Les élèves aides-soignants et infirmiers fument - Objectif Soins & Management n° 173 du 01/02/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 173 du 01/02/2009

 

Recherche et formation

HABITUDES TABAGIQUES → Avec 66 000 décès par an en France, imputables directement ou indirectement à l'usage du tabac, et une proportion de 120 000 morts par an en 2025, la lutte contre le tabagisme s'affirme comme un objectif prioritaire de santé publique(1). La crédibilité des messages dans la lutte contre le tabagisme passe par l'exemplarité de certains lieux socialement symboliques, et du comportement du personnel enseignant et soignant.

Le Baromètre tabac-personnel-hospitalier, réalisé en mars 2005 au Centre Hospitalier de Vichy(2) a montré que les aides-soignantes avaient une consommation tabagique plus élevée que celle des autres catégories professionnelles : 32 % pour les aides-soignantes, 24 % pour les infirmiers, 20 % pour les administratifs et 7 % pour les médecins. Par conséquent, nous avons cherché à comparer les habitudes tabagiques et autres co-addictions des élèves aides-soignants (EAS) et des étudiants infirmiers (EIDE), et cherché à identifier d'éventuels facteurs favorisants.

MATÉRIELS ET MÉTHODES

La population étudiée était issue de l'Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) du centre hospitalier de Vichy : l'ensemble de la promotion des élèves aides-soignants (EAS), un échantillon équivalent d'étudiants infirmiers 1re année (EIDE 1re année), et 3e année (EIDE 3e année), a été obtenu par tirage au sort à partir de la liste exhaustive. Un questionnaire comportant 32 questions a été distribué en mars 2006 à 55 EIDE 1re année, 57 EIDE 3e année et 56 EAS. Les domaines ciblés étaient le statut tabagique, le mode de vie (Échelle visuelle analogique, EVA), le niveau de stress (EVA), le score d'anxiété dépression HAD, les co-addictions à l'alcool et au cannabis, les connaissances de la loi Évin et du Réseau Hôpital Sans Tabac. Le questionnaire était distribué, rempli et restitué aussitôt après un cours garantissant l'exhaustivité des retours.

RÉSULTATS

Les EAS étaient plus âgés que les EIDE (29,6 ± 9,7 ans vs 22,4 ± 5,4 ans pour les EIDE 1re année et 25,4 ± 5,7 pour les EIDE 3e année).

STATUT TABAGIQUE

Prévalence tabagique

La prévalence tabagique des EIDE 3e année était de 53 %, 38 % pour les EIDE 1re année et 48 % pour les EAS, parmi lesquels 96 % étaient fumeurs réguliers.

Dépendance

La dépendance évaluée par le test de Fagerström était plus élevée chez les EAS que les EIDE, bien que non significatif (4,8 ± 1,6 vs 2,4 ± 2,5 pour les EIDE 3e année et 1,6 ± 1,8 pour les EIDE 1re année).

Motivation à l'arrêt

La motivation à l'arrêt, selon le test de Richmond, était globalement faible mais significativement plus élevée chez les EIDE 1re année que chez les EAS.

Les EAS consacraient un budget tabac mensuel significativement plus important que les EIDE, lui-même plus important chez les EIDE 3e année versus EIDE 1re année

QUALITÉ DE VIE

La qualité de vie exprimée était significativement plus élevée chez les EIDE 1re et 3e année que pour les EAS. Les résultats de l'HAD/A montraient un score moyen d'anxiété significativement plus élevé chez les EAS et EIDE 3e année comparés aux EIDE 1re année. Il n'y avait pas de différence sur le score HAD/D de dépression. Les EAS étaient plus souvent chargés de famille que les EIDE. Bien que non significatifs, les EAS partaient moins souvent et moins longtemps en vacances que les EIDE.

CO-ADDICTIONS

Alcool

Pour 70 % des EAS, la consommation d'alcool était inférieure à un verre par semaine, versus 50 % des EIDE 3e année et 38 % des EIDE 1re année. Cependant la différence n'était pas significative entre les catégories.

Cannabis

Pour la consommation de cannabis, 22 % des EIDE 1re année et 23 % des EIDE 3e année déclaraient consommer du cannabis, cette proportion était significativement plus élevée que pour les EAS qui était de 4 %.

FACTEURS FAVORISANTS

Quatre-vingt un pour cent des EIDE 1re année et 70 % des EIDE 3e année avaient reçu une formation sur le tabac versus 22 % pour les EAS. La moitié des EAS et des EIDE 3e année (52 %) estimaient que la crédibilité de l'hôpital était mise en cause par un personnel fumeur versus 9 % des EIDE 1re année. Les termes de la loi Évin et de la charte Hôpital Sans Tabac étaient d'autant moins connus des étudiants que ceux-ci n'avaient pas bénéficié de formation sur le tabac, notamment les raisons de l'interdiction de fumer, l'existence d'une consultation d'aide au sevrage et de suivi.

DISCUSSION

Parmi les EIDE 3e année et EAS, un sur deux est fumeur. 27,9 % vs 21,4 % chez les infirmiers, en excluant les étudiants, non concernés dans notre enquête(2). En 2002, en Norvège, la prévalence de tabagisme chez les AS était rapportée à 40 % vs 10 % chez les femmes médecins, alors qu'elle était comparable à la population générale chez les infirmières, comme dans la plupart des pays d'Europe(3).

Il peut être supposé que la prévalence du tabagisme augmente au cours des études d'infirmier puisque la prévalence était de 1/3 en 1re année et supérieure à 1/2 en 3e année dans notre enquête. Cette hypothèse a été soulevée par Sekijima et al(4). De plus, les chiffres ressortis de notre étude semblent supérieurs aux prévalences récentes, décrites dans la littérature. En effet, le tabagisme chez les étudiants de l'enquête Festif était de 30 %, dont 18 % de fumeurs réguliers, à la rentrée 2006(5). Chez les étudiants infirmiers, il était estimé à 46 % en Suisse en 1992(6), à 22 % au Canada(7), entre 20 et 40 % en France, en Grèce et à Chypre, à 9 % au Portugal en 2001-2002(8) et 6 % au Japon en 2005(4).

D'autre part, les EAS étaient significativement plus souvent des fumeurs réguliers, et avaient un budget mensuel tabac plus élevé que les EIDE 1re année. D'autres études ont rapporté une prévalence de tabagisme plus élevée que chez les AS vs les IDE(2, 9).

Le faible score de motivation à l'arrêt ici est comparable à l'étude de Chalmers qui ne rapportait une démarche active d'arrêt que chez les 17 % des étudiants malgré une dépendance faible(7). La consommation de cigarettes roulées était rapportée chez 30 % des fumeurs dans l'enquête Festif(5) vs 25 % dans notre enquête.

Parallèlement, nous constatons ici que les EAS avaient un score d'anxiété plus élevé que les EIDE, une moindre qualité de vie, et une moindre motivation au sevrage. L'âge supérieur à 30 ans, la plus forte dépendance, le stress au travail ont été montré comme des facteurs moins favorables au sevrage tabagique chez les AS(9). La consommation d'au moins un verre d'alcool par semaine chez 1/3 des étudiants ici est inférieure aux 90 % des étudiants en profession de santé écossais(10), aux 65-70 % des étudiants infirmiers 1re année français, grecs et chypriotes et aux 40 % des étudiants portugais en 2001-2002(8). Ces différentes études rapportaient une consommation de type festive, modérée et non quotidienne.

La consommation de cannabis déclarée par 16 % des étudiants concernait 40 % des garçons. En revanche, les EAS consommaient moins d'alcool et de cannabis que les EIDE. Selon une étude européenne, c'est en France que la prévalence d'usage du cannabis apparaît la plus élevée parmi les étudiants infirmiers 1re année : 30 % vs 10 % des Grecs, 6 % des Chypriotes et 4 % des Portugais(8). Comparée à la littérature, notre enquête rapporte une prévalence élevée de tabagisme chez les étudiants en Ifsi, une consommation d'alcool modérée et un usage de cannabis préoccupant, notamment chez les garçons. Cependant notre enquête, centrée sur l'objectif principal de l'étude du comportement tabagique, ne fournit pas de renseignements plus approfondis sur les modes de consommations d'alcool ou de cannabis. La quasi-majorité des EIDE 1re année pensait que la crédibilité de l'hôpital n 'était pas remise en cause par un personnel fumeur. Cette crédibilté n'était remise en cause que par la moitié des EIDE 3e et EAS. Ces résultats peuvent s'expliquer car seuls les EIDE 1re année avaient bénéficié de l'enseignement en tabacologie, par conséquent il serait souhaitable que toutes les catégories d'étudiants soient sensibilisées à cette information. Les connaissances du RHST et la loi Évin n'étaient que partiellement acquises par les étudiants. Une formation spécifique sur le tabagisme apparaît par conséquent indispensable dans le cursus, autant pour les élèves aides-soignants que les étudiants infirmiers, compte tenu de leur futur rôle d'exemplarité auprès des patients.

CONCLUSION

La formation et la mise à disposition d'aide au sevrage apparaissent essentielles dans l'objectif d'induire un changement de comportement chez ces futurs professionnels de santé.

Nous pensons que le tabagisme, plus important chez les AS, doit bénéficier d'une politique de prévention ciblée (formation, aide au sevrage, reconnaissance professionnelle...), car leur rôle d'exemplarité n'est pas moindre que les autres catégories de personnel de soins, compte tenu que les AS constituaient 22,8 % de l'effectif des personnels soignants en 2000 vs 23,2 % d'infirmiers (source Dress).

BIBLIOGRAPHIE

(1) Molimard R, La Fume. Paris : Éd. Sides, février 2004. - (2) Centre Hospitalier de Vichy Tabac-Personnel-Hospitalier. Mars 2005, données personnelles. - (3) Eriksen W. Workfactors and smoking cessation in nurses' aides: a prospective cohort study. BMC Public Health 2005 ; 5 :142. - (4) Sekijima K, Seki N, Suzuki H. Smoking prevalence and attitudes toward tobacco among student and staff nurses in Niigata, Japan. Toloku J Exp Med 2005; 206:187-94. - (5) Dautzenberg B. Communication ASACTAPI Paris sept. 2006. - (6) Allaz AF, Séchaud L, Rougement A. Prévalence du tabagisme chez le personnel hospitalier et les futurs enseignants. Social and Preventive Medicine 1992, 37 131-5. - (7) Chalmers K, Seguire M, Brown J. Tobacco use and baccalaureate nursing students : a study of their attitudes, beliefs and personale behaviours. J Adv Nurs 2002; 40: 17-24. - (8) Dion X, Girlot J et al. Approche de la santé des jeunes en Europe. paramedical/international/apsante2.htm - (9) Eriksen W. Work factors and smoking cessation in nurses 'aides: a prospective cohort study. BMC Public Health 2005; 5: 142. - (10) Engs RS, Van Teijlingen E. Correlates of alcohos, tobacco and marijuana use among Scottish postsecondary helping-profession students. J Stud Alcohol 1997; 58:435- 44.