Les recompositions hospitalières : un programme pour les futures ARS - Objectif Soins & Management n° 174 du 01/03/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 174 du 01/03/2009

 

Économie de la santé

PROJET DE LOI HPST → La banque européenne Dexia et la Nouvelle Fabrique des Territoires ont publié une étude sur les recompositions hospitalières en France menées entre 1995 et 2005. Présentation sans parti pris des principaux constats de cette étude qui retrace l'histoire de 2 100 établissements hospitaliers français de court séjour.

Les recompositions hospitalières sont au coeur de la réforme de l'hôpital contenue dans le projet de loi Hôpital, patient, santé, territoires (HPST), en cours d'examen par le Parlement : identification de communautés hospitalières de territoire, renforcement des groupements de coopération sanitaire, ouverture du service public hospitalier au secteur privé, substitution des instances sanitaires actuelles à l'agence régionale de santé (ARS). Les ARS auront comme objectif de recomposer l'offre de santé de manière coordonnée entre les différents secteurs ambulatoire, hospitalier et médico-social, de manière à améliorer la qualité du service rendu par le système de santé, tout en maîtrisant les dépenses de santé pour une meilleure efficience.

Au même moment, Dexia et la Nouvelle Fabrique des Territoires publient une étude sur les recompositions hospitalières en France sur les dix dernières années. Cette étude tombe à point nommé et constitue une bonne base de travail pour les ARS ; il conviendra qu'elles en tirent tous les enseignements au service de leur action. Car ce document tente de répondre à un certain nombre de questions essentielles : le paysage hospitalier a-t-il réellement été recomposé ? La géographie a-t-elle influé sur ce mouvement de recomposition ? Quels sont les territoires de santé concernés ? Touchent-elles plus le secteur privé que le secteur public ? Quel impact sur l'accessibilité aux soins ? Sur l'emploi et l'aménagement du territoire ? Quel rôle ont joué les agences régionales de l'hospitalisation au moment où vont se mettre en place les ARS ?

SECTEUR PRIVÉ ET RECOMPOSITIONS HOSPITALIÈRES

Le secteur privé est concerné en majorité par le nombre important de recompositions hospitalières qui sont intervenues au cours de ces dix dernières années.

Les auteurs indiquent que près des deux tiers des établissements de santé ont été impliqués dans une opération de recomposition depuis 1995, et ce, quelle que soit la nature de l'opération ; mais seulement 20 % ont connu plus d'une opération. Ils distinguent parmi ces opérations les opérations individuelles qui ne concernent qu'un seul établissement (fermeture de service, conversion ou extension d'activités de soins) et les opérations de partenariat qui concernent plusieurs établissements de santé (fusion, regroupement, partage d'activités).

Ainsi, on constate 199 fermetures de services qui ont concerné essentiellement le secteur privé (85 %) et 426 conversions d'activités de soins, dont plus de la moitié concernent la chirurgie et l'obstétrique, et en majorité dans le secteur public concernant la chirurgie.

Si les fermetures et les conversions représentent 55 % des opérations de recomposition intervenues ces dix dernières années, on dénombre 75 extensions de court séjour (7 %) concernant essentiellement le secteur privé (62 % contre 24 % dans le secteur public), 158 fusions (14 %) concernant à part égale le secteur privé et le secteur public, 99 coopérations (9 %) touchant également à part égale les deux secteurs, et enfin 64 regroupements concernant à 70 % des établissements de santé privés. Ainsi, si les opérations de recompositions ont été très nombreuses au cours de ces dix dernières années, elles ont cependant touché en premier lieu les établissements de santé privés, à l'exception des conversions de service de chirurgie qui ont touché majoritairement le secteur public. Ce qui n'est pas surprenant quand on sait que l'activité de chirurgie est réalisée à plus de 70 % dans le secteur public. À noter également que seulement 73 établissements de santé publics ont fusionné contre 85 établissements de santé privés. Enfin, tandis que 46 établissements de santé se sont regroupés sur un site unique, seuls 18 établissements de santé publics ne forment plus qu'un seul site.

Au total, sur les 1146 opérations de recomposition hospitalière, 51 % ont touché le secteur privé, 14 % le secteur privé à but non lucratif et 34 % le secteur public : le mouvement a donc été beaucoup plus amplifié dans le secteur privé que dans le secteur public.

ENCORE BEAUCOUP DE RECOMPOSITIONS À MENER EN CHIRURGIE ET EN OBSTÉTRIQUE

Il y a encore beaucoup de recompositions à mener en chirurgie et en obstétrique, autant que celles menées sur les dix dernières années.

nEn obstétrique

Les auteurs observent que sur les 180 opérations qui ont concerné l'obstétrique, 127 se sont soldées par une fermeture de la maternité et une quarantaine par un regroupement. Ils constatent que les maternités restantes réalisant moins de 500 accouchements sont dans des zones très isolées ou de montagne. Naturellement, ces fermetures ont concerné en majorité des maternités publiques, mais également des petites maternités privées.

nEn chirurgie

Les chiffres montrent que les réductions de capacités de lits ont concerné tout aussi bien le secteur public que le secteur privé. Or, si cette réduction s'est traduite dans le secteur privé par une fermeture des petits services au profit d'une plus grande concentration des établissements dans les grandes villes, dans le secteur privé, elle s'est manifestée par le maintien de nombreux petits services.

Au final, les auteurs constatent qu'il reste encore au moins au centaine d'établissements dont la taille des services de chirurgie ne permet pas une viabilité économique à court terme.

L'étude confirme ainsi les données du comité national de la chirurgie et celles de la Fédération hospitalière de France pour qui plus de 240 établissements de santé pratiquant la chirurgie et/ou l'obstétrique sont dans une situation de vulnérabilité.

nD'une manière générale

Autrement dit, d'un point de vue purement quantitatif et de seuil d'activité, les opérations de recomposition en chirurgie et en obstétrique n'ont eu lieu que dans la moitié des établissements de santé concernés, et il reste encore autant d'opérations de recomposition à conduire.

Pour les mener à bien, les ARS devront prendre en compte - ce que ne pouvaient pas faire les ARH - l'ensemble des offres de soins, et notamment ambulatoire, afin de contrer les arguments souvent défendus en termes d'accessibilité aux soins.

AUCUNE RELATION ENTRE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET LES RECOMPOSITIONS

Les auteurs constatent que les recompositions n'ont pas eu lieu sur les territoires où les changements démographiques ont été les plus nombreux, ou encore moins là où le nombre de petits établissements est important. Au contraire, ils notent une très grande variabilité interrégionale de l'ampleur et des outils de recomposition utilisés.

Les recompositions découlent plus des concours de circonstances, qu'ils soient politiques, humains...

RECOMPOSITION CONTRAINTE DANS LE PUBLIC, VOLONTAIRE ET OFFENSIVE DANS LE PRIVÉ

On a vu que les opérations de recomposition avaient majoritairement touché des établissements de santé privés à but lucratif, contre seulement 34 % des établissements de santé publics.

À cette différence de nombre s'ajoutent deux logiques différentes : une recomposition volontaire de la part des établissements privés et une recomposition contrainte et subie par les établissements de santé publics. En effet, les établissements de santé privés ont souvent pris l'offensive de manière délibérée de la fermeture de tel ou tel service, ou de regroupement, dans un objectif de spécialisation de leur activité de soins, mais aussi de rentabilité de leur outil de travail.

À l'inverse, généralement les établissements de santé publics ne sont pas prêts à cette reconfiguration d'activités et se battent jusqu'au bout pour maintenir leur maternité ou leur service de chirurgie, alors même que leurs activités sont déjà fortement en déclin. Il en est de même pour les fusions que les établissements de santé privés provoquent pour assurer leur maintien et leur part de marché, alors que les établissements de santé publics y vont avec beaucoup de recul malgré les difficultés qu'ils rencontrent. Si les parts de marché entre le secteur privé et le secteur public se sont relativement maintenues au cours des dix dernières années, il convient toutefois de noter que le nombre d'établissement de santé privés a pourtant fortement diminué : un tiers des établissements de santé privés ont disparu contre 4 % dans le secteur public. Le secteur privé s'est concentré au sein de gros établissements, spécialisés en chirurgie, très désengagés en obstétrique et en retrait en médecine. Ainsi les recompositions ont permis au secteur privé de se concentrer et de se spécialiser afin d'assurer sa viabilité, contrairement au secteur public qui continue à assurer toute la palette des soins sur l'ensemble du territoire français. Sans que les coopérations entre les deux secteurs n'aient été nombreuses.

Autrement dit, alors que le secteur public s'est battu et continue encore à se battre contre les recompositions hospitalières, le secteur privé a très vite compris l'intérêt des recompositions et en a tiré l'ensemble des avantages pour assurer son rôle sur le marché des soins.

IMPACT INEXISTANT SUR LES CAPACITÉS ET L'EMPLOI, SIGNIFICATIF SUR LA COUVERTURE DES BESOINS

L'impact des recompositions sur les capacités en lits des établissements de santé ne semblent pas significatives, et ne font que renforcer la diminution des lits observée depuis de nombreuses années.

Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, les auteurs montrent que les opérations de recomposition n'ont pas d'effet négatifs sur l'emploi dans les établissements concernés. Tout simplement parce que les opérations de recomposition ne conduisent jamais à la fermeture totale d'un établissement de santé, mais au contraire au développement de nouvelles activités plus adaptées aux besoins de la population et aux capacités de l'établissement.

Par ailleurs, contrairement aux arguments avancés par les défenseurs des petits hôpitaux publics là encore, les recompositions n'ont pas véritablement d'impact sur l'accessibilité aux soins : il n'est pas démontré que les recompositions sont synonymes de baisse de la couverture des soins des habitants.

Dans le secteur public, les auteurs indiquent que les recompositions touchent souvent des services de chirurgie et d'obstétrique dont les séjours sont rarement récurrents et n'imposent pas des déplacements répétés. La fermeture concerne généralement des services dont la population s'est déjà largement détournée et va se faire soigner dans un établissement plus performant du territoire de santé. Ainsi, non seulement la couverture des soins ne s'est pas dégradée, mais bien au contraire : la recomposition permet enfin de développer les vrais services de proximité pour l'ensemble de la population (urgences, médecine, hospitalisation à domicile, etc.). Il conviendra donc que les établissements de santé publics - ou du tout moins leurs défenseurs - comprennent une bonne fois pour toutes que la recomposition est synonyme d'accroissement de la qualité et de la couverture des soins.

Dans le secteur privé, les opérations de recomposition ayant eu lieu entre des établissements de santé situés dans des grandes villes, elles n'influent donc pas sur l'accessibilité aux soins, en termes de géographie. En revanche, les établissements privés ont renforcé leur part de marché en chirurgie, au détriment de la chirurgie publique, jusqu'à conduire à l'inexistence de chirurgie dans le secteur public dans certaines spécialités de certaines villes. D'où à certains endroits un risque dans l'accès aux soins de chirurgie pour les populations en difficulté. Ce qui légitime la nécessité de la coopération publique/privée et l'ouverture du service public hospitalier au secteur privé, comme le prévoit le projet de loi HPST.

UN RÔLE AFFIRMÉ DES ARH DANS LES RECOMPOSITIONS HOSPITALIÈRES

Les ARH ont clairement été des facteurs d'accélération des recompositions hospitalières et ont permis de définir une véritable stratégie dans l'organisation des soins au sein de chaque territoire.

Elles ont poursuivi dans un premier temps en l'accélérant le mouvement de réduction du nombre d'établissements de santé et de lits, avec la fermeture des capacités inadaptées, des établissements vétustes. Dans un second temps, elles se sont concentrées dans des opérations plus partenariales, impliquant plusieurs établissements de santé, dans le cadre de fusions et de regroupements, plus structurantes pour l'organisation des soins.

Cette étude montre donc que les recompositions ont été nombreuses au cours de ces dix dernières années, mais qu'un certain nombre reste encore à mettre en oeuvre. Les ARH ont eu un rôle décisif. Nul doute que les ARS, à condition qu'elles disposent des moyens et des outils nécessaires, auront à coeur de poursuivre le mouvement de recomposition hospitalière, en élargissant leur champ à la médecine de ville et au secteur médico-social. Et ce, d'autant que ces recompositions sont bénéfiques pour la couverture des soins.

Pour en savoir plus

Dexia Crédit Local - Nouvelle Fabrique des Territoires, «10 ans de recompositions hospitalières en France», janvier 2009