Quand «panser» devient collectif - Objectif Soins & Management n° 178 du 01/08/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 178 du 01/08/2009

 

Ressources humaines

DÉCRYPTAGE → Dans le contrat narcissique institutionnel qui nous lie, interrogeons-nous sur nos interactions soignantes. Le soignant peut être infirmier, mais son action prendra-t-elle la même forme s'il est titulaire, intérimaire, détenteur d'une spécificité professionnelle, femme, jeune, ancien ? Sommes-nous à profession équivalente interchangeables, niant ainsi notre identité ?

C'est au travers d'ateliers thérapeutiques qu'a germé ma question. Si nous co-animons à deux, prenons-nous une part égale, égalitaire, dans le déroulement de l'atelier, ou est-ce plutôt notre complémentarité qui concourt au soin ?

Il y a tout d'abord l'énoncé que nous présentons au patient : que définissons-nous dans nos places respectives ? Sommes-nous dans une présentation fusionnelle (confusionnelle ?), différenciée (attachant à chacun ses missions respectives), floue (qui laisse au patient toute latitude pour cerner notre collaboration) ?

Je peux me présenter comme infirmier détenteur d'un savoir, d'une technique, d'une reconnaissance, et situer cette spécificité auprès de la personne co-animatrice (elle peut être candide, sensibilisée au sujet, détentrice d'un savoir complémentaire). Chaque énoncé a son intérêt, offre une grille d'interprétation différente à analyser.

Ce qui importe, c'est notre authentification à notre position. Si je suis le garant de la médiation proposée, je pose le champ de soin, je circonscris au domaine de mes compétences. Si je me pose en candide, je peux me faire porte-parole (... ou «porte-silence» !) des propres difficultés rencontrées par les soignés au sein de l'atelier.

Cela permet des supports identificatoires différents pour les patients, offrant plus de sécurité pour un laisser-aller de ceux-ci grâce au portage ainsi proposé.

C'est notre ajustement, nos réajustements qui vont contribuer à offrir un contexte favorable au soin. Un lieu suffisamment sécurisé et permissif pour mettre sur l'étal ce qui restait enfoui. L'absence de l'un ne peut être compensée par un seul mouvement de remplacement soignant. C'est tout le dispositif qui est fragilisé. Il faut alors tout ré-interroger (supprimer une séance, poursuivre en nommant la béance dans le dispositif, continuer avec un nouveau soignant mais sans masquer cette modification du contrat).

La confrontation aux situations de crises que sont les mises en chambre d'isolement ou l'hospitalisation d'office (HO) peuvent aussi s'aborder (et non «saborder») sous cet angle. Qu'offrons-nous comme plate-forme d'identifications potentielles ?

EN SITUATION DE CRISE

En tant que cadre d'accueil, j'ai souvent été sollicité pour des demandes de présences masculines (demandes quelquefois exponentielles liées à la perception de situations insécures). Derrière la tentation de sécuriser physiquement, pouvons-nous envisager de sécuriser aussi psychiquement ? Prenons-nous plus de risques à mixer une équipe d'intervention en panachant des présences masculines, féminines, des référents et des soignants extérieurs, qu'en cherchant à envoyer les plus de 1,75 mètre aguerris aux situations périlleuses ?

Pour ma part, je n'exclue pas de constituer des équipes exclusivement féminines, si elles sont porteuses de sens. Je prône plus la mise en sens que la prise en force, supposant qu'il est plus soignant de voir partir un infirmier qui connaît bien la patiente et qui a envie de participer à cette étape du soin que d'imposer sur un seul critère corporel une mission à un homme étranger à la situation. Cela ne peut avoir du sens que dans un combiné réfléchi et non dans une application stricte et décontextualisée du protocole.

Les mises en chambre de soins intensifs ou les soins dans celles-ci sont sujets aux mêmes questions. La mixité offre la diversité des rapports, le patient n'est pas enferré dans la seule spirale du rapport à la loi, à la violence, mais peut se saisir du pluralisme offert. Il peut nous diviser dans la chambre : ce qui importe, c'est notre réunion dans le projet, dans ce que nous pourrons mettre en commun, dans ce possible offert.

LE PARTAGE DU SENS PORTEUR DU SOIN

Nouvellement nommé en faisant fonction de cadre et par conséquent organisateur hiérarchique de situations de soin, il m'apparaît fertile, avant toute décision, de soumettre ma proposition aux équipes pour en évaluer leur adhésion. Il est important de jauger l'appréciation des équipes face à une situation pour l'aborder de manière sereine et cohérente (et non «co-errante»). Un bon duo vaut mieux qu'un mauvais trio : cette assertion métaphorique peut contribuer à constituer ses équipes, à mettre du crédit à ses choix.

Iriez-vous «chercher un HO» avec un infirmier athlétique mais paniqué ou préfériez-vous une infirmière frêle mais rompue à toute situation d'urgence ?

La sécurité des situations est inhérente à la sérénité des maillages soignants. Le «mal entendu», la non-connivence soignante sont des brèches offertes à l'insécurité du patient qui peut l'exprimer de manière pathologique.

BINÔMES ÉPHÉMÈRES OU AU LONG TERME

Ma pratique en pédo-psychiatrie s'organisait prioritairement autour d'ateliers thérapeutiques pour lesquels nous avions constitué des équipes soignantes stables et repérées. Chaque absence s'interrogeait, tout dispositif était questionné par sa singularité (avec ou sans observateur, croisement des identités professionnelles...). Nous n'étions pas interchangeables, même si nous pouvions pallier les absences des uns et des autres. Ces binômes fondés sur des réflexions théoriques luttant contre les sentiments de vampirisation ou d'inanité, véhiculés par la rencontre avec les enfants psychotiques, offraient des aires de jeux propices à recevoir et travailler autour des expressions des enfants. Encore fallait-il que nos grilles de lecture, nos mises à disposition soient cohérentes.

Des accueils de stagiaires se sont avérés révélateurs pour montrer que nos évidences n'allaient pas de soi. Nous pouvons partager le même lieu, mais ne rien pouvoir décoder sans transmission de grille de lecture. Elles se devaient donc d'être énoncées et partagées.

Les binômes éphémères fragilisent ce dispositif d'accueil, privés de la connivence liée à l'expérience partagée.

« JE SERAIS BIEN INTERVENU... »

Quand les règles ne sont pas fixées, non énoncées, tout devient possible et tout est prétexte aux interprétations les plus complexes : « Je serais bien intervenu mais vous sembliez assez nombreux » peut s'opposer à « on comptait sur ta présence ». Chacun convoque son propre ressenti, ses perceptions personnelles qui peuvent se contrarier avec celles de ses collègues.

« C'est la légitimité qui fonde l'autorité », précepte défendu récemment par la ministre de l'enseignement supérieur Valérie Pécresse sur un plateau de télévision* peut se transposer à la sphère soignante. C'est le fruit de la réflexion collective qui doit guider et harmoniser les initiatives pour qu'elles ne soient pas contradictoires, discordantes et insécurisantes pour le patient. Le « pourquoi vous êtes autant, je peux aller seul » n'aura plus sa place quand il se verra opposer une règle issue d'une position collective et argumentée. Cela permet de légitimer les initiatives en les raccrochant à une trame de pensée concertée.

MÉRITER LA CONFIANCE

Les dynamiques institutionnelles sont différentes, liées aux réalités des champs d'exercice. Même si le confort des ateliers thérapeutiques en pédopsychiatrie ne peut se transposer dans chaque situation de soin, il paraît primordial de toujours avoir à l'esprit ce que nos articulations, nos synergies provoquent. Il ne s'agit pas de tout anticiper, de tout protéger, mais de se donner le temps et les espaces de compréhension de ce qui est mis en jeu. Si le tiers peut être salvateur dans certaines situations pour se protéger de nos propres attaques psychiques, il peut tout aussi nous rendre indisponible par la gêne qu'il nous suscite. Il n'y a pas un seul dispositif, mais une multiplicité de possibles que l'on se doit d'interroger.

ALORS, SOMMES-NOUS INTERCHANGEABLES ?

Nous sommes interdépendants et nous-mêmes devons adapter notre positionnement à la lumière du contrat narcissique dans lequel on évolue. Il semble que cet ajustement perpétuel tient compte aussi de la singularité de chaque soignant, de son inscription dans l'histoire institutionnelle, ainsi que son souci de se lier à la dynamique ambiante.

Nous ne sommes donc pas interchangeables mais devons concourir à nous harmoniser au mieux avec la singularité de chaque projet. « Je sais qui je suis et en mesure l'impact sur la prise en charge globale » pourrait être la formule qui authentifie notre position singulière dans une inscription collective.

NOTES * Émission : Il ne faut jurer de rien (10 h sur LCP le 12/10/08).