Hôpital à «eau risque» - Objectif Soins & Management n° 176 du 01/05/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 176 du 01/05/2009

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

CONSOMMATION → Les établissements de santé sont de gros consommateurs d'eau, que ce soit pour les besoins hôteliers, pour l'entretien ou pour les soins. C'est dire son importance au lit du patient où l'on estime qu'elle est consommée à hauteur de 400 à 1 000 litres par jour selon les services. Pour autant, elle est aussi un vecteur de choix pour un grand nombre d'infections et mérite une surveillance rapprochée.

Si l'on a coutume de dire que de l'eau vient la vie, pour nombre d'infectiologues, l'eau est avant tout un réservoir potentiel de maladies : « C'est même le principal vecteur de pathologies dans le monde », souligne le Dr Karine Blanckaert, infectiologue au CHRU de Lille et coordinatrice de l'antenne Nord-Pas-de-Calais du Cclin Paris-Nord. Pour preuve, les diarrhées infectieuses dues au manque d'eau potable dans les pays en voie de développement tuent chaque année 2,2 millions de personnes selon l'Organisation mondiale de la santé et pourraient être évitées si l'accès à l'eau potable était rendu possible dans les pays concernés, principalement en Asie du Sud-Est et en Afrique. Par ailleurs, l'OMS estime à 5 millions le nombre de morts imputables à la qualité de l'eau. En France, l'eau est contrôlée, traitée et donc potable. « Le principale risque que l'on peut craindre, c'est celui du bioterrorisme, explique le Dr Blanckaert, ou l'arrivée de germes opportunistes. »

DES GERMES REDOUTÉS

Parmi ces derniers, il en existe un qui est particulièrement redouté à l'hôpital : Pseudomonas aeruginosa, le bacille pyocyanique, responsable en France de 9 % des infections nosocomiales* et mortel dans 50 % des cas. Ubiquitaire, il peut être véhiculé par les mains, l'air mais aussi par l'eau, au détour d'un soin, par exemple. De nombreux autres agents pathogènes peuvent également être présents dans l'eau : « C'est le cas des mycobactéries comme Mycobacterium abscessus et de M. chelonae responsables de contaminations de plaies traumatiques ou chirurgicales », rappelle la coordinatrice du Cclin Paris-Nord, ou encore les légionelles, tristement célèbres par le biais d'épisodes infectieux largement médiatisés : ces dernières se terrent dans les circuits d'eau chaude à l'hôpital. On se rappelle notamment des cas de légionelloses lors de l'ouverture de l'hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP). Mais pour cette dernière pathologie, il suffit généralement de suivre les règles de construction et d'entretien d'un bon réseau d'eau pour s'affranchir du risque : bannir les bras morts dans les circuits d'eau chaude pour éviter la stagnation de l'eau qui augmente la formation d'un biofilm, véritable nid à bactéries, et maintenir une température d'eau du réseau suffisamment élevée (les légionelles se développant entre 28 et 42 °C), mais pas trop pour ne pas détruire prématurément les canalisations.

Un juste équilibre à trouver, mais dans ce domaine, le Dr Blanckaert rappelle que la lutte infectieuse est « un travail d'équipe, multidisciplinaire », qui réunit aussi bien les médecins spécialisés en infectiologie mais également les ingénieurs ou techniciens qui travaillent à la gestion de l'eau à l'hôpital. Ce travail d'équipe doit permettre d'avoir une bonne connaissance du réseau et des zones à risque de prolifération, de définir un plan de surveillance et des conditions de prélèvement optimisées, de mettre en place des alertes et des actions correctives rapides en cas de mauvais résultats, non conformes aux limites de qualité réglementaires et une surveillance évolutive des normes.

UNE EAU AUX CONTRAINTES MULTIPLES

Rappelons que l'eau à l'hôpital n'a pas partout les mêmes usages et qu'elle n'est donc pas de la même nature selon l'endroit où elle est utilisée : on la consomme pour l'alimentation, l'hygiène des personnes, du linge et des locaux, les soins et la désinfection des dispositifs médicaux. « Ainsi on trouve de l'eau provenant du réseau d'eau courante, celle qui alimente nos habitations, sans autre traitement que ceux imposés par la réglementation [ndlr : notamment en ce qui concerne la contamination par une flore aérobie fécale). Vient ensuite l'eau de soins standard, celle qui peut servir à la toilette des malades, au lavage des mains par exemple, ou à la préparation cutanée de l'opéré, explique le Dr Blanckaert. On trouve ensuite une eau que l'on appelle «microbiologiquement maîtrisée», qui est filtrée avant sa distribution par des membranes qui éliminent l'ensemble des bactéries : elle sert notamment de boisson aux immunodéprimés et à la confection des biberons et au rinçage terminal des endoscopes. Enfin, on trouve l'eau stérile, exempte de toute substance. Celle-ci est soit produite directement dans l'établissement sous la responsabilité de la pharmacie, soit livrée directement depuis un fournisseur. »

Même chose pour l'eau utilisée en grande quantité en dialyse (150 litres par séance), qui dépend de la pharmacie : elle est en effet considérée comme un médicament et doit répondre à des exigences physico-chimiques, biologiques et bactériologiques spécifiques. Ces caractéristiques peuvent d'ailleurs être retrouvées dans le guide technique de l'eau en établissement de santé édité par le ministère de la Santé.

PRÉVENTIF ET CURATIF

En aval de la consommation d'eau se trouve son circuit d'élimination, un domaine où l'eau qui sort de l'hôpital peut facilement être contaminée. Si l'on maîtrise relativement bien la gestion de certains effluents liquides potentiellement contaminés via la filière d'élimination des déchets ou les bassins de décantation, difficile de venir à bout des effluents produits par le patient. Si l'on a retrouvé des traces d'antibiotiques dans les réseaux d'eau, dans les rivières, c'est du côté des patients qu'il faut regarder, ceux à qui l'on prodigue des soins et pour lesquels il est ensuite difficile de maîtriser le devenir des effluents.

Quelle prévention alors pour un risque bel et bien présent ? « Des contrôles doivent être menés régulièrement sur le réseau d'eau afin de s'assurer que tout est mis en oeuvre pour qu'il soit le plus sain possible », explique le Dr Karine Blanckaert. Ainsi, il convient de ne pas se contenter d'analyses réalisées seulement à l'entrée de l'établissement, mais de définir des points critiques d'échantillonnage afin de surveiller les évolutions de la qualité dans le réseau et dans les bâtiments. « Les prélèvements doivent être réalisés selon une stratégie d'échantillonnage statistiquement valable, c'est-à-dire un plan d'échantillonnage tenant compte de la structure du réseau, de la fréquentation et des usages », poursuit l'infectiologue, afin que l'analyse représente une image la plus fiable possible de la qualité au sein de chaque bâtiment et/ou des divers étages des bâtiments. Idéalement, les services techniques devraient assurer une maintenance préventive des robinetteries, mais cela reste difficile à mettre en place, le curatif présentant déjà certains retards, a précisé le Dr Franck-Olivier Mallaval, de l'Unité d'hygiène inter-établissement au CHRU de Saint-Étienne lors d'une journée régionale d'hygiène au Cclin Sud-Est.

CHOIX DES TRAITEMENTS CONTRE LA PROLIFÉRATION

Il existe aussi une série de traitements qui permettent d'éviter aux bactéries de se multiplier, des mesures que l'on emploie en curatif. Et là, les avis divergent : qui de la chloration, des UV ou des filtres aura le dernier mot ? Sans doute un peu de chaque. « Un choix que les ingénieurs biomédicaux, les microbiologistes et le président de Clin sont habilités à faire en fonction des germes rencontrés », résume l'infectiologue, ils connaissent parfaitement les risques à prendre en charge et de la capacité du réseau à supporter tel ou tel traitement, selon sa vétusté ou pas. Sans compter les matériaux qui peuvent être utilisés : le plomb est interdit, le PVC incompatible avec l'eau chaude, certains aciers ne supporteraient pas les traitements curatifs et le PER (polyéthylène réticulé) favorise la formation de biofilm. Un véritable casse-tête !

Bibliographie et réglementation

Surveillance microbiologique dans les établissements de santé, DGS/DHOS, CTIN, 2002 :

Guide technique : eau dans les établissements de santé, DGS/DHOS, 2005 :

→ Une grande partie de la réglementation sur Nosobase () dans la rubrique réglementation, sous-chapitre eau ou légionelles.

→ Sur les matériaux à utiliser dans les réseaux d'eau : circulaire DGS/SD7A/SD5C-DHOS/E4 n°2002/243 du 22/04/2002.

Sur les légionelles : Guide d'investigation et d'aide à la gestion, DGS, juillet 2005. Voir également la DGS/SD7A/SD5C-DHOS/E4 n°2002/243 du 22/04/2002.

Sur la température du réseau d'eau chaude : circulaire DGS/SD7A/SD5C-DHOS/E4 n°2002/243 du 22/04/2002.

Pour l'hémodialyse : voir le décret n°2002-1198 du 23 septembre 2002 relatif aux conditions techniques de fonctionnement des établissements de santé qui exercent l'activité de traitement de l'insuffisance rénale chronique et la circulaire n°2007-52 du 30 janvier 2007 relative aux spécifications techniques et à la sécurité sanitaire de la pratique de l'hémofiltration et de l'hémodiafiltration en ligne dans les établissements de santé. Sur le chapitre de l'eau en dialyse, consultez également la «Pharmacopée européenne» dans la monographie « eau pour dilution des solutions concentrées pour hémodialyse ».