L'intéressement à l'hôpital, une émergence timide - Objectif Soins & Management n° 174 du 01/03/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 174 du 01/03/2009

 

Cahier du management

Une enquête nationale sur la nouvelle gouvernance, menée en 2008 par la DHOS, montre que 18 % des établissements publics ont mis en place un intéressement dans l'un de leurs pôles. Les pouvoirs publics entendent tout de même le développer à l'hôpital.

En vertu de l'ordonnance du 2 mai 2005, l'article L. 6145-16 du Code de la Santé publique prévoit que : « Les établissements publics de santé mettent en place des procédures de contractualisation interne avec leurs pôles d'activité (...). Le contrat négocié puis cosigné entre le directeur et le président de la commission médicale d'établissement, d'une part, et chaque responsable de pôle d'activité, d'autre part, définit les objectifs d'activité, de qualité et financiers, les moyens et les indicateurs de suivi des pôles d'activité, les modalités de leur intéressement aux résultats de leur gestion, ainsi que les conséquences en cas d'inexécution du contrat. »

La structuration des pôles trouve son achèvement avec la conclusion d'un contrat interne et l'élaboration d'un projet de pôle. Le contrat définit les objectifs d'activité, de qualité et financiers, les moyens et les indicateurs de suivi des pôles d'activité, les modalités de leur intéressement aux résultats de leur gestion, ainsi que les conséquences en cas d'inexécution du contrat. Ce sont le Conseil d'administration et le Conseil exécutif qui définissent la politique de contractualisation interne et délibèrent sur l'intéressement en lien avec le directeur et le président de la Commission médicale d'établissement (CME). En l'absence de mention expresse dans les textes d'un intéressement pécuniaire des agents, la politique d'intéressement dont il s'agit ne vise que l'intéressement des structures. Il s'agit d'un intéressement collectif, pour le pôle et ses acteurs.

LA RÉALITÉ DANS LES HÔPITAUX, L'ENQUÊTE DE LA DHOS

Le fonctionnement des pôles aujourd'hui

L'enquête de la DHOS menée en 2008 a porté sur l'ensemble des 643 établissements concernés par la réforme de la gouvernance. La quasi-totalité des établissements sont aujourd'hui découpés en pôles et disposent d'un Conseil exécutif. Le nombre de pôles varie selon la taille des établissements, mais en partie seulement. À titre indicatif, le CHU de Rouen a mis en place onze pôles tandis que le CHU de Lille a découpé son établissement en quarante pôles. Les conseils de pôles sont partiellement installés, seulement 43 % des établissements ont mis en place un conseil de pôle dans chacun de leur pôle. En ce qui concerne la contractualisation, la réforme avance lentement. La grande majorité des CHS et des CH n'ont pas signé de contrat de pôles. Mais un peu plus de la moitié des CHU ont mis en place des contrats de pôle dans au moins un pôle. Les délégations de gestion sont également peu mises en place et concernent moins de 50 % des établissements de santé. Les ressources humaines sont la thématique la plus déléguée (40 %), suivi de l'achat de petits matériels (25 %), puis des investissements (13 %). En revanche, 65 % des établissements déclarent avoir mis en place des outils de comptabilité analytique. L'indicateur de suivi d'activité et de dépenses et les indicateurs qualité sont les outils les plus utilisés.

L'intéressement et ses critères

Il ne peut y avoir intéressement qu'à partir du moment où il existe un contrat signé et des outils qui permettent de suivre les objectifs poursuivis.

→ De fait, moins de deux établissements sur dix ont mis en place des mécanismes d'intéressement dans au moins un pôle. 86 % des CH et 77 % des CHS n'ont mis en place aucun critère d'intéressement.

→ L'intéressement est en revanche partiel (au moins un pôle expérimentateur) ou total (tous les pôles) dans 62 % des CHRU. Plus préoccupés par leurs plans de retour l'équilibre, de nombreux établissements n'auraient pas jugé opportun de mettre en place un mécanisme d'intéressement.

→ De plus, les craintes d'une mise en concurrence entre pôles, les risques de stigmatisation des pôles déficitaires, la dénonciation d'une logique «hôpital-entreprise» avec intéressement aux bénéfices sont des freins à la mise en place de l'intéressement.

Pour autant, les directeurs d'hôpitaux y sont dans l'ensemble largement favorables. Ils y voient bien souvent un moyen de favoriser l'efficience dans leurs établissements.

→ Dans les hôpitaux qui ont poussé la logique de la nouvelle gouvernance, les critères utilisés pour l'intéressement dans les pôles sont les suivants : atteinte des objectifs médico-économiques (79 %), atteinte d'objectifs d'activité (71 %), atteinte d'objectifs de qualité (61 %), atteinte d'objectifs en matière de réorganisation (34 %). Les enveloppes allouées aux pôles liées à cet intéressement sont librement utilisées à partir du moment où les dépenses ne sont pas pérennes. Elles servent à des dépenses sur les comptes d'entretien, de travaux, de petit équipement médical et non médical, d'investissements en formation, de mensualités de remplacement ou autres afin d'améliorer le fonctionnement et les conditions de travail au sein du pôle.

EXEMPLES DE POLITIQUES D'INTÉRESSEMENT

CH de Saint-Dizier : une indépendance par rapport aux résultats comptables

Établissement expérimentateur de la nouvelle gouvernance, le Centre hospitalier de Saint-Dizier s'est constitué en pôles dès janvier 2003. Une délégation en matière de gestion des effectifs a été instaurée d'entrée de jeu. S'agissant de l'intéressement, mis en place en 2005, le Conseil exécutif a choisi de privilégier un intéressement basé sur le respect de la politique générale de l'établissement par le pôle. « L'objectif était de prévenir les risques de «balkanisation» de l'établissement », a déclaré Danielle Portale, directrice de l'établissement, au cours d'une journée gouvernance organisée en 2008 par l'ARH Champagne-Ardennes.

Dans le cas présent, les critères d'intéressement fixés par le Conseil exécutif sont indépendants des résultats comptables. Ils reposent sur le respect des objectifs à atteindre en matière d'amélioration de la gestion des identités patient, d'absentéisme, d'hygiène, d'exhaustivité du Programme de médicalisation des systèmes d'informations (PMSI) et des délais de transmission. Chaque pôle a des objectifs spécifiques et l'enveloppe maximale d'intéressement peut aller jusqu'à 25 000 euros. Cette enveloppe est librement utilisée par le pôle et l'intéressement peut également faire l'objet d'une provision.

CH de Saint-Nazaire : reversement au prorata

Le CH de Saint-Nazaire s'est quant à lui arrêté sur un mécanisme relativement simple. La situation de chaque pôle est analysée grâce aux outils habituels (compte de résultat analytique, tableau coût-case mix qui permet de comparer les données de coûts et d'activité d'un établissement avec les données de la base de l'Étude nationale de coûts qui sert de référentiel). Lorsque le CH est en situation d'excédent, 80 % de cet excédent est reversé aux pôles au prorata de leur contribution à ces résultats. Pour la direction de l'établissement, l'intéressement est un gage d'efficience globale : il permet d'aider les réorganisations des activités en difficultés, de soutenir les projets en développement mais aussi de définir des objectifs de retour à l'équilibre pour les pôles déficitaires.

CH de Rambouillet : rémunération de la qualité

Le CH de Rambouillet fait partie de ces quelques hôpitaux qui ont été jusqu'au bout de la démarche de délégation de gestion et d'intéressement. La délégation de gestion concerne le plan d'équipement hôtelier, et la démarche d'intéressement a, quant à elle, été initiée en 2007. Une série de trois critères, «résultats», «progrès» et «qualité», a été adoptée par le centre hospitalier de Rambouillet en 2007 pour définir une véritable politique d'intéressement collectif dans les pôles. « Malgré le fait que l'établissement soit légèrement déficitaire, nous avons provisionné une enveloppe d'intéressement de plus de 100 000 euros à répartir entre les sept pôles de l'établissement. Cet intéressement est attribué en fonction d'une série de trois critères validés par la CME et les instances », explique Emmanuelle Quillet, directrice de l'hôpital. Chaque pôle a ainsi touché une enveloppe d'intéressement comprise entre 24 000 euros et 8 000 euros.

ENVELOPPE «RÉSULTATS»

Alors que la Haute Autorité de santé parle de plus en plus de rémunération de la qualité, l'hôpital de Rambouillet apparaît comme un établissement pionnier en la matière puisque l'une des trois enveloppes de l'intéressement collectif prend en compte la qualité. Les objectifs qualité assignés aux pôles ont été définis en fonction des résultats de l'accréditation. Ils incluent notamment la tenue du dossier patient, les prescriptions, la lettre au médecin traitant... « C'est la directrice qualité, accompagnée d'un cadre de santé n'appartenant pas au pôle, qui vérifie les objectifs qualitatifs », précise la directrice de l'hôpital.

ENVELOPPE «QUALITÉ»

Outre cette enveloppe «qualité», une enveloppe «résultats» est également distribuée aux pôles. Les pôles excédentaires en fin d'année bénéficient d'une attribution au titre de cette enveloppe, proportionnelle à l'excédent réalisé.

ENVELOPPE «PROGRÈS»

Afin de ne pas pénaliser les pôles par nature déficitaires, comme la néonatalogie, la direction de l'hôpital a néanmoins prévu une troisième enveloppe, l'enveloppe «progrès». Qu'ils soient excédentaires, déficitaires ou équilibrés, les pôles peuvent bénéficier d'un intéressement s'ils atteignent les objectifs de réduction des dépenses et d'augmentation de l'activité définis dans les contrats de pôle. Dans une fiche d'information mise en ligne sur le site Internet C2R Santé, le directeur adjoint financier de l'établissement détaille les avantages de l'intéressement : mobilisateur pour les professionnels hospitaliers, générateur de changements de comportement, sentiment de reconnaissance pour le personnel, émulation et concurrence entre les pôles...

CHU de Montpellier : sanction en cas de non-atteinte des objectifs

Depuis 2007, le dispositif réglementaire de nouvelle gouvernance est opérationnel à 100 % au CHRU de Montpellier. Quatorze pôles d'activité ont été créés, un contrat de pôle et plusieurs avenants ont été signés, un dispositif d'intéressement a été mis en place.

Tous les contrats de pôle sont assortis d'objectifs et d'indicateurs chiffrés d'activité, de qualité, de dépenses et de recettes. Ces contrats prévoient un intéressement et des conséquences en cas d'inexécution. L'intéressement est conditionné par la valorisation des activités du pôle : PMSI, consultations, actes externes de biologie ou d'imagerie réalisés pour des tiers. Il n'est envisagé que si un pôle dépasse globalement ses objectifs en matière de recettes et de dépenses.

À l'issue de l'exercice, quatre pôles sur quatorze ont bénéficié d'une enveloppe au titre de l'intéressement, les pôles «cliniques médicales», «urgences», «neurosciences tête et cou» et «psychiatrie». Pour les deux premiers, les montants sont modestes, autour de 7 500 euros chacun. En revanche, le pôle «neurosciences tête et cou» a obtenu au titre de l'intéressement plus de 160 000 euros et le pôle psychiatrie près de 210 000 euros. Le pôle «cliniques médicales» a décidé d'utiliser cette somme pour réaliser des travaux d'amélioration pour l'accueil et le secteur de consultation, le pôle «urgences» pour l'acquisition de nouveaux ordinateurs. Le pôle «neurosciences» a fait une demande pour de nouveaux équipements biomédicaux. Enfin, le pôle «psychiatrie» a souhaité investir dans des travaux d'amélioration de la prise en charge des patients.

Le CHU de Montpellier a aussi instauré un intéressement négatif, une sorte de malus pour les pôles. Le pôle «cardio-pneumologie» de l'établissement s'est ainsi vu pénalisé d'une somme de 130 000 euros en raison de l'attitude de cliniciens qui ne codaient pas les séjours PMSI et les faisaient coder par le département d'information médicale.

CHU de Toulouse : une provision pour l'intéressement

Le CHU de Toulouse vient d'arrêter sa politique d'intéressement. L'intéressement est réparti de trois manières différentes.

→ D'une part, il y a un intéressement lié au résultat de l'établissement. Si le résultat constaté par le compte administratif de l'établissement en fin d'exercice est positif, celui-ci donne lieu à intéressement au profit des pôles excédentaires.

→ D'autre part, il existe un intéressement spécifique en fonction de l'atteinte des objectifs qualité spécifiés dans le contrat de pôles.

→ L'atteinte des objectifs de maîtrise des dépenses et d'augmentation de l'activité prévus par le contrat de pôle donne également lieu à un intéressement.

Dans ces deux derniers cas, l'intéressement est garanti même si l'établissement est en déficit. Une enveloppe correspondant à 0,15 % de la base budgétaire annuelle, indépendante du résultat comptable constaté en fin d'exercice, est intégralement répartie sur les pôles au prorata de l'atteinte de leurs objectifs en matière de qualité, d'activité et de maîtrise des dépenses.

PERSPECTIVES, LA LOI HPST

À l'occasion de la présentation de la future loi HPST (Hôpital, patients, santé, territoires), le président de la République a plaidé pour la mise en place d'une véritable politique d'intéressement avec redistribution des excédents financiers aux personnels hospitaliers. « Pourquoi ne pas permettre aux hôpitaux qui sont à l'équilibre grâce aux efforts de tous leurs personnels de redistribuer une partie des excédents (...) aux salariés, au personnel hospitalier ? », a ainsi déclaré Nicolas Sarkozy lors de son discours de septembre à Bletterans. « Et je ne vois pas pourquoi une politique d'intéressement, à laquelle je crois tant dans le secteur privé, ne s'appliquerait pas dans le secteur hospitalier. C'est grâce à l'amélioration de sa productivité qu'un centre hospitalier réalise un excédent. »

À noter que le rapport Larcher sur l'hôpital recommandait également de développer l'intéressement financier afin d'augmenter l'attractivité des hôpitaux pour les soignants et médecins. Le chapitre sur la gouvernance dans le projet de loi, projet débattu en février dernier au Parlement, ne mentionne pas pour autant l'intéressement en tant que tel.

Au cours des premières rencontres sur le management de pôles, organisées début février à Paris par la Fédération hospitalière de France, Claudine Bergoignan-Esper a cependant observé que le projet était très élagué par rapport au texte actuel. « En l'état, le projet de loi laisse une liberté énorme en matière d'organisation de la gouvernance », a précisé ce professeur en droit de la santé. Quoiqu'il en soit, la volonté affichée par le ministère de la Santé et la DHOS est de poursuivre la dynamique engagée dans les pôles.

Les nouveaux pouvoirs des directeurs

Comme l'a souhaité Nicolas Sarkozy, qui veut faire du directeur de l'hôpital un véritable «chef d'entreprise», la loi HPST donnera cependant aux directeurs des pouvoirs considérables par rapport à la situation actuelle. À l'égal d'un véritable chef d'entreprise qui nomme ceux qui l'entoure, le directeur crée les pôles, il choisit et nomme les «chefs de pôle» (le terme «chef de pôle» remplace celui de «responsable de pôle»).

Le Conseil exécutif disparaît, remplacé par un directoire restreint présidé par le directeur de l'établissement. Un Conseil de surveillance, qui a pour objet de contrôler les équilibres mais non d'administrer l'hôpital, remplacera le Conseil d'administration. Les chefs de pôle auront quant à eux autorité sur leurs pôles et sur les équipes, il n'est plus fait mention de triumvirat et de Conseil de pôles.

Mais c'est bien au directeur à qui il reviendra d'organiser son établissement, et de définir seul - certes il est tout de même conseillé par son «directoire» - la politique à mettre en oeuvre dans les pôles dont il aura nommé les chefs. Les chefs d'établissements devraient avoir demain toute latitude pour imposer leurs choix et leurs stratégies, notamment celle de mettre en place ou non une politique d'intéressement.

POUR EN SAVOIR PLUS

Le site de C2R Santé

Le C2R Santé est un centre régional de ressources mis en place l'Agence régionale de l'hospitalisation d'Île- de-France. Son objectif est de favoriser la mise en oeuvre des réformes dans les établissements franciliens à travers le partage et la mutualisation des expériences.

Le site Créer de la DHOS

Ce site édité par la DHOS a également pour objectif de présenter les expériences en matière de réforme de la gouvernance des établissements de santé. Une agora réservée aux acteurs de l'hôpital permet d'échanger mais aussi de consulter un certain nombre de documents.

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