la cotisation entre les régimes sociaux de manière à partager le risque entre tous les actifs, à préserver le caractère professionnel du financement des organismes de sécurité sociale (partenaires sociaux) et de limiter le recours aux contribuables par le biais de l'impôt.

Pour la branche maladie, la compensation est bilatérale entre le régime général et chaque autre régime particulier (les fameux régimes spéciaux qui ont fait l'objet d'une réforme dernièrement). Il y a un transfert de charges entre le régime général et certains régimes spéciaux déficitaires du fait d'un rapport actifs/inactifs défavorable déficitaire : ainsi le régime général couvre environ 40 % des charges d'assurance maladie du régime de la SNCF, 55 % du régime minier.

Une loi de 1974 a instauré la compensation généralisée entre les régimes d'assurance vieillesse des salariés, entre les régimes des salariés et les régimes des non-salariés (branche maladie et vieillesse).

Il existe également une surcompensation entre les régimes spéciaux d'assurance vieillesse.

Le système de compensation présente cependant un certain nombre de défauts : seul le rapport démographique est pris en compte à l'exclusion des facteurs socio-démographiques qui pèsent pourtant sur les dépenses ; les capacités contributives des non-salariés sont ignorées ; la capacité contributive est mesurée uniquement par le salaire plafonné de la Sécurité sociale. Ainsi sont favorisés les régimes à forte capacité contributive et les régimes à faible dépense par assuré. De même certains régimes spéciaux offrent des protections plus avantageuses que d'autres, mais ils sont dans l'incapacité de les supporter financièrement du fait de leur structure démographique. L'évaluation imparfaite des capacités contributives par l'assiette actuelle des cotisations sociales conduit à une insuffisance des recettes pour certains régimes qui n'est pas compensée par un relèvement des taux des cotisations. D'où la justification de la réforme des régimes spéciaux qui a été mise en oeuvre.