Grippe A : tous sur le pont - Objectif Soins & Management n° 179 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 179 du 01/10/2009

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

PANDÉMIE → Hospitalière dans un premier temps, la prise en charge des patients touchés par le virus H1N1 a progressivement glissé vers la médecine de ville. L'hôpital reste néanmoins en première ligne pour les cas graves nécessitant des soins plus poussés. Tour d'horizon des connaissances actuelles et des dispositifs en vigueur pour lutter contre la grippe A.

Le seuil épidémique a été franchi début septembre avec 164 cas pour 100 000 habitants (le seuil se situant à 84 pour 100 000), alors que le directeur général de la Santé, Didier Houssin, estimait cet été que le pic épidémique interviendrait en octobre, novembre ou décembre, « le virus ayant sa propre stratégie ». D'ores et déjà, en date du 1er octobre, plus de 100 000 cas ont été recensés en France (même si, officiellement, on ne comptabilise plus vraiment les vrais malades de la grippe A, faute d'analyses) et l'on déplore 30 décès de malades porteurs de la grippe A (6 en métropole, le reste en Outre-Mer). De son côté, l'Organisation mondiale de la santé (OMS a eu connaissance de 296 471 cas avérés par des analyses en laboratoire dans le monde et indiquait récemment que l'épidémie semblait progresser plus rapidement sur notre territoire. Le combat ne fait donc que commencer pour les professionnels de santé.

UN VIRUS PEU OU TRÈS VIRULENT ?

Depuis son apparition, tous les experts s'accordent à dire que le virus H1N1 se répand plus vite que le virus de la grippe saisonnière, d'où la pandémie mondiale annoncée. Néanmoins, les avis divergent sur sa virulence et aucun consensus ne semble émerger. En mai, le Pr Antoine Flahaut, épidémiologiste et directeur de l'École des hautes études en santé publique (EHESP), avait annoncé lors d'une conférence à l'EHESP que le scénario le plus probable de l'évolution de la pandémie grippale H1N1 serait qu'il « pourrait y avoir 30 000 décès en France » - la grippe saisonnière provoquant, quant à elle, 1 500 à 2 000 décès par an, selon l'Institut Pasteur. Des propos ensuite tempérés par d'autres spécialistes, qualifiant la grippe A de « grippette », notamment le Pr Bernard Debré, qui estimait cet été que la France en faisait trop. Les derniers chiffres délivrés par l'Institut national de veille sanitaire (InVS) montraient que les fluctuations de la mortalité globale restaient pour l'instant dans les valeurs des autres années (en comparaison, la canicule de 2003 avait montré un véritable pic de décès). Néanmoins, le décès mi-septembre d'un jeune homme sans facteur de risque particulier a fait jaillir de nombreuses questions sur la dangerosité du virus qui semble affecter une population jeune et globalement en bonne santé, selon des chiffres de l'InVS.

LES MESURES DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ

Même si, depuis le début de l'été, le ministère de la Santé a revu sa stratégie de prise en charge des personnes infectées en mettant en première ligne la médecine de ville, l'hôpital demeure la structure d'accueil des populations à risque et des cas difficiles. Début août, Annie Podeur, Directrice de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS), a adressé à tous les établissements de santé un courrier afin de leur rappeler la conduite à tenir lors de la pandémie. Chaque établissement devait ainsi avoir désigné un référent grippe (lui-même en relation avec le référent grippe de l'ARH) et orienté un plan blanc spécial «pandémie grippale» avec différentes mesures visant à prendre en charge les patients concernés par la grippe A : « sécurisation du site, zone de tri, sectorisation de l'établissement voire de certains services, plan de déprogrammation, cellule d'aide à la décision médicale ». En outre, une augmentation de la capacité des différents services clés - urgences, réanimation et pédiatrie - a été demandée par la DHOS. Des mesures globales qui s'ajoutent à un renfort de la régulation des centres 15 (samu) déjà mis en place. Les professionnels sont donc en alerte.

ET CÔTÉ MATÉRIEL ?

Gaz médicaux, masques anti-grippe, solutions hydro-alcooliques, la quantité de matériel indispensable pour faire face à l'épidémie de grippe dans les établissements est considérable. C'est l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) créé en 2007 qui se charge de stocker le matériel destiné aux structures de soins (hôpitaux, médecine de ville, officine). Auditionnée devant la commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, a indiqué que la France avait acquis d'importants moyens de protections : « Un milliard de masques anti-projections, destinés aux malades, 900 millions de masques de protection FFP2 pour les personnes particulièrement exposées et 33 millions de traitements anti-viraux. » À cela s'ajoutent l'acquisition de 100 respirateurs supplémentaires et 34 appareils d'oxygénation extra-corporelle sur membrane pour la prise en charge des formes graves, notamment des syndromes de détresse respiratoire aiguë.

CÔTÉ PRÉVENTION, UN VACCIN BIENTÔT DISPONIBLE

Outre le dispositif de lutte contre la grippe, la France mise sur la vaccination. Annoncé dès avril à grands renforts de chiffres (capacité de production par les laboratoires, rapport à la population mondiale, nombre de doses utiles, etc.), le vaccin contre la grippe A devrait être disponible d'ici quelques jours, à destination des professionnels de santé dans un premier temps(1). Ce sont en effet eux qui sont les plus exposés car fortement impliqués dans la prise en charge des patients et la délivrance des soins. Trois raisons majeures justifient leur vaccination, indiquait la DHOS en août dans un courrier adressé aux chefs d'établissement : « Maintenir le fonctionnement optimal du système de soins, éviter que ces personnels ne deviennent malades et vecteur du virus et garantir une meilleure protection à ceux à qui l'on impose l'obligation de s'exposer au virus. »

Le vaccin sera ensuite déployé progressivement notamment auprès de personnes annoncées comme prioritaires par le Haut conseil de santé publique (HCSP), notamment les femmes enceintes (différentes études montrent qu'elles seraient beaucoup vulnérables que le reste de la population), les enfants de 6 à 23 mois avec facteurs de risque et l'entourage des nourrissons de moins de 6 mois, ces derniers ne pouvant être vaccinés. Viendront ensuite les malades atteints de pathologies chroniques et la catégorie des 2-18 ans. On ignore encore à l'heure de notre bouclage le nombre de doses utiles pour être immunisé : deux injections à 21 jours d'intervalle avaient été d'abord préconisées par le HCSP, mais différentes études montrent que la réponse immunitaire pourrait être suffisante dès la première injection. Des essais cliniques menés par Sanofi-Pasteur(2) chez des adultes de 18 à 64 ans ont effet indiqué qu'une simple dose de 15 µg entraînait une forte réponse immunitaire dans 96 % des cas et une étude publiée dans le New England Journal of Medicine, effectuée en Australie, suggère que deux vaccins (dont un développé par Novartis) inoculés à des volontaires confèrent une immunité suffisante au bout de 15 à 21 jours, sans nécessité d'une seconde injection.

MAIS QUI NE FAIT PAS L'UNANIMITÉ...

Néanmoins, ce vaccin est inscrit au coeur d'une polémique qui fait rage jusque dans les rangs des professionnels de santé. Ces derniers ont en effet été les premiers sensibilisés sur la question de la vaccination mais plusieurs voix s'élèvent pour dénoncer un « vaccin réalisé à la hâte », présentant un adjuvant et un conservateur pouvant poser des problèmes. Le syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), par la voix de Thierry Amouroux, son secrétaire général, a notamment demandé que « compte tenu du bénéfice/risque de cette vaccination particulière, les personnes qui souhaitent se faire vacciner devront avoir un entretien avec un professionnel de santé et signer un document de consentement éclairé, comme pour les médicaments expérimentaux » ; par ailleurs, un sondage réalisé par l'Espace éthique de l'AP-HP et publiée sur le site Internet du magazine L'Express, plus d'un tiers des professionnels de santé hésitent (28,6 %) ou sont sûrs (9 %) de ne pas se faire vacciner cet automne contre le virus H1N1 (parmi 4 752 médecins, infirmiers ou aides-soignants ayant répondus à l'enquête). Même inquiétude du côté de la Coordination nationale médicale santé environnement (CNMSE), qui demande des arguments « démontrant que cette vaccination est nécessaire et sans danger, notamment pour les femmes enceintes et les jeunes enfants ».

Au rang des inquiétudes figurent la vitesse à laquelle le vaccin a été fabriqué par les laboratoires, la présence d'un adjuvant (qui permet notamment de «booster» la réponse immunitaire) suspecté de provoquer des désordres neurologiques et maladies auto-immunes (syndrome de Guillain-Barré) et l'addition de thiomersal, un conservateur contenant du mercure, déjà interdit dans d'autres domaines. Toutefois, les adjuvants seront absents des vaccins proposés aux femmes enceintes, aux enfants âgés de 6 à 23 mois et aux personnes atteintes d'une pathologie susceptible d'être réactivée par ces substances. Reste à attendre que le vaccin arrive sur le marché.

NOTES

(1) Parmi les professionnels de santé, des ordres de priorité ont également été définis : priorité n°1 aux personnels des services de soins (médecins, infirmiers, aides-soigants, agents de services hospitaliers, sages-femmes et kinésithérapeutes), priorité n°2 aux personnels de pharmacie, laboratoires et services de radiologie. Enfin, priorité n°3 aux personnels administratifs, médico-techniques, éducatifs et sociaux ainsi qu'aux personnels techniques et ouvriers.

(2) La France a commandé 94 millions de doses de vaccins auprès de 3 laboratoires : GSK (50 millions), Novartis (16 millions) et Sanofi-Pasteur (28 millions). En outre, une commande complémentaire a également été passée auprès du laboratoire Baxter.