Question des mères porteuses : impasse ou légalisation ? - Objectif Soins & Management n° 172 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 172 du 01/01/2009

 

Droit

DE L'INTÉRÊT DE L'ENFANT La première chambre de la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 décembre 2008, a refusé une inscription à l'état civil de la filiation d'enfants nés dans le cadre de la gestation pour autrui. Une affaire très médiatisée et décrite comme le signe d'une hostilité à l'encontre de ces familles «recomposées», comme s'il s'agissait d'une indifférence à l'égard des enfants.

La réalité est bien différente et, paradoxalement, cet arrêt qui semble rejeter la question des «mères porteuses» va sans doute conduire à accélérer leur légalisation. En question, l'appréciation de l'intérêt de l'enfant. Regardons en détail.

L'AFFAIRE

C'est une histoire ancienne, de dix ans. En 1998, un couple de Français installés en Californie cherche à avoir des enfants et n'y parvient pas. Les examens parlent : l'épouse souffre d'une malformation congénitale rendant impossible toute gestation. Maternité impossible... mais naissance et filiation possibles avec la gestation pour autrui, qui est légale en Californie. En 2000, Mary, une Américaine, accepte de porter l'enfant après une fécondation in vitro : don d'ovocyte et sperme du mari.

Les démarches sont entreprises pendant la grossesse, et le 14 juillet 2000 un jugement de la Cour suprême de Californie dit que le mari et l'épouse seront « père et mère des enfants à naître », le mari étant reconnu comme père génétique, l'épouse comme « mère légale ».

En octobre 2000, des jumelles naissent, et les actes de naissance sont établis selon le jugement rendu : le mari et la femme sont le père et mère. Les parents demandent alors la transcription des actes de naissance des enfants sur les registres français au consulat général de France à Los Angeles, et les embrouilles commencent : la transcription est impossible car la mère ne produit pas un «certificat d'accouchement». Des années plus tard, le couple rentre en France. Les jumelles bénéficient de la nationalité américaine puisqu'elles sont nées aux États-Unis et ont des passeports américains.

LA PROCÉDURE FRANÇAISE

Au vu du jugement californien, les parents obtiennent la retranscription des actes de naissance des jumelles sur les registres du service central d'état civil. Pas d'accord, dit le procureur de la République de Créteil - où vit désormais la petite famille franco-américaine - qui assigne le couple devant le tribunal de grande instance aux fins d'obtenir l'annulation de cette transcription.

Le tribunal de grande instance n'a pas la même lecture de «l'ordre public français». Il déclare l'action du ministère public irrecevable : il faut tirer les conséquences de la validité du jugement américain et des actes dressés en Californie. Et la Cour d'appel de Paris, qui n'est pas exactement une association de joyeux lurons, confirme en mentionnant l'intérêt supérieur de l'enfant : « la non-transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l'intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit français, se verraient privés d'acte civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l'égard de leur père biologique ».

Pourvoi du Parquet, soutenant que « le ministère public peut agir pour la défense de l'intérêt public à l'occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci », en l'occurrence le recours à une convention de mère porteuse.

Bien d'accord, dit la Cour de cassation dans son arrêt du 18 décembre 2008 : « Les énonciations inscrites sur les actes d'état civil ne pouvaient résulter que d'une convention portant sur la gestation pour autrui, de sorte que le ministère public justifiait d'un intérêt à agir en nullité des transcriptions. »

QUE DIT LA COUR DE CASSATION ?

La question traitée, c'est la recevabilité de l'action du procureur à l'encontre de la retranscription d'actes de filiation établis à l'étranger. Le fait que leur validité ne soit pas contestable ne veut pas dire qu'ils ne sont pas contraires à l'ordre public français.

Mais qu'est-ce donc que cet ordre public ? Cet ordre public... c'est la loi, répond la Cour de cassation, qui vise l'article 16-7 du Code civil, introduit avec les lois de bioéthique de 1994 : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle. » Ordre public, toujours, avec l'article 227-12 du Code pénal, sanctionnant de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende « le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ». C'est la théorie de l'indisponibilité du corps. Le corps, incarnation de la personne, ne peut être la matière d'un contrat.

Bref, la cour de Paris s'était laissée attendrir. L'intérêt supérieur de l'enfant, avaient dit les juges. Oui, certes, répond la Cour de cassation, mais l'intérêt de l'enfant ne peut pas dissoudre l'article 16-7 du Code civil. La Cour se braque devant les réalités de fait : tout ce qui passe de bien dans cette famille ne peut suffire à ouvrir une brèche dans le droit, la loi ayant clairement dit que l'enfant n'a de mère que celle qui l'a portée.

QUE DIRA LA COUR D'APPEL DE PARIS ?

L'affaire va revenir devant la cour de Paris. L'action du procureur est jugée recevable, c'est-à-dire qu'il va falloir se prononcer sur le fond. Avec un petit défi pour les magistrats de la cour d'appel de Paris. Dès lors qu'une filiation heureuse mais non légale est jugée comme remettant en cause l'ordre public - ce qui nécessaire pour justifier l'intervention du procureur - comment la cour pourra-t-elle dire que l'intérêt de l'enfant s'épanouit en contrariété avec l'ordre public ? La marge paraît très mince et les juges risquent bien de voir manger leur chapeau... euh, leur toque.

UNE PROVOCATION À LÉGIFÉRER

Mais il faut aller plus loin. Tout laisse à penser que plus d'un magistrat de la Cour de cassation pense que l'intérêt de l'enfant est, dans cette affaire, de voir la retranscription admise. Parce que, entre nous, dans le cas de cette famille, l'intérêt des enfants est manifestement d'avoir un état civil français, qui corresponde à l'état civil américain et au jugement rendu par la Cour suprême de Californie.

Ce qui est surtout en jeu, entre la cour d'appel et la Cour de cassation, ce sont deux approches de la fonction du juge face à un problème aigu de société, mal évalué par les lois. La première estime que, devant l'enfant qui est là, la prise en compte de son intérêt supérieur conduit à admettre une exception à la loi, avec cette perspective : s'agissant de la gestation pour autrui, le juge pourra, au cas par cas, et au vu des principes, définir progressivement un régime.

Pour la Cour de cassation, les intérêts ne sont pas suffisants pour remettre en cause la loi. C'est au législateur, s'il l'estime opportun, de fixer un nouveau cadre. Parce que, finalement, quoi qu'on en pense, la réponse est moins «pour» ou «contre» que «selon quelles modalités ?».

QUESTIONS AU LÉGISLATEUR

Il faut d'abord dissiper un malentendu. L'expression «mère porteuse» prête à confusion. À l'origine, on ne connaissait qu'une seule situation : insémination plus ou moins artificielle de la mère porteuse, qui se trouvera mère biologique, mais non intentionnelle, et qui remet l'enfant à la mère intentionnelle. Tout change avec la fivette. L'enfant est fécondé in vitro à partir de gamètes provenant du couple, et la mère qui porte l'enfant n'est pas la mère biologique. Il est alors préférable de parler de «gestation pour autrui». L'enfant est séparé de la mère qui l'a porté, mais qui n'est pas sa mère biologique.

Pour que la question soit traitée dans toutes ses dimensions, il semble effectivement préférable que ce soit le législateur qui se prononce. Non-patrimonialité du corps, indisponibilité de l'état civil, protection de l'enfant, garantie sanitaire, objectifs de santé publique... Les principes du droit sont bien connus, mais les arbitrages du juge n'auraient rien d'évident. Et on prendrait le risque de jugements qui arrivent un peu tard, alors que l'enfant, qui lui n'a rien demandé, a droit à la sécurité juridique.

Les questions à trancher ne manquent pas. Quel âge pour les parents ? Quelle âge pour la mère porteuse ? Quel suivi médical ? Faut-il l'expérience d'un première grossesse ? Faut-il une formation ? Un examen psychologique ? Qui rédige les contrats ? Quid si les parents se séparent ? Quid si abandon de l'enfant par la mère intentionnelle ? Quelle indemnisation ? Quel statut pour les intermédiaires ? Quelle communication publique ? Quel mode d'établissement pour la filiation de l'enfant ?

Il va falloir entrer dans ces problématiques. Il est sans doute plus simple de se parer des grands principes, pour proclamer «non, jamais», et avec des arguments non-négligeables, il est vrai... mais c'est donner la prime à des réseaux plus ou moins sympathiques, et aux prises en charge à l'étranger, pour ceux qui en ont les moyens. D'autant plus que les catastrophes psychologiques et éducatives annoncées ne se retrouvent pas.

EXEMPLES À L'ÉTRANGER

De fait, nombre de pays ont légitimé, en l'encadrant, la gestation pour autrui : Belgique, Grande-Bretagne, Grèce, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Île Maurice, certains États des États-Unis et du Canada, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud... L'Espagne s'oriente également vers une réforme.

Au Royaume-Uni, c'est une loi de 1985 qui autorise la gestation pour autrui, mais avec prudence. Les conventions ne sont pas exécutoires. S'il y a un différend, c'est au juge de trancher. Les intermédiaires ne peuvent recevoir de rémunération ni faire de publicité. Les agences spécialisées dans la mise en relation des parents commanditaires et des mères de substitution ne peuvent avoir de but lucratif.

La filiation est régie par une loi de 1990. Pour éviter l'adoption de l'enfant, la loi permet de saisir le juge pour se faire reconnaître comme parents. Il faut réunir certaines conditions, en particulier que le couple soit marié et que l'enfant soit génétiquement issu d'au moins un des deux membres du couple. La requête est introduite après la naissance et un délai de six semaines est observé avant que la mère porteuse puisse donner son accord. En cas d'accord, un nouvel acte de naissance est établi.

UN RAPPORT DU SÉNAT...

Du coté du Législateur, des changements ont été apportés ces derniers temps, avec une commission sénatoriale présidée par Michèle André, PS, et dont Henri de Richemont, UMP, est le rapporteur.

La commission, qui a rendu ses travaux rapport en juin 2008, estime hypocrite l'interdiction légale d'un procédé alors que celui-ci se répand, et cherche à apporter des réponses aux problèmes posés, avec trois préoccupations :

→ le respect des principes de non-patrimonialité et de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes ;

→ la volonté d'empêcher l'exploitation des femmes démunies et la marchandisation à travers la gratuité de la gestation pour autrui (GPA) et la notion de don de soi ;

→ gérer l'incertitude qui pèse sur les conséquences sanitaires et psychologiques pour l'enfant à naître et la femme qui l'a porté.

DES RÉVISIONS SOUHAITÉES

Au cours de l'année 2009, le parlement doit réviser les lois bioéthiques. C'est l'occasion d'ouvrir dans un esprit de responsabilité le dossier de la gestation pour autrui et de publier de belles lois que la Cour de cassation se fera un plaisir d'appliquer.