L'accueil des familles à l'hôpital - Objectif Soins & Management n° 176 du 01/05/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 176 du 01/05/2009

 

Point sur

Depuis janvier 2008, l'Hôpital Henri-Mondor à Créteil dispose d'un espace d'accueil familial. Cet espace dédié aux familles est le lieu de prises en charge psychologiques ponctuelles ou régulières. C'est également un lieu d'accueil, de parole, de liaison entre les soignants, le malade et sa famille. Il s'agit d'un espace indispensable au bon fonctionnement des services prenant en charge des pathologies au pronostic vital engagé, durable ou non.

Les familles sont souvent très présentes dans les services. Avec l'espace d'accueil familial, les psychologues peuvent prendre le temps de parler, de faire parler les familles, de les écouter et de les recevoir dans un lieu qui leur est dédié.

LA SOUFFRANCE À L'HÔPITAL

Désarroi des familles

La notion de famille a beaucoup évolué depuis quelques années : il n'est plus rare de rencontrer des familles monoparentales, des fratries issues de familles recomposées où le nom n'est plus une valeur familiale.

Diverses difficultés sont rencontrées, majorant la complexité de la prise en charge du malade et de sa famille.

LA TRANSMISSION DES INFORMATIONS

L'entourage demande parfois à l'équipe médicale de ne pas transmettre au patient les informations sur l'évolution de la maladie afin de le protéger. Parfois, c'est le contraire qui se produit : le patient lui-même n'ose pas ou ne veut pas tout dire de sa maladie à ses proches.

LA COMPRÉHENSION

Tout le monde ne comprend pas le langage médical, ce qui peut induire l'émergence de comportements susceptibles d'envahir les équipes de soins. L'irruption de la souffrance au sein de la famille est également un vecteur d'incompréhension, parfois même entre les membres de la fratrie, générant de angoisse et conflit, vecteur pouvant être acté au sein du service de soins.

LA COMMUNICATION

L'entourage, éprouvé par l'annonce diagnostique, ne sait pas toujours comment réagir. En effet, la personne soignée et l'entourage se retrouvent souvent en situation de décalage par rapport aux informations reçues, et on assiste alors à une stratégie d'adaptation de la part de chacun, réactivant parfois des relations plus ou moins conflictuelles.

Désarroi des équipes soignantes

Il y a peu de place dans les services de soins pour permettre l'émergence de ce désarroi. Il arrive cependant que les soignants réussissent à exprimer et à évoquer leur difficulté à accueillir les familles dans les services. Ils peuvent parfois vivre cette présence comme une entrave aux soins, car elle risque d'engendrer un certain débordement du cadre, comme par exemple le non-respect des horaires ou de l'espace des soignants pour administrer leurs soins, etc.

Au contraire du sentiment de débordement, l'accompagnement des familles peut susciter un risque de débordement avec l'utilisation d'un tutoiement facile, une difficulté pour les soignants de mise à distance, avec des patients dont la durée d'hospitalisation est longue. Des relations parfois familiales, voire familières, peuvent se créer, du fait de la promiscuité qu'engendrent des soins corporels, ainsi que l'identification à des personnes particulières. Ce «collage empathique» risque de provoquer un débordement émotionnel des soignants vivant mal le départ du patient dans une autre structure, mais également du patient lui-même et de sa famille pouvant vivre ce transfert comme un abandon de l'équipe.

AMÉLIORER L'ACCUEIL DES FAMILLES À L'HÔPITAL

Évolution de la prise en charge du malade

La prise en charge des malades s'est affinée au cours des décennies afin de tenter «d'humaniser» le corps en souffrance. Pour cela, on sait que les services de pédiatrie ont depuis longtemps travaillé sur la possibilité d'accueillir les familles et les fratries, alors que les hôpitaux d'adultes sont encore trop peu préparés à la présence des familles et que la prise en compte de l'environnement familial reste encore insuffisant. Rappelons que les enfants de moins de 15 ans n'ont pas accès aux services de soins.

Quels sont alors, à l'heure actuelle, les moyens mis en place pour aider les familles, lorsqu'un parent est hospitalisé durant plusieurs mois, à la suite d'un accident grave ou d'un traumatisme provoquant le coma ? Comment réagir lorsque des familles se trouvent confrontées à l'arrêt des traitements d'un proche ? Quel soutien est-on en mesure de leur apporter lorsqu'elles se trouvent confrontées à un corps transformé par la maladie ? Quels sont les moyens actuels pour les aider, afin qu'elles ne restent pas dans le non-dit d'une maladie ou de la mort prochaine d'un parent ? Et parallèlement quels sont les moyens qui peuvent être mis en place afin d'aider les soignants à accueillir les familles dans de bonnes conditions ?

Création et élaboration d'un espace d'accueil des familles

Dans le cadre de notre pratique, les équipes soignantes témoignent souvent d'un sentiment d'impuissance face aux plaintes et demandes des familles qu'elles reçoivent au quotidien, sans pouvoir les orienter. L'écrasante angoisse de mourir et les effets sur la famille représentent un véritable traumatisme pour le patient - mais également pour les soignants - si aucune aide n'est apportée.

L'initiative de la création de cet espace a été conçue et soutenue par l'équipe mobile en soins palliatifs de l'hôpital Henri-Mondor, qui rencontre et entend au quotidien les difficultés des patients et de leurs familles ainsi que celles de l'ensemble des équipes soignantes. L'élaboration d'un local d'accueil répond donc à la nécessité de prendre en compte la famille pour une meilleure prise en charge du patient, afin de permettre à tous de s'exprimer sur les conséquences d'une maladie grave et les idées de mort qui peuvent en découler. Cette parole devient impossible lorsque nos affects et nos émotions sont sollicités par l'angoissante perte d'un membre de notre famille.

MISE EN PRATIQUE D'UN ESPACE D'ACCUEIL FAMILIAL

Pour accueillir des familles à l'hôpital, il nous a fallu trouver un local adapté ainsi que des moyens financiers pour l'aménager. Malgré l'accord médical et administratif, ce projet a mis plus d'une année à voir le jour. Le travail de mise en lien, de création d'une liaison inter- et intra-professionnelle demande une énergie et une disponibilité exponentielle. Et, de la part des partenaires hospitaliers, il n'est pas sans soulever beaucoup de curiosité, voire parfois de doute et de méfiance. Le projet d'offrir aux familles un espace et une écoute a souvent été bien accueilli dans un premier temps ; mais, dans un second temps, nous avons été très largement interpellés quant à la légitimité de cet espace et de la place de l'enfant dans ce dispositif - « Nous n'accueillons pas d'enfant malade ici » - témoignant de la réelle difficulté à prendre en compte l'enfant dans un milieu d'adultes.

Il devient donc important de rappeler que la maladie peut rendre un sujet psychiquement malade et que, face à sa souffrance, il n'est pas rare qu'il développe une symptomatologie anxieuse, voire dépressive, risquant parfois d'altérer la prise en charge médicale.

QUELLE RÉSONANCE PSYCHOLOGIQUE CHEZ LE PATIENT ?

La prise en charge familiale permet au patient de retrouver sa place initiale occupée dans la famille, et ce, malgré l'altération de ses capacités physiques. Il est important que la personne puisse réaliser les conséquences physiques, psychologiques et relationnelles qui découlent de sa pathologie, afin de se réapproprier sa place de sujet.

Les nombreux traitements, intrusifs, les multiples manipulations de ce corps en souffrance et l'aspect régressif de l'hospitalisation entraînent progressivement le patient à s'en remettre aux nombreux traitements, le réduisant parfois à un «corps malade sans âme».

La maladie déclenche une réactivation de l'angoisse de séparation et d'abandon, processus normal dans la petite enfance, mais qui n'est pas sans lien avec la période anxiogène et complexe du nourrisson. En effet, la singularité propre à chaque histoire humaine engendre une réactivation toute aussi singulière dans les manifestations anxieuses. Plus les interactions familiales seront carencées ou porteuses de secrets, plus les manifestations du patient pourront paraître incompréhensibles pour lui et son entourage (famille et soignants). La mise en mots des souffrances permet donc l'atténuation des manifestations anxieuses et/ou dépressives.

Témoignages de l'accueil des familles

Nous avons déjà pu constater que les familles vivant une situation difficile avec un parent hospitalisé sur le long terme ont une demande d'aide psychologique inscrite dans le cadre des soins palliatifs.

C'est le cas de la famille de Madame C., atteinte d'une leucémie à un stade avancé, dont la maladie entraîne des émergences conflictuelles intra-familiales. Face à la détresse de son époux, les soignants du service d'hématologie lui ont conseillé de nous rencontrer dans le cadre de la mise en place d'un espace d'accueil des familles à l'hôpital.

Lors du premier entretien, M. C. est venu avec ses deux filles, dans un contexte de tensions intra- et interpersonnelles extrêmes qui découlaient de la difficulté à communiquer autour de la gravité de l'état de santé de la mère ; en effet, Mme C. s'est longtemps trouvée dans le déni de la gravité de sa maladie. Au cours des cinq séances, la circulation de la parole a pu s'élaborer progressivement entre les membres de la famille ainsi qu'avec la mère, venue à deux reprises rejoindre son mari et ses filles dans l'espace d'accueil. La circulation de la parole a pu enfin permettre l'émergence de diverses émotions, passant de la colère à la tristesse.

Ainsi, malgré la souffrance occasionnée, cette expression de la parole a pu entraîner un apaisement des tensions : les questions terrifiantes qui n'avaient pu s'exprimer avaient jusque-là laissé place aux multiples conflits et disputes, qui avaient eu un impact massif dans la difficulté de prise en charge de Mme C.

De façon différente, il nous arrive de rencontrer d'autres familles dans un contexte d'urgence et de détresse. C'est le cas de la famille H., pour qui l'accueil répond à une demande d'aide face à une situation de crise. L'équipe de neurochirurgie s'est adressée à nous, interpellée par le désarroi de Monsieur H., qui depuis une semaine venait voir régulièrement son épouse en réanimation, suite à un coma après une rupture d'anévrisme. À notre première rencontre individuelle, M. H. a exprimé son inquiétude face à l'attitude à adopter avec ses deux enfants, Anissa et Yanis, de huit et trois ans.

Lors de la visite à l'espace d'accueil, Anissa s'exprimera assez facilement, formulant le souhait de rendre visite à sa mère à l'hôpital. Leur père leur avait jusque-là rapporté le refus du service à cette demande, et depuis quatre mois les enfants ne voyaient plus leur mère. Monsieur H. réussira cependant, après trois entretiens familiaux, à exprimer ses propres réticences et ses craintes vis-à-vis de l'image de son épouse qui risquait d'être choquante pour ses enfants (tuyaux, présence d'autres patients, etc.).

Lors des séances, Anissa et Yanis manifestaient beaucoup d'agressivité entre eux, mais surtout envers leur père qui ne réussissait pas à canaliser cette irruption de violence. Il semblait dépassé par les événements, car il s'occupait très peu de ses enfants avant le coma de son épouse, du fait de son activité professionnelle dans un commerce de restauration.

Cet espace d'accueil a ainsi pu permettre un échange entre le père et ses enfants, afin de donner du sens sur l'absence d'une mère qu'ils ne voyaient plus depuis plusieurs semaines et dont les raisons n'étaient pas évoquées. Monsieur H. semblait banaliser la gravité de la situation, bloquant ainsi l'émergence de toute émotion risquant de menacer l'équilibre familial. Au bout de quatre mois d'hospitalisation, sa femme est sortie progressivement de son coma et a été transférée dans un centre de rééducation neurologique : les enfants ont donc pu revoir leur mère.

Nécessité d'un partenariat pour accueillir les familles

L'espace d'accueil ne peut exister et persister avec et seulement AVEC l'aide des équipes soignantes qui pourront informer les familles de l'existence de cet espace. Il semble également nécessaire que des formations régulières - véritables temps d'échange entre soignants et psychologues - puissent être organisées pour les soignants par exemple sur les difficultés rencontrées.

Associations intervenant dans les hôpitaux

Ces associations créer des lieux destinés aux patients et à leurs familles pour chercher des informations d'ordre médical (sur la maladie, les traitements proposés, le parcours de soins, les prises en charges financières, etc.), d'ordre sociale (les aides possibles).

Réseaux extra-hospitaliers

Ils assurent les fonctions de conseil, de coordination avec les soignants libéraux, et celles de soutien et d'accompagnement pour le patient et son entourage.

EN CONCLUSION

L'espace d'accueil familial fonctionne depuis janvier 2008 et une dizaine de familles a pu être prise en charge, sur une période de six mois, ce qui correspond à une trentaine de consultations, le nombre d'entretiens familiaux variant en fonction de la demande et de la problématique émergeante. Nous avons donc déjà pu constater que certaines de ces familles vivant une situation difficile avec un parent hospitalisé dont le pronostic vital est précaire mais durable, suite à un cancer par exemple, ont une demande d'aide psychologique assez régulière, qui s'inscrit dans le cadre d'un accompagnement de fin de vie. D'autres familles, qui nous rencontrent dans des situations d'urgence et de détresse, comme lors d'hospitalisation en réanimation après un accident vasculaire cardiaque d'un parent par exemple, se présentent souvent dans un état de sidération psychique, et l'accueil répond à une demande ponctuelle d'aide à la mise en paroles de situations traumatisantes. Le premier bilan montre donc que le travail de liaison s'amorce de façon régulière et positive avec des services quotidiennement confrontés à la brutalité des décès et aux multiples sollicitations de familles en désarroi. Il montre également la nécessité de poursuivre l'information auprès des soignants, pour que cet espace de parole devienne un moyen nécessaire pour l'aide à apporter au patient et à son entourage, dans tous les services.

Il nous paraît donc important de poursuivre nos efforts qui s'insèrent dans un souci d'une prise en charge du sujet malade dans sa globalité, au niveau physique, social et psychologique, et ce, tant au niveau individuel que familial. Notre intervention n'a de sens que parce qu'elle s'inscrit en partenariat avec le travail des médecins et des soignants, qui sont encore trop souvent parasités par des demandes massives des familles en souffrance, auxquelles ils ne peuvent faire face seuls.