Évaluation de l'impact et du dispositif LMD - Objectif Soins & Management n° 172 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 172 du 01/01/2009

 

Ressources humaines

OPINION → La publication du rapport de l'Igas/IGAENR(1) a été rendu public en septembre dernier. Depuis le début de l'année 2004, le ministère de la Santé indique aux parlementaires qu'une réflexion sur l'intégration de la formation des infirmières dans le système LMD est en cours. Il a pris le risque de créer une attente et donc de la décevoir aussi.

L'absence de réponses au regard de la commande qui leur était faite est parfois flagrante. Il en est ainsi de l'état des lieux de l'appareil de formation : rien, ou si peu, sur la pertinence de l'adossement des instituts aux établissements gestionnaires, leur potentiel à contracter avec l'université, le profil des enseignants et leur démographie, le réel profil des étudiants, etc.

La lettre de mission, signée des ministres en charge, témoigne d'un embarras certain. « Vous étudierez, écrivent-ils, la possibilité de transformer le diplôme d'État en diplôme de l'enseignement supérieur, ce qui peut avoir pour inconvénient de diminuer le caractère empirique [sic] et professionnel de la formation. » Pourquoi s'agit-il encore de «possibilité» de transformer ?

Le rapport que nous avons lu traduit à sa façon les ambiguïtés de la commande. Pour l'inspection des affaires sociales, le rapport est établi par M. Aquilino Morelle, médecin. Ce dernier écrivait en 1996 : « Le jeu administratif est dans une large mesure un rapport de forces qui s'enracine dans l'histoire : certaines des administrations qui le composent sont puissantes, d'autres sont faibles, voire très faibles. »(2)

UN MINISTÈRE PERSUASIF ?

Quelle sera la force de persuasion du ministère de la Santé ? Il n'est rien de plus dangereux que cette forme de résignation au moment où l'on attend des convictions fortes de la part des personnes en charge. Si l'on part du principe que le pilotage de la formation doit rester à la santé, encore faut-il que cette administration porte, pour nos formations et diplômes, une grande ambition. En matière de reconnaissance, la profession n'a cessé d'attirer l'attention des pouvoirs publics : diplômes d'État reconnus à bac +2, pas d'équivalence ou d'homologation pour la formation cadre que l'on critique dans ce même rapport. Demander à des formateurs, au moment où l'évolution des sciences et des techniques est au premier plan, d'appliquer un programme d'études paru en 1992, soit il y a près de seize ans, dans le cas des infirmiers, n'est pas représentatif d'un souci d'adaptation ou de modernité. L'intitulé du rapport, qui concerne les formations et le statut des professions paramédicales, traite en réalité également des sages-femmes. Tantôt considérées comme une profession médicale - ce qu'elles sont en réalité au terme du Code de la Santé publique - tantôt «rabaissées», selon elles, au rang de profession paramédicale. Ces hésitations sont révélatrices du manque de reconnaissance et de l'absence de grands desseins pour toutes les professions de santé. S'ajoute également pour les sages-femmes l'objectif de ne pas concurrencer les médecins ou venir empiéter sur le domaine médical, alors même que nous allons manquer de médecins dans ces spécialités. Un tel calcul n'est-il pas néfaste ? C'est ce manque d'ambition de l'État pour sa propre entreprise que nous dénonçons. Dans un discours à Bordeaux en octobre 2007, le Président de la République disait : « Cette réforme se fera quoi qu'il en coûte. » Nous y sommes prêts.

Nous savons trop dans notre pays la force des conservatismes et ce que les femmes ont dû arracher de haute lutte - qu'il s'agisse du droit de vote, de la possibilité d'étudier à l'université, de s'émanciper femme vis-à-vis de l'homme, infirmière face au médecin, laïque vis-à-vis de la religieuse... Le Comité d'entente des formations infirmières et cadres (Cefiec), lui-même consulté par la mission, ne figure pas dans les «personnes rencontrées».

Comment conserver à l'inspection toute sa crédibilité, lorsqu'elle affirme, page 47 du rapport, « la moitié environ des élèves ont un bac professionnel ou sont des aides-soignantes admises au titre de la promotion professionnelle » ? Il ne s'agit pas ici de méconnaître la valeur du bac «pro». Mais de critiquer la facilité avec laquelle, pour appuyer une démonstration, on travestit la réalité.

Toujours en page 47 du rapport, il est indiqué que le dispositif retenu devrait faire toute sa place à la VAE. Or celle-ci a été abandonnée.

CONDITIONS D'ACCUEIL

Concernant les quotas annuels d'étudiants, la page 46 de ce rapport indique que ces derniers « répondent d'abord à une exigence de qualité de la formation dispensée ». En réalité, ces quotas sont mis en place pour répondre aux besoins de professionnels sur le terrain et nul ne doit ignorer aujourd'hui la difficulté qu'il y a dans beaucoup d'instituts à trouver des stages qualifiants. De plus en plus, nous sommes amenés, nous, responsables de formation, à être en contradiction avec nos convictions, à trouver des terrains dont nous savons parfois qu'ils ne répondent pas aux exigences de qualité. Quand les quotas infirmiers ont été augmentés (arrêté du 6 avril 2000) et, les années suivantes, doublés, personne n'est venu constater les conditions d'accueil de ces étudiants supplémentaires : le nombre d'ordinateurs mis à disposition, de places au centre de documentation, d'ouvrages accessibles ou de places de stage... Aucun état des lieux n'a été réalisé à ce moment-là, l'important était d'absorber les étudiants supplémentaires.

Rendons un hommage tout particulier aux régions qui se sont vu attribuer la compétence budgétaire des Instituts. Elles seules sont en mesure de renvoyer une juste photographie de l'appareil de formation et de l'état dans lequel elles ont trouvé les Ifsi. Elles doivent être, sur ces questions et l'avenir de la formation, davantage consultées. Les régions ont démontré leur professionnalisme et de leur capacité à gérer les Ifsi dans des conditions difficiles : il serait juste et légitime de leur reconnaître une autre place. Il pourrait aussi être envisagé d'attribuer la personnalité morale de droit public aux Ifsi qui le souhaiteraient, en accord avec les établissements supports.

Concernant les sages-femmes, les pages 32 et 33 du rapport expliquent : « Les méthodes pédagogiques sont même parfois jugées archaïques et infantilisantes, les contenus décalés par rapport aux avancées médicales. » Il y a pourtant des médecins directeurs techniques ! Quel est donc leur rôle ? Un projet récent du ministère de la Santé, on ne sait d'ailleurs pourquoi, souhaitait étendre aux Ifsi cette funeste tutelle. Qu'on y réfléchisse, que l'on songe rapidement aux véritables priorités et que l'on oublie cette fausse bonne idée.

Le jugement porté par la mission, page 40, sur les recherches publiées par les Espagnols et les Portugais, nous semble emblématique de ces condamnations sans même qu'un procès n'ait été instruit. De quelles recherches espagnoles ou portugaises la mission a-t-elle eu connaissance ? La mission a-t-elle eu vent des travaux de l'Arsi ? Écrire, en page 40 du rapport, qu'il y aura une évolution positive, lorsque les professionnels s'empareront des travaux des chercheurs, avec pour objectif de formaliser des processus d'amélioration des soins, c'est méconnaître au plus haut point ce qui se fait tous les jours dans les unités de soins pour améliorer la qualité des soins. Cela pose aussi la question de savoir quels chercheurs travailleront sur les sujets qui n'intéressent pas constamment les médecins mais toujours le malade. Il ne suffit pas, en page 39 du rapport, d'indiquer que certains enseignants d'écoles de cadres émettent des doutes quant à la capacité des infirmiers, tels qu'ils sont actuellement recrutés et formés, à prendre des responsabilités, pour en faire une vérité établie. Les écoles de cadres respectent la réglementation. Si celle-ci n'est plus en adéquation avec les exigences modernes du management, par exemple, il ne faut pas craindre de la modifier et d'avoir, pour la formation des cadres intermédiaires de demain, l'appétit qui convient.

Nous déplorons que les propositions de la mission soient désormais inaudibles en raison de toutes les approximations ou inexactitudes relevées. Nous constatons qu'il y a encore, de nos jours, la crainte affirmée ou plus diffuse que des infirmiers trop bien formés ou trop formés - mais que signifie cela ? - ne portent préjudice au patient. Le caractère opératoire des professions peut être maintenu, même avec une formation universitaire. Cependant, le caractère universitaire de la formation n'entraînera pas ipso facto sa qualité.

Le rapport Berlan insiste à juste titre sur les nouvelles missions qui seraient, dans un proche avenir, dévolues aux infirmiers, ne serait-ce qu'en raison de la démographie médicale, ou à d'autres professionnels de santé.

DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT EXISTANTES

Si les pouvoirs publics veulent confier à ces professionnels de telles responsabilités, ils doivent savoir qu'il faudra les reconnaître, et cela, non pas avec les mots, les hommages, ou les flatteries trop souvent entendues. Les citoyens que nous sommes doivent s'organiser, y compris en lobbies. La profession infirmière est numériquement la plus importante. Notre peu d'engagement devrait surprendre : il plaît ! Notre discrétion pourrait déconcerter : elle est érigée en règle ! Nos réticences ou nos réserves, loin d'impressionner, sont encouragées !

Faut-il penser que les propos du Dr Bourneville, à l'origine des premières écoles d'infirmières, sont toujours d'actualité ? Il pouvait écrire : « Notre but à tous, et nous ne nous en sommes jamais écartés depuis vingt-cinq ans, a été de faire [sic] des infirmiers et des infirmières dévoués, instruits, habiles, en évitant avec le plus grand soin de leur laisser croire qu'ils sont eux-mêmes en mesure de se substituer aux médecins dont ils doivent rester les auxiliaires scrupuleusement obéissants. »(3) Craindre qu'à la faveur d'une universitarisation la formation puisse manquer de candidats, c'est être aveugle sur la présente réalité. Des difficultés de recrutement existent déjà. Nous n'avons pas ici à dire ce qu'il convient de faire ou ce qu'il faut éviter. Nous refusons que, dans un tel travail, l'ensemble des hypothèses n'aient pas été examinées avec le même soin ou le même enthousiasme, et chiffrées. Nous redoutons que ce rapport ne soit plus désormais qu'un repoussoir.

NOTES

(1) Rapport consultable sur le site . - (2) La défaite de la santé publique, page 210, paru aux éditions Flammarion en 1996. - (3) Préface du Dr Bourneville à la 7e édition du tome d'anatomie à l'usage des infirmier (ères) de 1903.