Un infirmier condamné pour mise en danger d'autrui - Objectif Soins & Management n° 176 du 01/05/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 176 du 01/05/2009

 

Droit

RESPONSABILITÉ → C'est un arrêt très intéressant (n°08/00068) qu'a rendu la cour d'appel d'Amiens le 7 janvier 2009 : un infirmier exerçant en libéral est condamné pour mise en danger d'autrui, une infraction rarement retenue par les tribunaux.

La condamnation est encourue même si les faits n'ont pas causé de préjudice, dès lors qu'ils traduisent des manquements graves et créent un risque d'une particulière gravité. Si les fautes infirmières sont bien réelles, on retrouve à la base une prescription médicale elliptique. Encore une fois, une cour rappelle la responsabilité de l'infirmier.

FAITS

À sa sortie de l'hôpital, un patient est équipé d'un port à cathéter, en vue des perfusions quotidiennes de Cymevan® à administrer à domicile, sous suivi hospitalier. Il est fait appel à une société de coordination de soins infirmiers à domicile (société H.), qui met en relation le patient avec un infirmier libéral pour réaliser ces perfusions.

Le patient revient en consultation au CHU dix jours plus tard et sollicite le renouvellement de l'ordonnance car il a utilisé les trente doses qui lui avaient été remises dix jours plus tôt. Les praticiens vérifient et en concluent que l'infirmier a injecté trois flacons par perfusion au lieu d'un demi, ce qui explique l'épuisement du stock.

Le praticien hospitalier demande à la société H. de dépêcher sur place une autre infirmière. Celle-ci se rend donc au domicile du patient et y croise l'infirmier qui en sortait : celui-ci lui précise alors qu'il a laissé dans le frigidaire, pour y être conservées, les trois pompes qu'il venait de préparer, car il allait être absent les jours suivant pour cause de formation.

L'infirmière rencontre le patient, qui lui explique comment sont prodigués les soins, et apparaît une succession de fautes : manque d'asepsie, absence de suivi de l'efficacité du traitement, manque de rigueur dans l'administration du médicament...

Une situation qualifiée d'alarmante sur le plan déontologique. La société H. en réfère au praticien hospitalier, qui transmet au directeur du CHU, lequel saisit la Ddass, qui transmet, sous le visa de l'article 40 du Code de Procédure pénale, au procureur de la République, lequel ouvre une enquête préliminaire confiée au service régional de police judiciaire (SRPJ).

L'ENQUÊTE

Il ressort d'abord que le patient n'a subi aucune séquelle. En revanche, de nombreuses critiques sont formées à l'encontre des soins prodigués par l'infirmier : erreurs sur la posologie quotidienne du produit en cause, mauvaises conditions de conservation du produit reconstitué, risque infectieux par des manipulations inappropriées.

Le patient confirme qu'il s'était injecté lui-même le produit, sur les indications de l'infirmier. Il n'a découvert le sur-dosage qu'à la suite du renouvellement anticipé de la prescription et explique que l'infirmier avait préparé à l'avance des médicaments, trouvés dans le frigo, en raison de ses déplacements professionnels.

Pour sa part, l'infirmier conteste les manquements dans l'administration des soins prodigués : il met en cause l'interne du CHU. Il avait cherché à le joindre, car l'interne avait omis d'indiquer dans sa prescription la posologie du médicament en cause, ce qui n'est pas faux, car l'ordonnance est elliptique. Il nie que ce soit par facilité qu'il a effectué des préparations anticipées, et affirme s'être rendu quotidiennement, à deux reprises, pour procéder en personne aux injections prescrites. Il donne des explications sur la conservation du produit, compatible avec sa pratique, et fait état de son bordereau de cotations d'actes infirmiers, qui mentionne tous ses passages.

L'interne du service mis en cause conteste avoir été contactée téléphoniquement par l'infirmier. Elle défend la rédaction de l'ordonnance, qui est suffisamment précise d'après elle. Elle ajoute que, vu la spécificité et la rareté du produit, les explications de l'infirmier sur sa conservation sont fantaisistes.

Pour l'enquêteur, la conclusion est que l'infirmier a, par négligence ou maladresse, surdosé l'injection quotidienne qu'il lui incombait de réaliser et, de ce fait, a exposé à un risque de mort ou d'infirmité son patient. Par ailleurs, il relève des négligences au niveau tant de la conservation que de la manipulation du médicament reconstitué.

LE JUGEMENT DU TRIBUNAL CORRECTIONNEL

Sous cette incrimination de mise en danger d'autrui par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence (article 223-1 du Code pénal), l'infirmier est cité devant le tribunal correctionnel. Soulignant que l'état de santé du patient n'en a été nullement affecté, il sollicite sa relaxe, en réaffirmant que l'erreur de dosage était imputable au CHU.

Le tribunal le déclare coupable et le condamne à une peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis, outre une mesure d'interdiction d'exercer la profession d'infirmier pendant un an, à titre de peine complémentaire.

Le tribunal reçoit la constitution de partie civile du patient et condamne l'infirmier à lui payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts.

L'APPEL

L'infirmier fait appel, soutenant qu'aucun des éléments constitutifs du délit n'est établi : il n'a pas délibérément violé une obligation de prudence ou de sécurité, et le patient n'a jamais été exposé à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente...

L'EXPERTISE

Avant de juger l'affaire, la Cour ordonne une mesure d'expertise médicale, qui se conclut par les points suivants :

les perfusions ne peuvent pas être administrées par le patient lui-même et elles nécessitent le recours à des soins infirmiers, l'administration par injection à partir d'une chambre implantable imposant des précautions particulière, au regard des risques d'infection ;

la préparation infirmière du médicament permet d'obtenir une solution stable à température ambiante pendant douze heures. La durée de conservation de ce mélange est limitée à vingt-quatre heures au réfrigérateur, et il est déconseillé de dépasser une concentration finale du produit de 10 milligrammes par millilitre. Des perfusettes de 100 millilitres sont, à cet effet, habituellement utilisées pour mélanger le produit, sans dépasser les 1000 milligrammes de Cymevan®, soit deux flacons par perfusette de 100 millilitres ;

le surdosage du Cymevan® expose le patient à diverses atteintes hématologiques et hépatiques ainsi qu'à des troubles gastro-entérologiques, à une insuffisance rénale avec hématurie notamment, ces toxicités étant réversibles et ne mettant pas la vie du patient en danger, sous réserve de la mise en oeuvre diligente du traitement spécifique de chacune de ces complications ;

les emballages indiquent expressément d'avoir à se conformer à la prescription médicale. En cas d'incertitude ou d'imprécision, il incombe à l'infirmier, afin de lever ses doutes, de se renseigner auprès du prescripteur par tout moyen possible pour savoir avec exactitude quelle prescription médicale il doit exécuter ou quelle posologie du médicament il doit administrer. En tout état de cause, l'article 4312-6 du Code de la Santé publique édicte que « l'infirmier est habilité à pratiquer les actes suivants... en application d'une prescription médicale, qui, sauf urgence, est écrite, qualitative et quantitative, datée et signée par un médecin : injections et perfusions dans des cathéters ». Au surplus, le bon sens conduisait à en déduire, au vu de la rédaction - soit une seule prescription de soins infirmiers - qu'il fallait injecter au maximum un flacon de produit par jour ;

la préparation en avance du Cymevan® et sa conservation plusieurs jours en réfrigérateur l'ont été en méconnaissance des règles de préparation et d'administration de ce médicament. L'infirmier, en cas d'absence pour quelque cause que ce soit, doit se faire remplacer par un collègue, afin de préserver la continuité des soins. Il devait prévenir la société de coordination, pour qu'elle puisse procéder à son remplacement.

L'ARRÊT DE LA COUR

L'infirmier a maintenu ne pas avoir disposé de la prescription afférente à la délivrance du Cymevan®, tout en convenant ne pas avoir pour autant cherché à en obtenir un duplicata écrit, afin de connaître la posologie exacte dudit médicament, comme lui en faisait obligation l'article R. 4312-6, et ce, alors même que les emballages et notices soulignaient d'avoir à se conformer à la prescription médicale. Il n'a pu fournir aucune explication cohérente sur les modalités de préparation du médicament qu'il avait adoptées, sauf à reconnaître qu'il n'en maîtrisait que très imparfaitement la technique, ni ne connaissait de façon précise les contre-indications, de sorte qu'il a administré un médicament dans l'ignorance de ses conditions d'emploi. Or sa qualité d'infirmier diplômé laisse supposer qu'il disposait des compétences et des connaissances nécessaires pour le faire.

Ce faisant, l'infirmier a commis une succession de fautes dans la préparation et l'administration d'un médicament spécifique, s'affranchissant à cette occasion des obligations de prudence et de sécurité qui s'imposaient à lui, en sa qualité d'infirmier diplômé d'État. Au contraire, il a privilégié la poursuite de soins pour lesquels il était rémunéré, sans s'interroger de savoir s'il était en mesure de les dispenser en toute sécurité pour le patient.

Par ailleurs, les conditions de précarité technique et sanitaire dans lesquelles a été administré le Cymevan® au patient étaient bien de nature à exposer ce dernier à un risque grave de mort ou de blessures, de nature à entraîner une infirmité permanente ; en effet, les atteintes physiques consécutives au surdosage étaient susceptibles de mettre en danger la vie du patient, si n'étaient pas mises en oeuvre de manière diligente des traitements adaptés à chacune des complications apparues et détectées. Il ne peut être considéré que le surdosage était inoffensif, sans gravité ni conséquences, tandis que l'infirmier passe sous silence le manque de rigueur avec laquelle il utilisait la chambre implantable, ne veillant pas à son asepsie et incitant le patient à s'auto-administrer lui-même le médicament en dépit des contre-indications et des risques inhérents à l'utilisation de la chambre implantable par un non-professionnel.

Enfin, le non-respect du protocole, par le manque d'asepsie, était en lui-même de nature à entraîner des risques graves pour la santé du patient ; peu importe à cet égard que ce dernier ait échappé à toutes complications infectieuses.

Dès lors, est caractérisé le délit de mise en danger d'autrui par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence.

La désinvolture avec laquelle l'infirmier a pris en charge le patient, le manque de rigueur professionnel et médical ayant présidé sur plusieurs jours aux soins par lui dispensés, sans se soucier de la prescription médicale afférente ni de la posologie propre au médicament administré, dont le prévenu ne pouvait ignorer les spécificités, conduisent à prononcer à l'encontre de ce dernier une mesure d'interdiction professionnelle, de préférence aux peines d'emprisonnement avec sursis et d'amendes prononcées par le premier juge (18 mois).