Procédures d'achats : les infirmiers ont leur mot à dire - Objectif Soins & Management n° 173 du 01/02/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 173 du 01/02/2009

 

Cahier du management

Utilisateurs de nombreux dispositifs médicaux, les IDE doivent impérativement participer à l'acquisition de ces biens de santé.

L'article L.595-2 du Code de la Santé publique stipule que le pharmacien d'un établissement de santé est notamment chargé d'assurer la gestion des dispositifs médicaux stériles (lire ci-après), à savoir leur approvisionnement, leur préparation, leur contrôle, leur détention, leur dispensation et leur bon usage. Il convient, dans un cadre économique raisonnable, de mettre à disposition le dispositif le plus adapté aux besoins du patient. Pour cela, le pharmacien doit s'entourer de l'ensemble des acteurs impliqués par les dispositifs médicaux stériles. Intervenant dans le circuit d'achat et d'approvisionnement, le pharmacien établit des critères de choix adaptés avec l'aide des utilisateurs, dont les infirmières, dans le respect du Code de la Santé et du Code des Marchés publics(1). En effet, selon les normes de qualité émises par le ministère(2), le rôle des infirmières est clairement formalisé dans différents domaines, dont les processus de choix et d'entretien des dispositifs médicaux stériles, ainsi que dans les alertes ascendantes et descendantes de matériovigilance.

PROCESSUS DÉCISIONNEL ET ORGANISATION DES ACHATS

La gestion des - très nombreux - dispositifs médicaux n'est pas aisée. Leur évolutivité est beaucoup plus importante que celle des médicaments. Alors qu'il faut plus de dix ans de développement jusqu'à l'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un médicament, les procédures de marquage CE (conformité européenne) sont plus rapides et plus ou moins simples selon la classe des dispositifs médicaux (cf. tableau page suivante). La taille du marché est telle (près de 80 000 références sont en marché à l'AP-HP) que seule une évaluation méthodique permet de lever l'incertitude entourant les performances des dispositifs médicaux et de garantir la satisfaction des utilisateurs. Le retour d'information de la part des utilisateurs est donc essentiel dans les procédures d'achat et du suivi de la matériovigilance, afin notamment d'améliorer les connaissances sur les dispositifs médicaux. De plus, ces dispositifs ont une composante «opérateur-dépendante» très forte : ils nécessitent des tests d'utilisation in vivo pour évaluer leur adaptation à l'emploi. La participation de tous les acteurs hospitaliers - et particulièrement celle du corps infirmier - est donc nécessaire. Les achats peuvent être conduits de façon localisée par établissement hospitalier, mais leur centralisation apporte une valeur ajoutée en termes :

→ d'expertise avec la mutualisation des connaissances ;

→ d'harmonisation des pratiques de soins et donc de qualité des soins ;

→ de poids économique, surtout pour les dispositifs représentant des volumes importants (gants, habillage et drapage chirurgical, dispositifs de perfusion, pansements...) ou à haute spécificité comme les prothèses et implants.

La plupart des grands groupes hospitaliers français, comme l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), de Marseille (AP-HM), ou les Hospices civils de Lyon, se sont dotés d'une centrale spécialisée dans les procédures d'achats de produits de santé. Ainsi, l'AP-HP possède une Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps), chargée de la mise en place et du suivi de ces procédures d'achats.

ÉVALUATION DES BESOINS

Composée de médecins, pharmaciens, cadres infirmiers ou médico-techniques et infirmières et de divers membres de droit, la Comedims (Commission du médicament et des dispositifs médicaux stériles) doit définir le «livret thérapeutique» des dispositifs médicaux. Ce référentiel correspond à la liste des dispositifs médicaux pouvant être utilisés au sein de l'établissement hospitalier. Un tel travail d'harmonisation et de rationalisation doit être fait en amont des procédures d'achat, pour évaluer les besoins, évaluer les procédures de soin et éditer les recommandations de bon usage des dispositifs médicaux. Il est essentiel de bien définir les utilisations et, pour cela, d'avoir une bonne connaissance transversale du soin et des indications des dispositifs médicaux. Les recommandations s'appuient sur une analyse bibliographique de la littérature, mais aussi sur l'expérience pratique des utilisateurs qu'il est nécessaire de recueillir de façon exhaustive.

Les procédures d'achat s'appuient sur les travaux de la Comedims et sur l'avis d'utilisateurs «experts» hospitaliers, médecins ou infirmières, spécialisés ou non, désignés par leurs pairs ou volontaires. Ces professionnels participent aux réunions préparatoires à la publication de l'appel d'offres, puis aux tests utilisateurs sur le terrain, et enfin au classement des offres. Les essais utilisateurs peuvent être réalisés au moment des procédures d'appel d'offres ou tout au long de l'année. Leurs résultats sont présentés au cours des commissions techniques de classement. Les fiches d'évaluation technique doivent être remplies de façon précise et objective car elles servent à l'attribution de la notation du produit (voir le schéma à droite).

PROCESSUS D'ACHAT

De nouvelles règles d'achat sont parues depuis septembre 2006 dans le cadre d'une directive européenne. Elles s'appliquent à l'ensemble des acteurs concernés dans les processus d'achat de l'État et de ses établissements publics. Leur objectif est de veiller à la bonne utilisation des deniers publics par le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse, dans le respect de la réglementation de l'achat public.

Trois grands principes

Les procédures d'achat mettent en avant trois grands principes : la liberté d'accès à la commande publique, l'égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures.

Ces principes impliquent :

un respect des procédures en fonction des montants d'achats prévisionnels (nationaux et européens) ;

une obligation de publicité nationale et/ou communautaire ;

la rédaction d'un cahier des charges qui décrit précisément les besoins, les performances techniques ou les exigences fonctionnelles requises, les critères de choix pondérés.

Des critères à l'évaluation

L'élaboration de critères d'appréciation des offres (techniques, cliniques, d'adaptation à l'usage, financiers) est faite en commun avec les différents acteurs impliqués dans le processus d'achat (médecins, infirmières, pharmaciens, responsable administratif des achats). La centrale d'achat (ou l'établissement hospitalier) évalue avec les utilisateurs hospitaliers les quantités et les types de dispositifs nécessaires au fonctionnement des hôpitaux pour une année et par famille de produits. Une annonce est publiée au niveau européen pour faire connaître le besoin aux différents fournisseurs et un règlement de consultation est mis à la disposition des fournisseurs. L'évaluation dans le choix débute par l'examen de conformité des lots reçus.

Le marquage CE est théoriquement garant de la qualité et de la sécurité d'emploi des produits, mais des tests techniques en laboratoire peuvent ponctuellement écarter des offres. Les critères cliniques prennent en compte l'expérience des utilisateurs. Des «essais hospitaliers» permettent d'évaluer l'adaptation à l'usage (pour les aiguilles de Huber sécurisées, par exemple) et la facilité d'utilisation, plus que l'efficacité clinique, qui nécessite des études beaucoup plus complexes théoriquement réalisées en amont.

Prix

Le prix dépend du type de dispositifs médicaux. Il est fixé par le fournisseur candidat, souvent d'après le prix de remboursement (prix fixé par le Comité économique des produits de santé, le CEPS, pour des dispositifs médicaux implantables inscrits sur la liste des produits et prestations remboursés), ou le prix du marché précédent (confidentiel, il est connu seulement par le vainqueur du précédent appel d'offres). Les choix se portent généralement vers le «mieux-disant», face à l'exigence de sécurité et de qualité en matière de soins.

Traçabilité

Les modalités de traçabilité (code et support lisible permettant un enregistrement informatique), prises en compte dans l'évaluation de l'offre de dispositifs médicaux implantables, seront exigées à partir du 1er janvier 2009.

Choix définitif

La centrale d'achat évalue les offres des fournisseurs en vue de leur classement. Le choix définitif appartient au directeur de l'établissement de santé. Un seul fournisseur est retenu (celui classé en première position) pour vendre à l'ensemble des hôpitaux dépendant de la centrale d'achat les dispositifs concernés par la procédure d'achat pour une durée déterminée, à un prix unique. Sauf exception dûment motivée, les hôpitaux doivent acquérir les produits qui sont en marché (le contrat est à respecter).

RÔLE DU PERSONNEL INFIRMIER DANS LA SÉLECTION

Le médecin, le pharmacien ou le représentant administratif ne doivent pas être seuls décideurs(3). L'IDE possède une liberté décisionnelle importante dans la réalisation de certains actes hors prescription. Cette autonomie doit pouvoir se traduire pratiquement par des choix techniques(4,5). Il s'agit d'une revendication ancienne(6) et répétée(7,8) de la profession infirmière, longtemps exclue des procédures de choix. Les commissions de choix sont aujourd'hui en théorie plus participatives mais, paradoxalement, la multiplicité des procédures de consultation sur des durées plus courtes rend la présence des infirmières aléatoire, le suivi des essais plus difficile et des résultats d'évaluation souvent imprécis. En tant qu'utilisatrice finale de nombreux dispositifs médicaux, la profession infirmière doit impérativement participer aux achats des dispositifs médicaux, et non pas subir des choix inadaptés ou contraints, ce qui peut arriver. Il est essentiel que les personnes volontaires pour participer aux évaluations manifestent leur intérêt auprès des différents acteurs du circuit des dispositifs médicaux.

Comme nous l'avons vu, l'IDE peut intervenir en amont, dès la Comedims où elle évoque l'évolution des besoins de sa profession et participe à l'élaboration des critères de choix. Cela facilitera d'autant l'évaluation clinique des échantillons soumis puisqu'elle aura elle-même défini les critères à satisfaire. Quels sont les types de dispositifs médicaux que doit évaluer la profession infirmière ? Certaines publications américaines introduisent une notion de prix seuil de 100 $ en dessous duquel l'IDE est la meilleure source d'évaluation(9) en lieu et place du médecin qui s'intéressera plus aux dispositifs médicaux spécifiques, innovants et coûteux (prothèses et implants, cathéters, dispositifs très spécialisés de type hémodialyse...). En pratique, en France, il s'agit plutôt d'une notion de dispositifs d'usage courant.

La littérature cite de nombreux exemples d'intégration de l'IDE dans le processus décisionnel institutionnel de choix des dispositifs médicaux (diffuseurs portables(10), cathéters pédiatriques(11)), en rappelant que les infirmières sont aussi à l'écoute des patients et peuvent recueillir leur précieux (et trop souvent oublié) avis dans les procédures de choix. L'avis des patients est particulièrement important, notamment pour les dispositifs médicaux concernant leur éducation (par exemple en diabétologie).

RÔLE DE L'IDE DANS LA MATÉRIOVIGILANCE

La matériovigilance correspond au suivi des incidents et risques d'incidents liés à l'utilisation des dispositifs médicaux. Elle entre dans les critères de choix des dispositifs médicaux et permet de privilégier les dispositifs les plus sûrs, n'ayant pas fait l'objet de déclarations locales d'incidents ni d'alertes. Valves bidirectionnelles défaillantes, diffuseurs portables au débit imprécis, aiguilles de Huber sécurisées impossibles à mettre en sécurité : ces incidents doivent être relayés par l'IDE auprès de son équipe d'encadrement, qui les signalera au pharmacien responsable. D'où l'importance d'une déclaration rigoureuse et systématique, qui enrichit les connaissances sur chaque dispositif. Là encore, les évolutions qu'a subies l'hôpital en matière de réduction du temps de travail imposent de remotiver les équipes à ce sujet. Il est nécessaire de rappeler l'importance de la notice d'emploi des dispositifs médicaux, qui ne fait pas l'objet d'une lecture systématique alors qu'elle est opposable en cas de problèmes d'utilisation.

CONCLUSION

Les processus d'achat passent nécessairement par la mise en place de structures permettant l'implication dans les choix des différents acteurs, tout particulièrement le personnel infirmier, très impliqué dans l'utilisation des dispositifs médicaux d'usage courant. L'information des IDE en aval quant aux résultats des procédures d'achat, avec la mise en place d'une formation et de recommandations d'utilisation élaborées dans le cadre d'une collaboration étroite entre le pharmacien, le personnel infirmier et médical, est essentielle pour optimiser le choix. Le niveau d'appréciation des IDE doit pouvoir être recueilli par des échanges réguliers, pour une amélioration constante des soins.

NOTES → (1) Voir le référentiel de la Société française de pharmacie clinique (SFPC) sur ; le guide de recommandation du ministère des Finances sur . - (2) «Soins infirmiers : normes de qualité. La participation de l'infirmière à la qualité des soins dispensés dans l'institution», sur le site du ministère de la Santé : . - (3) «Just what the doctor ordered», S. Baker, K. Smithson, S. Schmitt, E. Schaefer, J. - (4) «The management of chronic wounds : factors that affect nurses' decision-making»», E. Boxer, C. Maynard, Journal of Wound Care, septembre 1999, 8 (8), pp. 409-412. - (5) «Using wound care products to promote a healing environment», J. Maklebust, Critical Care Nursing Clinics of North America, juin 1996, 8 (2), pp. 141-158. - (6) «Getting nurses involved in your product committee», L. Joy, Materials Management in Health Care, juillet 1994, 3 (7), p. 38, 40, 42. - (7) «Wise buys. Do you have what it takes to sway new product purchases ?», K. Malloch, Nursing Management, mai 2000, 31 (5), p. 30. - (8) «Nurses have a role in product selection», J. Painter, ONS Connect, mai 2007, 22 (5), p. 19. - (9) «2 cents for products under $100», K. Malloch, Nursing Management, août 2000, 31 (8), p. 26. - (10) «Évaluation pratique de trois diffuseurs portables utilisés en chimiothérapie anticancéreuse», B. Gruwez, V. Lecante, A. Dauphin, Journal de pharmacie clinique, septembre 2002, 21 (3). - (11) «Les cathéters de sécurité sont-ils adaptés à la pédiatrie ? Critères de choix et bilan après six mois de mise à disposition», S. Micard, P. Mary, D. Combeau, F. Brion, Journal de pharmacie clinique, avril 2004, (2), pp. 101-106.

LES DISPOSITIFS MÉDICAUX STÉRILES

Des pansements aux endoprothèses coronaires, le nombre de ces biens de santé couramment utilisés à l'hôpital est immense et leur domaine d'application vaste. Les plus spécifiques d'entre eux sont utilisés par le médecin, mais une grande partie nécessite la compétence de l'infirmière dans la production des soins au patient. Tous relèvent néanmoins de la responsabilité du pharmacien.

PROCÉDURES D'ACHAT

LES DIFFÉRENTS TYPES

Marché (article 5 du Code des Marchés publics) : contrat à titre onéreux qui prévoit la fourniture de produits ou services pour lesquels l'établissement a identifié des besoins.

Appel d'offres, ouvert ou restreint, national ou européen, pour des montants supérieurs à 206 000 € HT : procédure de consultation de plusieurs sociétés en vue de passer un marché. Elle doit être mise en place dès que la concurrence existe (au moins deux fournisseurs comparables ou plusieurs distributeurs d'un même produit). Pas de négociation possible, sauf appel d'offres infructueux. L'offre économiquement la plus avantageuse sur la base de critères objectifs connus, pondérés, est retenue.

Marché négocié avec concurrence (article 35.I.1) : à la suite d'un appel d'offres infructueux, à la suite d'une défaillance, il faut pouvoir justifier de l'absence de concurrence.

Marché négocié sans concurrence (article 35.II.8) : procédure dérogatoire réservée à la fourniture de produits ou de services sans concurrence (brevets, matériels captifs non substituables...). Négociation possible.

Marché à procédure adaptée (Mapa), de 4 000 € à 206 000 € HT : procédure formalisée (marché négocié avec concurrence et procédure «allégée»).

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