Le régime de Vichy et la médecine - Objectif Soins & Management n° 174 du 01/03/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 174 du 01/03/2009

 

Droit

LES QUATRE ANNÉES DE VICHY → Une page d'histoire à tourner, oui... si on l'a bien étudiée, et qu'on ne l'oublie pas. Dans l'avis du 16 février 2009, n°315499, le Conseil d'État a reconnu la continuité d'État entre Vichy et la République. Le régime de Vichy, qui pensait avoir l'avenir pour lui, ne se cachait pas. Tout passait par la loi, et tout était dans le Journal officiel. Parmi ces textes, les lois traitant de la santé et de la médecine font froid dans le dos.

Deux textes témoignent de ce qu'étaient, dans le domaine moral, les fondements du régime de Vichy : la loi du 17 novembre 1941 et l'arrêté du 10 novembre 1942

LES FONDEMENTS IDÉOLOGIQUES

Loi du 17 novembre 1941 : Fondation française pour l'étude des problèmes humains

Alexis Carrel (1873-1944) était un médecin lyonnais, connu pour ses travaux sur la culture des cellules et sur l'immunologie, prix Nobel en 1912, et inventeur du premier coeur-poumon artificiel avec Charles Lindbergh. Mais, ce savant soutenait aussi les théories les plus abominables de l'eugénisme, notamment dans son célèbre livre L'Homme, cet inconnu. Proche du régime de Vichy, il obtint la responsabilité de la Fondation française pour l'étude des problèmes humains, une instance qui lui permit de s'entourer d'une équipe de scientifiques pour développer ses théories eugénistes, inspiratrices du régime. Des malversations dans la gestion de la Fondation conduisirent à sa révocation, et Alexis Carrel mourut le 5 novembre 1944, de telle sorte qu'il ne fut pas jugé. Son aura scientifique a éclipsé pendant longtemps ses travaux criminels. Il fallu attendre les années 1990 pour que le rappel de ses théories eugéniques et antidémocratiques remettent en cause les honneurs qui lui étaient conférés en toute tranquillité. Notamment, la faculté de médecine de Lyon qui portait son nom a été débaptisée.

Arrêté du 10 novembre 1942 : Commission scientifique pour l'étude des questions de biologie raciale

« Respect des traditions spirituelles de la France... » : l'arrêté du 10 novembre 1942 du Commissaire général aux questions juives, Darquier de Pellepoix, créait une Commission scientifique pour l'étude des questions de biologie raciale.

Cette commission eut une courte, mais fructueuse existence : elle devint le 23 novembre 1942 l'Institut d'anthropolo-sociologie, inauguré le 22 décembre 1942 en présence de Darquier de Pellepoix, et largement subventionné par le Commissariat général aux questions juives. Son président, Claude Vacher de Lapouge, était le fils de Georges Vacher de Lapouge, un théoricien du racisme.

Dans la foulée furent créés deux organismes satellites : en direction de l'opinion, l'Union française pour la défense de la race, le 6 janvier 1943, et à destination de l'élite, l'Institut d'études des questions juives et ethno-raciales, dirigé par l'universitaire George Montandon, «expert-ethnoracial auprès du Commissariat général aux affaires juives» le 26 mars 1943. Une chaire d'histoire du judaïsme fut ensuite créée à la Sorbonne. Parmi les enseignements, on relève Gérard Mauger pour «eugénique et démographie», Arnaud Bernardini pour «généalogie sociale», Charles Laville pour un cours de «judéocratie» ou encore Pierre Villemain exposant la «philosophie ethnoraciale». Brillante Sorbonne, et professeurs bien trop silencieux...

L'EXERCICE DE LA MÉDECINE

La médecine et les étrangers

Depuis plus d'une décennie, les médecins se plaignaient de « l'invasion par les praticiens étrangers ». Le docteur Paul Cibrié, fondateur du tout-puissant syndicat la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), liait l'affaiblissement des traditions médicales en France au nombre de médecins étrangers « qui n'ont pas la même moralité que les médecins français parce qu'ils n'ont pas reçu dans nos écoles françaises l'éducation et la probité médicale ». La loi du 16 août 1940 répondit à cette attente : « Nul ne peut exercer la profession de médecin, chirurgien dentiste ou de pharmacien en France ou dans les colonies françaises, s'il ne possède la nationalité française à titre originaire comme étant né d'un père français. » C'était la nationalité par le sang du père. La rupture avec la considération objective de la personne se lit dans ce type de législation.

La médecine et les Juifs

L'exclusion des Juifs de la médecine résulte d'abord des textes généraux que sont les deux statuts des Juifs. Le plus célèbre de tous, et non sans raison, est la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs. Mais le plus «efficace» fut le second, daté du 2 juin 1941. La principale difficulté, classique en droit, était celle de la qualification : comment la loi peut-elle définir qui est juif ? D'où cette rédaction de l'article 1 du statut d'octobre 1940 : « Est regardé comme juif, pour l'application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif. » Il s'agissait d'assurer le plus large domaine d'action : saisir une personne compte tenu de son état, et non de son adhésion spirituelle. A priori, tout est simple. Le critère de la race est d'un usage plus rationnel que celui très subjectif de la foi religieuse : être juif est un état, lié à la naissance. Il permet de fermer les échappatoires que sont l'abandon de la foi ou la conversion. Mais tout se compliquait, car personne ne sait définir la notion de race. Aussi, le second statut avait combiné les critères de la race et de la religion, et imposé aux «Juifs» de se faire recenser sous peine de sanction pénale et d'internement.

Les médecins juifs de statut public étaient écartés de l'exercice de la médecine par l'article 2 du statut, avec un régime d'exclusion totale, et les libéraux par l'article 4, avec un régime de quota. Les mesures d'exclusion viendront après l'adoption du second statut. Défini par décret, ce quota fut fixé à 2 %, ce qui conduisit à contrôler l'accès aux formations et à imposer le même critère racial aux étudiants.

Les modalités ont été fixées par le décret du 11 août 1941 « réglementant en ce qui concerne les Juifs la profession de médecin ». Il revenait aux patriciens juifs au sens de la loi d'effectuer une déclaration volontaire auprès de l'Ordre. Cette déclaration était une suite du recensement obligatoire, ce qui plaçait les personnes dans une situation assez terrible. Les critères légaux étaient flous, et il revenait à chacun de s'auto-désigner juif. À défaut, le risque était la prison, l'internement et la radiation de l'Ordre. Ensuite, c'était à l'inspection de la santé, en recoupant les informations, d'établir les listes de médecins juifs et non juifs, et la tâche la plus douloureuse revenait à l'Ordre des médecins. C'est lui qui devait désigner au sein de la liste des médecins juifs ceux qui continueront à exercer, dans la limite des 2 % de l'effectif de chaque département.

Loi du 21 juin 1941 : limitation du nombre des étudiants juifs

Quelques jours après l'adoption du nouveau statut, la loi du 21 juin 1941 réglait les conditions d'admission des étudiants juifs dans les établissements d'enseignement supérieur. Le nombre des étudiants juifs admis à s'inscrire pour chaque année d'étude d'une faculté, d'une école ou d'un institut d'enseignement supérieur, ne pouvait excéder 3 % des étudiants non juifs inscrits pour cette même année durant l'année scolaire précédente. Chacun devait déclarer sa religion, et les responsables de l'école établissaient la liste des étudiants juifs, dans cette limite.

Loi du 7 octobre 1940 : création de l'Ordre des médecins

L'Ordre des médecins a été créé par la loi du 7 octobre 1940. C'était l'aboutissement d'une revendication de la profession, et spécialement du syndicat dominant, la CSMF, qui y voyait le relais de son action. Ce qui pose problème avec la loi du 7 octobre 1940, c'est que l'institution ordinale n'en était pas une : elle était un relais de l'autorité publique, et son objet était le contrôle de la profession. Elle était placée sous l'autorité du ministre secrétaire d'État à l'intérieur, et sa création s'accompagnait de la dissolution des syndicats et des associations regroupant les médecins, et de la dévolution de leur patrimoine. Si l'histoire témoigne de comportements individuels exemplaires, l'institution ordinale, dans son ensemble, a adhéré aux thèses du régime, et géré sans trouble les politiques xénophobes et antijuives. L'Ordre s'est honoré d'avoir défendu le secret médical et de refuser toute transmission d'information aux autorités. Oui, mais cette déclaration fameuse du docteur Portes - aujourd'hui gravée dans le marbre et installée dans le hall de l'Ordre des médecins - date du 8 juillet 1944... Plus d'un mois après le débarquement.

LES POLITIQUES DE SANTÉ

Loi du 16 décembre 1942 : protection maternelle et infantile

Le Journal officiel fournit une expression claironnante de xénophobie, fin 1942, à propos d'une question protégée par le régime, à savoir la famille, avec la loi du 16 décembre 1942 relative à protection maternelle et infantile. Cette loi a créé le service de la «PMI», qui demeure à ce jour l'outil de référence de la protection de l'enfance *. Le système était très novateur : examen prénuptial, suivi médico-social de la grossesse, visites médicales obligatoires pour le jeune enfant, protection de la mère, etc. Oui, mais à l'époque, le régime était réservé aux nationaux. Et l'exposé des motifs était un éloge des politiques raciales : « La sauvegarde physique et morale de la race exige que des mesures énergiques soient prises en vue de réaliser une large protection préventive, sanitaire et sociale... »

Loi 15 février 1942 : répression de l'avortement

Défenseur proclamé de la famille, le régime de Vichy était attendu sur la question de l'avortement et il se prononça par la loi du 15 février 1942.

L'article 1° prévoyait des mesures d'internement administratif sur la base de simples présomptions, définies dans des conditions extrêmement larges, visant « tout individu contre lequel il existe des présomptions précises, graves et concordantes qu'il a, d'une manière habituelle ou dans un but lucratif, procuré ou tenté de procurer l'avortement d'une femme enceinte ou supposée enceinte, indiqué ou favorisé les moyens de procurer l'avortement ».

Une circulaire signée par les secrétaires d'État à l'intérieur et à la famille du 17 mars 1942 fournissait les instructions aux préfets. « Votre rôle consiste à rechercher activement les médecins, pharmaciens, sages-femmes, faiseuses d'ange ou tous autres qui, soit habituellement, soit même occasionnellement mais dans un but de lucre, auront pratiqué ou favorisé l'avortement, que leurs victimes soient enceintes ou seulement supposées telles. Vous n'avez pas à vous préoccuper de savoir si les preuves judiciaires du délit réprimé par l'article 317 du Code pénal sont réunies ; il s'agit d'interner des individus nuisibles à la société et non d'intenter une action pénale. (...) Lorsque votre conviction sera qu'un individu tombe sous le coup de la loi, vous prononcerez son internement administratif. »

L'internement administratif, aussi abusif soit-il, n'était qu'une pâle mesure au regard de ce que prévoyait l'article 2, soit la répression pénale devant la redoutable juridiction qu'était le Tribunal d'État. Recourir ou encourager à l'avortement était un crime contre l'État, passible de la peine de mort.

Le bilan a été lourd : deux condamnations à mort, quarante à des travaux forcés, dont seize à perpétuité, deux à de la réclusion criminelle et trois à de l'emprisonnement. L'affaire de la condamnation à mort de la «blanchisseuse de Cherbourg» est devenue célèbre : c'est la dernière femme, mère de famille, à avoir été condamnée à mort et exécutée. Le maréchal Pétain avait refusé sa grâce.

*Actuellement, le service de la protection maternelle et infantile est régi par les articles L. 2111-1 et suivants du Code de la Santé publique, en continuité de la loi d'origine.

Extraits de l'avis du Conseil d'État du 16 février 2009

La responsabilité de l'État est engagée « en raison des dommages causés par les agissements qui, ne résultant pas d'une contrainte directe de l'occupant, ont permis ou facilité la déportation à partir de la France de personnes victimes de persécutions antisémites. Il en va notamment ainsi des arrestations, internements et convoiements à destination des camps de transit, qui ont été, durant la Seconde Guerre mondiale, la première étape de la déportation de ces personnes vers des camps dans lesquels la plupart d'entre elles ont été exterminées ».

« En rupture absolue avec les valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine, ces persécutions antisémites ont provoqué des dommages exceptionnels et d'une gravité extrême. Alors même que, sur le territoire français, des personnes ont accompli au cours des années de guerre, fût-ce au péril de leur vie, des actes de sauvegarde et de résistance qui ont permis, dans de nombreux cas, de faire obstacle à l'application de ces persécutions, 76 000 personnes, dont 11 000 enfants, ont été déportées de France pour le seul motif qu'elles étaient regardées comme juives par la législation de l'autorité de fait se disant «gouvernement de l'État français» et moins de 3 000 d'entre elles sont revenues des camps. »