Dominique Le Boeuf, présidente de l'ordre infirmier - Objectif Soins & Management n° 173 du 01/02/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 173 du 01/02/2009

 

Actualités

INTERVIEW → La toute nouvelle présidente de l'ordre national des infirmières en France, a répondu aux questions de la rédaction.

PROFIL

Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?

J'ai eu mon DE en 1982. Je suis entrée directement à l'hôpital de Versailles auquel je suis toujours rattachée. J'ai d'abord travaillé en médecine interne, puis en réanimation respiratoire, et enfin en soins intensifs de cardiologie. Ensuite, j'ai fait l'école des cadres à laquelle j'ai été reçue en 1989. J'ai travaillé comme cadre en neurologie avant d'avoir l'immense chance de monter l'activité d'hématologie clinique à l'hôpital de Versailles avec une équipe à laquelle je dois beaucoup. Comme je m'intéressais aux questions d'évaluation avec le développement de la démarche qualité à l'hôpital, j'ai fait un premier DESS d'évaluation en alternance à Aix-Marseille en 1998. Mon sujet de mémoire, un peu utopique à l'époque, portait sur les critères d'émergence des réseaux de soins. Je suis revenue dans mon établissement un an après et me suis très vite réinscrite en DEA de sociologie chez Michel Crozier, l'un des sociologues préféré des infirmières, qui travaille sur les stratégies d'acteurs à l'hôpital. Mon sujet : l'hôpital local, les professionnels de santé et le territoire, rien d'exceptionnel à l'époque, mais d'une actualité brûlante aujourd'hui !

Avez-vous d'autres activités, syndicales, politiques, associatives?

Les activités d'expertises comme celles que j'ai eu à la HAS ne sont pas très compatibles avec des activités syndicales. Dès le début de mon exercice infirmier, j'ai adhéré à des associations telles l'Anfiide, l'Unasiif. Je suis entrée à la HAS en 2000 sur une mission qui devait durer trois mois et j'y suis restée deux ans. J'ai travaillé sur l'évaluation des réseaux de soins et des réseaux de santé, et j'ai pu participer aux premières expérimentations de l'évaluation des pratiques professionnelles avec les médecins libéraux ; j'ai aussi pris part à l'élaboration de recommandations de pratiques cliniques. Cette expérience m'a vraiment motivée pour essayer de contribuer à une meilleure représentation des infirmières dans ces lieux d'expertises. C'est à cette époque que l'on a commencé à parler de l'ordre et que le Groupe Sainte Anne a commencé à se réunir. J'ai eu l'opportunité de me joindre à ce groupe et ce fut une période très riche. J'avais toujours rêvé que ma profession se fédère et sincèrement, pour moi, le Groupe Sainte Anne a été un très grand moment : pouvoir mettre ensemble les directeurs de soins, les libéraux, les infirmiers sapeurs-pompiers, les infirmières de santé au travail, les infirmières scolaires, les Ibodes, les puéricultrices autour d'un projet, quelque peu utopique au départ, c'était une grande aventure collective. Je suis aussi expert au Haut Conseil en santé publique. Les infirmières sont assez peu investies sur la santé publique. D'ailleurs, sur 150 personnalités qualifiées au Haut Conseil, nous sommes trois infirmières.

Ce mandat de présidente de l'ordre va-t-il vous amener à réorganiser votre emploi du temps ? D'autant que vous avez deux autres mandats aux niveaux départemental et régional.

Les différents mandats départementaux, régionaux ne posent pas de problème au contraire. Les infirmières s'étonnent beaucoup de ça. Je suis amenée à collaborer régulièrement avec les cinq autres ordres depuis très longtemps et c'est courant chez eux, cela ne gêne personne. Je fais partie de ceux qui se sont battus pour que l'on ait des départements. Je crois beaucoup à la force du local. Nous sommes 500 000 infirmières. Pour pouvoir les fédérer, pour pouvoir aller au plus près d'elles, il faut avoir une dimension locale.

Pour quelqu'un qui a fait toute sa carrière dans le public, vous vous êtes beaucoup intéressée aux libéraux...

Oui, j'ai eu cette opportunité. Je pense que c'est ce qui a fédéré sur ma candidature. Mon expérience professionnelle m'a permis d'approcher tous les secteurs d'activité où exercent les infirmiers, publics, privés, mais aussi ambulatoire, en entreprise, etc.

FONCTIONNEMENT DE L'ORDRE

La date de la prochaine réunion du conseil est-elle fixée ?

Non, elle n'est pas fixée, mais ce sera début février. Mon souhait pour la première réunion, c'est de réunir tous les suppléants et tous les titulaires. C'est une demande forte des élus nationaux et cela correspond à une représentation couvrant bien les champs d'exercice. L'élection au Conseil national a permis la représentation d'une grande diversité des exercices. On a des infirmières scolaires, des infirmières de centres de lutte contre le cancer, des infirmières de santé publique et je trouve que ce conseil représente assez bien la population infirmière.

Le tirage au sort des élus pour deux ans et des élus pour quatre ans ainsi que l'appel à cotisation auront-ils lieu lors de cette prochaine réunion ?

Le tirage au sort, oui. Pour ce qui est de l'appel à cotisation, ce sera une assemblée de départements. Je réunirai tous les départements et les régions. En tout cas, c'est mon souhait. Je le soumettrai au Conseil national pour avis. L'assemblée de départements permettra de déterminer ce qu'est, pour les départements, une cotisation raisonnable et acceptable.

Le chiffre de 30 euros circule...

Je me plierai à la volonté des départements. Mes centres d'intérêt comme les réseaux de santé ne sont pas neutres, les bons départs commencent quand on a pris le temps du consensus ; je prendrai le temps nécessaire.

Comment les cotisations seront-elles perçues ? Y aura-t-il prélèvement ?

On ne peut pas prélever sur la fiche de paie. C'est un acte volontaire de cotisation.

L'ordre dispose-t-il d'un local propre ?

Pour l'instant non, tout est à faire. Mais on va trouver un lieu. Il restera sûrement à Paris. Il est important que chacun puisse y venir.

Allez-vous fonctionner en réunions plénières ou vous organiser en groupes de travail ?

La réunion plénière de février en décidera. C'est très important parce qu'il va falloir qu'une culture se diffuse. La culture ordinale est une culture à part. Mais on s'y fait très bien.

Quel rythme vous paraîtrait adapté ?

À mon avis, c'est au départ au moins tous les trois mois et plus si affinités. Si nécessaire.

Est-il prévu de faire un site Internet ?

Oui, bien sûr ! Très vite. Il est prévu que ce soit un site interactif avec les départements.

Y a-t-il un numéro de téléphone ?

Non, pour l'instant, c'est mon portable. J'ai ouvert une adresse postale : 115, rue de la Convention à Paris, avec l'ordre des podologues. Et une adresse mail : ordre-infirmier.national@orange.fr.

Est-il prévu de doter l'ordre d'une publication ?

Il y aura un bulletin de l'ordre comme partout et plus vite on le fera, mieux ce sera. Ce sera fonction des moyens qu'on aura. Il me semble essentiel que chaque infirmière reçoive chez elle, très vite, un deux-pages. Je cotise, je suis informée. Deux pages, ça se lit en faisant manger le petit dernier, en allant au travail, au moment de la pause .

L'ordre va avoir besoin de communiquer car il n'est pas vraiment au centre des préoccupations de toutes les infirmières...

Vous savez, on a quand même beaucoup souffert de désinformation, cela a été très compliqué. On a eu la chance que notre ordre se fasse très, très vite. Les kinés ont mis quinze ans, nous, nous avons mis dix-huit mois quasiment à partir du vote de la loi. C'est court pour des gens qui n'ont aucun moyen de communiquer.

EN AVANT L'ORDRE

Quels sont pour vous les chantiers prioritaires ?

Réunir mon conseil et tout de suite commencer le Code de déontologie. C'est ce qui fonde notre identité ordinale. Il faut que tous les départements y participent. Après, commencer tout de suite à parler du fonctionnement de l'ordre, comment on va le monter au niveau du fonctionnement interne et très vite avoir une capacité de communiquer. L'une des mes priorités en tant que présidente, c'est de me déplacer. Là, j'ai déjà des conseils régionaux (Bretagne) qui m'ont invitée, je vais y aller. L'un des gros chantiers d'actualité concerne la réforme des études infirmières.

À titre personnel, êtes-vous favorable à une licence générale ou professionnelle ?

Moi, je suis la présidente de mon conseil, je n'ai plus d'avis personnel. Mais je suis une universitaire : l'université ne me fait pas peur. Je travaille déjà beaucoup avec d'autres consoeurs européennes qui sont docteurs en sciences infirmières et, très sincèrement, ce ne sont pas des intellectuelles coupées de la base. Quinze pays en Europe ont déjà franchi ce pas. Clairement, je ne vois pas pourquoi on serait les derniers. Mon ordre veillera à ce que la formation soit adaptée aux compétences qu'aujourd'hui les patients sont en droit d'exiger.

Sur la question de la rémunération des infirmières...

Ah, ça, ce sont les syndicats ! Je compte sur eux. Mais on voit bien que, dans toute l'évolution de la profession infirmière, quand on regarde les autres pays, très clairement, dès qu'il y a eu un ordre, il y a eu très souvent une évolution de la rémunération et il y a eu souvent une intégration universitaire de la formation des infirmières. Donc laissons faire le cours de l'histoire, je pense qu'il fallait que l'ordre se mette en place d'abord. Un ordre, ce n'est pas fait pour être dans la réaction, c'est très important.

L'autre gros dossier d'actualité, ce sont les délégations de compétences...

Moi, je ne parle jamais de délégation de tâches, c'est franco-français. Je parle de compétences partagées. Connaissant bien la HAS, ce que j'ai trouvé dommage, c'est qu'on ait aussi peu de documentation internationale. C'est quand même une grande lacune de la part de la HAS alors qu'ils le font pour tout.

Pourquoi ne le font-ils pas ?

Eh bien, je ne sais pas. Mais, sans cette expérience internationale, c'est quand même très difficile d'expliquer comment cela fonctionne. Quand je travaille avec mes collègues anglaises, elles ont un gros avantage. Bien sûr, elles travaillent dans des maisons de santé organisées avec des médecins, elles y sont très heureuses, ce n'est pas le problème ; sauf qu'elles sont prescripteurs indépendants, on oublie de le dire dans le rapport de la HAS, de même qu'on oublie de dire que c'est le Council et le Royal College qui leur font leur conduite et leurs bonnes pratiques. Nous, ce n'est pas ça, c'est donc très différent.

Vous vous situez plutôt du côté de ceux qui disent qu'il ne faut surtout pas toucher au décret d'actes pour maintenir un cadre sécurisant ou de ceux qui pensent qu'il faut l'assouplir, ne serait-ce que pour faire reconnaître ce qui se pratique déjà ?

Je suis plutôt avec ceux qui disent qu'il faudra sûrement à un moment le faire évoluer, mais pourquoi le faire évoluer en deux mois ? Les Québecois ont mis trois ans à faire évoluer leur code de profession tous ensemble, avec tous les ordres. Penser qu'on peut faire évoluer le décret de compétences infirmières tout seul, sans les autres, cela me paraît difficile. Je ne suis pas du tout fermée à la possibilité de faire évoluer un jour le décret de compétences.

Que pouvez-vous dire pour rassurer les infirmières quant au rôle de sanction de l'ordre qui peut aller jusqu'au retrait du diplôme ?

Pour l'instant, l'ordre n'a pas de mission de sanction au niveau du service public hospitalier. Donc rien ne change pour eux ! En ce qui concerne les libérales, c'est juste une mise en place d'un décret qui n'avait jamais été mis en place jusqu'à maintenant. Moi, je reste assez confiante, je suis persuadée qu'il n'y a pas tant d'infirmières qui travaillent mal. Cela se saurait !

Dans des cas comme les accidents dramatiques qu'on a vus pendant les fêtes, qui impliqueraient des infirmières, l'ordre n'aura donc aucun rôle ?

L'ordre sera légitime sur ses différentes missions. La ministre a fait une réunion le 26 sur ce sujet.

Quels seront les rapports de l'ordre avec les autres professions à ordre ?

Il y a un comité de liaison interordres qui fonctionne déjà très bien (CLIO). Ils se réunissent très régulièrement et ils nous attendent. Ils travaillent sur des sujets comme l'harmonisation des mandats ordinaux (l'idée serait d'aligner tout le monde sur trois ans renouvelables par tiers), sur le Répertoire partagé des professions de santé (RPPS) et sur l'élargissement aux paramédicaux de ce répertoire.

Est-ce que ce sera pas plutôt au sein du Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP) ?

Le HCPP, pour moi, n'est pas un ordre, sa composition reste très hospitalière et je pense qu'il va travailler sur l'organisation, ce qui est son rôle.

Donc vous estimez n'avoir pas grand-chose à faire dans ce HCPP ?

Ce que je sais, c'est que celui qui a fait le décret sur le HCPP a considéré que les ordres n'avaient pas grand-chose à y faire puisqu'on ne vote pas. Alors que les employeurs comme la FHF, la FHP, par exemple, votent.

Comment envisagez-vous les relations de l'ordre avec les syndicats ?

Excellentes. J'ai eu des fonctions dans des syndicats, je pense qu'ils ont toute leur place et il faut qu'ils l'aient. Tout ce qui concerne le statut ne concerne pas l'ordre, tout ce qui concerne les négociations conventionnelles pour les libéraux ne concerne pas l'ordre.

Aurez-vous à coeur d'entretenir des relations avec les autres ordres européens, québecois ?

C'est déjà fait. Ils m'ont déjà écrit pour me féliciter. Je voudrais dire un mot à propos des associations. Moi, je ne suis pas spécialisée. Il faut qu'on mobilise les associations pour qu'elles nous apportent une expertise sur le contenu. Très clairement, je ne peux pas parler aujourd'hui des Ibodes.

Qu'est-ce que ça vous fait de devenir la première présidente de l'ordre des infirmières de France ?

Le sentiment d'une lourde responsabilité, vraiment. Un très beau challenge. Moi, je suis convaincue. Mon challenge, c'est de convaincre un maximum d'infirmières. Cela va se jouer sur la capacité de l'ordre à pouvoir leur ressembler, à être au plus près de leurs préoccupations, à faire évoluer la profession et surtout à anticiper. Très clairement, l'ordre va travailler pour les générations futures et pour nos patients futurs.