Distribution des médicaments : la loi confirme la pratique - Objectif Soins & Management n° 178 du 01/08/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 178 du 01/08/2009

 

Droit

LOI HÔPITAUX, PATIENTS, SANTÉ ET TERRITOIRES → Alors, alors, il y aurait eu une petite révolution avec la loi HPST qui aurait autorisé la distribution des médicaments par du personnel non diplômé ? Regardons cela de plus près.

Est en cause le nouvel article L. 313-26 du Code de l'Action sociale et des Familles, issu de cette loi et ainsi rédigé : « Au sein des établissements et services mentionnés à l'article L. 312-1, lorsque les personnes ne disposent pas d'une autonomie suffisante pour prendre seules le traitement prescrit par un médecin à l'exclusion de tout autre, l'aide à la prise de ce traitement constitue une modalité d'accompagnement de la personne dans les actes de sa vie courante (...) La distribution et l'aide à la prise des médicaments peuvent, à ce titre, être assurées par toute personne chargée de l'aide aux actes de la vie courante dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d'administration ni d'apprentissage particulier (...) Le libellé de la prescription médicale permet, selon qu'il est fait ou non référence à la nécessité de l'intervention d'auxiliaires médicaux, de distinguer s'il s'agit ou non d'un acte de la vie courante. (...) Des protocoles de soins sont élaborés avec l'équipe soignante afin que les personnes chargées de l'aide à la prise des médicaments soient informées des doses prescrites et du moment de la prise. » Pour comprendre, il faut partir de la base : l'avis du Conseil d'État du 9 mars 1999 (1).

LE CONSEIL D'ÉTAT

Interrogé sur la fonction de « distribution » des médicaments, le Conseil d'État avait d'abord analysé que cette notion recouvrait plusieurs phases. La séquence en cause est celle d'une personne, qu'elle soit ou non un auxiliaire médical, aidant un malade, qui ne peut, temporairement ou durablement, accomplir les gestes nécessaires ou prendre des médicaments qui lui ont été prescrits. Pour le Conseil d'État, cette aide à la prise n'entre pas dans le domaine des actes réservés aux professions de santé. Elle constitue « une des modalités du soutien qu'appellent, en raison de leur état, certains malades pour les actes de la vie courante ». Viennent ensuite la vérification de la prise du médicament, la surveillance de ses effets et l'administration directe. Pour le Conseil d'État, la discussion peut être envisagée juste pour vérifier qu'une prescription a matériellement été exécutée ; mais il n'y a aucune discussion sur la vérification des effets et l'administration directe. S'il fallait autoriser des personnels non diplômés pour l'une de ces trois tâches, il faudrait d'abord une évaluation du risque et une réforme des programmes de formation. Avait suivi une circulaire de la Direction générale de la Santé du 4 juin 1999 (2), censée tirer les enseignements de l'avis rendu par le Conseil d'État. Cette circulaire est vite devenue la référence, alors que sa rédaction, un peu floue, semblait accréditer l'idée d'une phase autonome de « distribution du médicament », mais rappelait tout de même que le personnel non infirmier ne pouvait effectuer « l'aide à la prise d'un médicament prescrit apportée à une personne empêchée temporairement ou durablement d'accomplir ce geste ». Une rédaction qui a été le prétexte à des lectures erronées du droit, alibis à des pratiques déviantes. Le Conseil d'État a eu l'occasion de réaffirmer son analyse dans le cadre d'un arrêt(3). Le directeur d'une maison de retraite avait donné ordre aux aides-soignants, par une note de service, de procéder à la distribution des médicaments, entendu comme une aide à la prise de ces médicaments. Un aide-soignant avait refusé, estimant ne pas avoir compétence, et avait écopé d'une sanction disciplinaire pour insubordination. Pour le Conseil d'État, l'ordre donné par le directeur n'était pas illégal dès lors que « l'aide apportée aux résidents empêchés temporairement ou durablement d'accomplir les gestes nécessaires pour prendre les médicaments qui leur ont été prescrits constitue l'une des modalités de soutien qu'appellent, en raison de leur état, certains malades pour les actes de la vie courante et relève donc en application des dispositions précitées du rôle de l'aide soignant ».

LA RÉGLEMENTATION

La réglementation professionnelle s'inscrit dans la même lecture logique. Du côté infirmier, il faut se référer aux articles R. 4311-5 du Code de la Santé publique pour la partie relevant du rôle propre et R. 4311-7 pour ce qui relève de la prescription (4). L'article R. 4311-5 définit les soins du rôle propre « visant à identifier les risques et à assurer le confort et la sécurité de la personne et de son environnement et comprenant son information et celle de son entourage », et liste :

« 4° Aide à la prise des médicaments présentés sous forme non injectable ;

5° Vérification de leur prise ;

6° Surveillance de leurs effets et éducation du patient. »

L'article R. 4311-7, qui traite des soins sur prescription, vise au 5° tout ce qui concerne les injections et perfusion, et au 6° l'administration des médicaments sans préjudice des dispositions prévues à l'article R. 4311-5. Ce texte doit être lu en lien avec l'arrêté du 22 octobre 2005 relative au diplôme professionnel d'aide-soignant, auquel est joint en annexe le référentiel de formation. Le texte rappelle d'abord que l'aide-soignant n'a jamais de rôle initial et qu'il intervient dans le cadre d'une collaboration effective avec un infirmier. S'agissant de l'administration des médicaments, l'arrêté tranche la question avec le module 3 de la formation, autorisant l'aide-soignant dans le cadre du rôle propre de l'infirmier, en collaboration avec lui et sous sa responsabilité pour une aide aux soins réalisés par l'infirmier pour « la prise de médicaments sous forme non injectable ». Ainsi, la boucle est bouclée. Il y a d'abord tout ce qui se passe dans la salle de soins et qui relève de la compétence infirmière : gestion des commandes, vérification de la péremption, analyse des ordonnances, préparation sous forme individuelle ou sous piluliers. Vient ensuite la distribution auprès du malade, avec aide à la prise, vérification de la prise, surveillance des effets, éducation du patient et administration directe également. L'administration se fait sur prescription, alors que les quatre autres tâches relèvent du rôle propre. Dans le cadre d'une collaboration effective, l'aide-soignant est compétent pour « l'aide à la prise ». Pour les autres tâches, l'infirmier doit assumer seul.

QU'APPORTE LA LOI NOUVELLE ?

La loi nouvelle entérine la solution antérieure, mais avec une évolution, limitée aux établissements sanitaires et sociaux, définie par l'article L. 312-1 du Code de l'Action sociale et des Familles. D'ailleurs, cet article de la loi est inclus dans le même Code, et c'est dire qu'il est inapplicable dans les établissements sanitaires.

L'évolution ? Aucune. Le législateur nous a habitués à voter des textes idiots : en voici un parfait exemple... L'idée serait que, dans les établissements médico-sociaux, l'aide à la prise ne serait plus limitée aux aides-soignants, pouvant être assurée par « toute personne chargée de l'aide aux actes de la vie courante ». Mais c'est là le droit antérieur, défini dès 1999 par le Conseil d'État ! Ainsi la même pratique - aide à la prise - peut être confiée à des aides-soignants ou à des personnes non diplômées, la seule différence étant que cela résulte de l'analyse générale dans les établissements sanitaires et de la loi dans les établissements médico-sociaux. Si la prescription médicale ne dit pas que l'intervention d'auxiliaires médicaux est nécessaire, l'acte est réputé être de la vie courante, et donc libre. Mais il est demandé que soient établis avec l'équipe soignante des protocoles de soins « afin que les personnes chargées de l'aide à la prise des médicaments soient informées des doses prescrites et du moment de la prise ». C'est clair ? Oui, mais le problème n'est résolu qu'à moitié et n'évacue pas la présence infirmière. En effet, nous dit le Conseil d'État depuis 1999, l'administration des médicaments est un tout indissociable qui conduit à distinguer l'aide à la prise, d'une part, et, d'autre part, la vérification de la prise, la vérification des effets et l'éducation du patient. Et pour ce second groupe, la loi n'a rien changé et n'a pas modifié l'article R. 4311 5. L'aide-soignant doit une surveillance, selon les enseignements acquis pendant sa formation. Mais il ne peut faire le lien entre ces signes cliniques généraux observés et le traitement car cela ne résulte pas de sa charge. La présence infirmière est donc indispensable, car ceux qui pratiquent ces tâches commettent l'infraction d'exercice illégal de la profession, et ceux qui l'organisent sont complices. J'entends déjà les cris : « Mais c'est irréalisable sur le plan économique ! ». Peut-être, mais ça ne change rien au droit.

NOTES

(1) Conseil d'Etat, Section sociale, Avis n° 363 221 du 9 mars 1999. - (2) Circulaire DGS/PS 3/DAS n° 99-320 du 4 juin 1999, relative à la distribution des médicaments - (3) Conseil d'Etat, 22 mai 2002, n° 233939. Cette jurisprudence a été reprise par la Cour Administrative d'Appel de Bordeaux, également pour des aides-soignantes le 3 avril 2008, n° 06BX01457. - (4) Décret 2002-174 du 11 février 2002