Une infirmière en garde à vue - Objectif Soins & Management n° 173 du 01/02/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 173 du 01/02/2009

 

Droit

RESPONSABILITÉ → La fin d'année 2008 a été marquée par la dramatique affaire survenue à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris : le décès d'un jeune enfant à la suite de l'administration par erreur d'un produit non prescrit. Les signes d'aggravation ont été vus trop tard. Une mort qui n'aurait jamais dû avoir lieu et qui pose, comme un cas d'école, la question de la responsabilité.

À ce jour, madame Odile Bertella-Geffroy, juge d'instruction au pôle santé du tribunal de grande instance de Paris, est saisie. L'instruction est en cours et la plus grande réserve est nécessaire, et ce, tant par respect pour la famille que pour l'infirmière en cause. En revanche, il est nécessaire de parler du droit et de la procédure.

L'INFRACTION D'HOMICIDE INVOLONTAIRE

L'infraction en cause est l'homicide involontaire : avoir causé un décès par maladresse, inattention, négligence ou inobservation des règlements. La règle est sévère. Une simple inattention, dès lors qu'elle a eu pour conséquence de causer des blessures - ou pire - le décès, est de nature à engager la responsabilité pénale. C'est le régime des infractions involontaires. Le geste qui a conduit au décès n'emportait en aucune manière l'intention de causer de dommage. Mais, malgré l'absence d'intention coupable, il est possible de se retrouver engagé dans une procédure pénale, sur le fondement de ce fameux régime des infractions non intentionnelles, encore appelées infractions involontaires.

C'est le texte de référence pour toute la responsabilité pénale des professions de santé. Le recensement est difficile mais on peut estimer le nombre de condamnations pénales à quelques dizaines par an, ce qui est très peu au regard du million de personnes qui travaillent auprès des malades, et de la multiplicité des actes pratiqués au cours d'une année. Une proportion infinitésimale, mais qui existe et qui existera toujours.

On ne peut pas envisager qu'il puisse y avoir exercice auprès des patients, avec le risque de remettre en cause leur vie, sans que soit posée la question de la responsabilité personnelle.

En réalité, ce qui pose problème, c'est moins l'infraction en elle-même que la procédure à laquelle se trouve soumise alors le professionnel de santé.

LA PROCÉDURE

La dénonciation des faits

Le Procureur a été immédiatement avisé de la survenance des faits : c'est là une chose normale. Le procureur doit être avisé par toute personne des faits qui sont susceptibles de constituer une infraction. Le Procureur décide alors s'il y a lieu d'enquêter ou non, et selon quelles modalités sera conduite l'enquête. Ajoutons que, pour les agents de la fonction publique, l'article 40 du Code de procédure pénale renforce l'obligation. Aussi, la bonne pratique ne fait pas de doute. Tenu par un rapport hiérarchique, un agent de la fonction publique hospitalière doit aviser son encadrement, et celui-ci doit transmettre au directeur d'établissement. À partir du moment où l'affaire est marquée d'un certain sérieux, le directeur doit aussitôt informer le procureur de la République qui prendra les initiatives lui paraissant opportunes. L'alternative serait la loi du silence, inacceptable.

La garde à vue

Informé de ces faits, le procureur a immédiatement demandé qu'une enquête soit effectuée. C'est une enquête de flagrance, qui accorde des pouvoirs renforcés aux services de police. Les policiers peuvent se rendre sur place et perquisitionner, aux fins de recueillir tous les éléments de preuve utiles. Ils peuvent immédiatement procéder à l'audition des témoins. Je dis bien des «témoins» car, à ce stade, personne n'est accusé. Mais le Code de procédure pénale permet d'entendre les témoins sous le régime de la garde à vue.

C'est l'article 63 du Code de procédure pénale : « L'officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l'enquête, placer en garde à vue toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction. » En l'occurrence, la décision de mettre l'infirmière en garde à vue puis de prolonger la garde à vue a été prise.

Madame Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, a indiqué qu'il s'agissait de la procédure normale : non, cet aspect de procédure était tout à fait anormal.

L'infirmière a pu être rapidement entendue et livrer sa version complète des faits, telle qu'elle en avait connaissance. Elle ne risquait pas de disparaître dans la nature. Elle n'y avait pas non plus de risque de concertation frauduleuse avec d'autres témoins, ou de manipulation des preuves.

Aussi, dès lors qu'avait eu lieu une audition approfondie, le procureur pouvait permettre à l'infirmière de rentrer chez elle, avant une future convocation pour mise en examen par le juge d'instruction. L'enquête est appelée à poursuivre pendant des mois.

Alors, pourquoi cette garde à vue et sa prolongation ? On ne peut qu'émettre des hypothèses, car ces décisions ne sont pas motivées, sauf par référence au concept large des «nécessités de l'enquête». Ce que l'on peut comprendre, c'est que le Parquet a sans doute pensé qu'il était possible d'éviter la procédure d'instruction dès lors que les faits étaient caractérisés, reconnus, et que l'autopsie réalisée en urgence allait pouvoir donner une confirmation scientifique, notamment par les dosages sanguins. De telle sorte, il aurait été envisageable de clore l'enquête le temps de la garde à vue, et de renvoyer l'affaire devant le tribunal en évitant la phase d'instruction. Manifestement, l'autopsie ainsi que les premiers avis médicaux et les témoignages recueillis ont fait comprendre que l'affaire n'était pas si simple que cela. Ainsi, il y a eu interruption de la garde à vue et présentation à un juge d'instruction, qui, après mise en examen, a rendu à l'infirmière sa liberté. Une épreuve qu'il faut qualifier de parfaitement inutile et bien regrettable... mais, pour autant, c'est l'application de la loi.

Le Code de procédure pénale est rude, ce qui est nécessaire pour les délinquants de métier, mais est totalement inadéquat pour des professionnels qui commettent une faute d'inattention.

La mise en examen

Le juge d'instruction a notifié à l'infirmière les charges retenues par le procureur de la République. C'est cette notification des charges qui s'appelle «mise en examen». La mise en examen ne remet pas en cause la présomption d'innocence. Passé un certain stade, les indices qui mettent en cause une personne doivent conduire à passer du statut de «témoin», c'est-à-dire personne extérieure à la procédure, à celui de «mis en examen», c'est-à-dire personne concernée par la procédure et qui doit être en mesure de se défendre : notification des charges, assistance par un avocat, et accès au dossier. Par la suite, la personne mise en examen n'est plus entendue par la police mais seulement par le juge d'instruction et en présence de l'avocat, avec des convocations délivrées suffisamment à l'avance. L'avocat peut obtenir une copie du dossier et l'infirmière procède alors à un examen détaillé de l'ensemble, ce qui permet des auditions équitables.

Le contrôle judiciaire

Le juge d'instruction, au titre du contrôle judiciaire, a interdit l'infirmière d'exercice. Il ne s'agit pas d'un pré-jugement, mais d'une mesure de sécurité, autorisée par le Code de procédure pénale (art. 138, 12°). C'est une mesure de sauvegarde, avant de voir plus clair dans le dossier. Il est possible d'en faire appel devant la chambre de l'instruction ou de solliciter du juge un aménagement ou une suppression du contrôle judiciaire.

La mesure interdit d'effectuer des actes infirmiers dans quelque structure que ce soit. Moralement, il est pas évident pour une personne mise en examen de poursuivre l'exercice professionnel. Il faut pourtant l'y encourager, car la mise en examen n'est pas une condamnation, et les condamnations n'emportent que de manière rarissime une interdiction d'exercer.

L'instruction va prendre plusieurs mois, des expertises ont certainement été demandées. D'autres auditions sont nécessaires. On s'interroge sur le circuit du médicament. Toutes les investigations vont nécessiter du temps. Si un contrôle judiciaire trop strict est maintenu, il tend à devenir une véritable peine, ce qui est inacceptable, et en droit et en fait.

La protection fonctionnelle

Mis en cause à l'occasion de faits survenus dans le cadre de ses fonctions, un agent de la fonction publique bénéficie de la protection fonctionnelle (Statut général, art. 11), c'est-à-dire de l'assistance par un avocat librement choisi et dont les honoraires sont pris en charge par l'employeur. Pour les fautes involontaires, comme la maladresse ou l'inattention, cette protection fonctionnelle est de droit, et elle permet donc à l'infirmière d'assurer sa défense dans les meilleures conditions. De même, l'hôpital conserve la charge de la responsabilité civile, en indemnisation.

À supposer que l'infirmière soit un jour condamnée sur le plan pénal, cette faute aura été commise dans le cadre des fonctions qui avaient été confiées, et les conséquences financières restent à la charge de l'employeur. D'ailleurs, l'administration hospitalière a immédiatement offert la prise en charge de tous les premiers frais liés aux funérailles.

Viendra un jour le procès qui sera pénal devant le tribunal correctionnel. Ce type de procès a une symbolique très forte, mais, au final, la condamnation ne devrait pas être trop sévère, car, quelles que soient les conséquences du geste, il n'en reste pas moins que ce geste résultait d'une inattention. Une inattention qui a causé un décès doit être jugée, mais elle ne doit pas briser une carrière professionnelle.