Esprit de partage

Jeune quarantenaire, Frédéric Launay fait partie de ces professionnels qui ont déjà une histoire de vie à raconter. Tous les parcours sont certes singuliers lorsque l'on prend la peine de les écouter, mais celui de Frédéric Launay interroge peut-être encore plus la norme établie. « Mes choix continuent d'interloquer, ils bousculent une certaine hiérarchie sociologique des professions paramédicales », analyse-t-il. Lorsqu'une infirmière se lance dans des études de masseur-kinésithérapeute, c'est encore considéré comme une promotion. Les kinésithérapeutes ont une aura sociale supplémentaire : ils 'agit d'une profession paramédicale qui continue d'attirer de nombreux hommes. Le parcours kiné vers infirmier, qui plus est pour un homme, vient alors rompre les schémas. « En étant kiné, expert en technique comme je l'étais, il me manquait pourtant des dimensions du soin, explique Frédéric Launay. Et c'est la profession d'infirmier qui m'est apparu la plus intéressante pour me permettre d'appréhender les différents déterminants de la santé et l'ensemble des dimension du soin, notamment sous l'angle santé publique. »

Kinésithérapeute puis aide-soignant de nuit

Diplômé en 1989, le jeune kiné commence sa carrière professionnelle dans un centre de rééducation fonctionnelle (CRF) géré par la Croix-Rouge. Il se spécialise notamment dans les soins de rééducation fonctionnelle neurologique adulte ainsi que dans les soins aux grands brûlés. Le centre Croix-Rouge de La-Membrolle-sur-Choisille (37) accueillant des blessés de guerre de tout pays, Frédéric Launay suit également une formation de préparation aux missions internationales.

C'est dès le début de sa carrière qu'il prend conscience de l'importance d'une prise en charge pluridisciplinaire, s'intéressant de fait à l'ensemble des acteurs qui gravitent autour d'un patient. Dans cette logique-là, il suit naturellement la population des grands brûlés qu'il a découverte dans le centre Croix-Rouge. Toujours en tant que kinésithérapeute, il rejoint l'équipe soignante du CRF de la Roche-Posay dans la Vienne, spécialisé dans les soins de suite aux grands brûlés.

Mais Frédéric Launay a toujours cette idée de partir en mission humanitaire. Contacté par l'association de solidarité internationale Cimade, qui recherche notamment des professionnels de santé spécialisés dans les soins aux brûlés, il part pendant trois mois au Vietnam pour former le personnel de l'hôpital Saint-Paul à Hanoï. C'est une première expérience, la rencontre avec l'extraordinaire culture de l'Asie du Sud-Est, mais aussi un véritable choc d'être confronté à un tel manque de moyens d'un système de santé...

De retour de Hanoï, il ne reste en France que quelques mois puis repart au Vietnam comme kinésithérapeute volontaire à Ho-Chi-Minh Ville afin de mettre en place un service de rééducation pédiatrique à l'hôpital Phu San Tu Du. Pendant près d'un an, il va recruter et former le personnel de rééducation fonctionnelle pour les besoins du service, notamment pour les soins orthopédiques et de drainage bronchique.

C'est à son retour en France, au printemps 1996, qu'il prend la décision de compléter sa formation initiale par des études en soins infirmiers. Après un examen d'équivalence, il rentre en seconde année d'études en soins infirmiers dans un Ifsi de Tours. Si Frédéric Launay a une épouse exemplaire, il doit aussi travailler de nuit comme aide-soignant pour assurer une partie des revenus de sa famille. À côté de ce travail de nuit pendant ses années d'études, il participe également à la mise en place d'un service de garde hospitalière pour les week-ends et jours fériés en kinésithérapie pédiatrique à l'hôpital Clocheville de Tours. Il sera le premier kinésithérapeute recruté sur ce dispositif.

Infirmier de rue

Son diplôme d'État infirmier en poche, Frédéric Launay cherche à travailler dans le domaine de la santé publique. Le département médical d'Entr'Aide Ouvrière, une association de Tours qui oeuvre pour la réinsertion des plus démunis, vient de créer un poste d'infirmier de coordination. Frédéric Launay n'hésite pas à présenter sa candidature : il est alors recruté par l'association en décembre 1998.

Son activité consiste à coordonner l'ensemble des prises en charge autour des personnes qui vont souvent de centres d'accueil d'urgence en centres d'accueil : continuité des soins, prises de rendez-vous avec les spécialistes, intervention coordonnée des travailleurs sociaux...

Outre son travail de coordination, il est aussi sur le terrain, dans la rue. « Il ne s'agissait pas de faire de l'humanitaire de rue. Rien ne justifie dans nos pays d'aller donner des soins dans la rue, explique-t-il. Mon travail consistait à porter un regard diagnostic sur les personnes à la rue, d'essayer de les convaincre de rejoindre un centre de soins en cas de nécessité. »

Enfin, un autre pan de son activité à Entr'Aide Ouvrière est de développer la coopération partenariale autour des personnes en situation de précarité, que ce soit avec l'hôpital, les missions solidarités et d'insertion, les médecins et paramédicaux en libéral...

Malgré ses années d'expérience professionnelle en santé, Frédéric Launay se souvient encore aujourd'hui de la difficulté à supporter humainement la réalité de l'exclusion sociale. « Au fil des années, s'allongeait la liste morbide de tous ceux que j'avais connus, morts dans la rue, à l'hôpital ou dans une prison... », se souvient-il.

Au bout de cinq ans, il repart en Asie du Sud-Est pour une mission humanitaire d'Handicap International, cette fois-ci dans la ville de Vientiane au Laos. Le projet qui lui est confié est de clôturer la formation des kinésithérapeutes formateurs ainsi que d'évaluer l'activité des hôpitaux de référence pour les soins de kinésithérapie. Il met également en place l'organisation du premier examen national de formateur en kinésithérapie. À son retour du Laos, il réintègre son poste d'infirmier de coordination au sein de l'association d'Entr'Aide Ouvrière. Entre-temps, il a aussi passé un DU de santé publique à Nancy. Le sujet de son mémoire est une enquête sur les caractéristiques sociales et la couverture médicale des personnes en situation de précarité à Tours.

Partage d'expériences

De plus en plus sollicité pour transmettre son expérience, que ce soit comme kinésithérapeute, professionnel de santé dans l'humanitaire ou infirmier de rue, Frédéric Launay en vient naturellement à se poser la question de la formation. Qui plus est, il est allé loin dans l'ingénierie de la formation puisque son dernier poste dans l'humanitaire consistait à organiser la supervision et l'évaluation de kinésithérapeutes formateurs.

« Mon sac à dos étant bien rempli au bout de presque vingt ans, j'ai donc pris la décision d'envoyer une candidature spontanée à l'Ifsi du CHRU de Tours », continue-t-il. Recruté à la rentrée 2005 comme faisant fonction de formateur, il est reçu deux ans après à l'école des cadres de santé de Tours puis réaffecté en juin 2008 à l'Ifsi. « L'aspect pédagogique reste minoritaire dans la formation de cadre », note-t-il avec quelques regrets.

Cadre de santé formateur aujourd'hui, Frédéric Launay ne manque pas de perspectives professionnelles pour les années à venir. En charge de la préparation d'un module optionnel de recherche infirmière pour les étudiants de 3^e année, il envisage de s'engager plus avant dans le champ de la recherche infirmière. Toujours aussi intéressé par la santé publique, il ne serait pas non plus opposé à reprendre dans quelques années une activité hospitalière au sein d'un des pôles du CHU tourné vers la recherche et la santé publique. Comme souvent, ce sont sans doute les rencontres qui tisseront le fil d'une trajectoire à venir...