Jurisprudence récente en responsabilité - Objectif Soins & Management n° 179 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 179 du 01/10/2009

 

Droit

ÉCLAIRCISSEMENTS → Statut professionnel, vaccination, diagnostic, prise en charge d'une personne accidentée, psychiatrie, anesthésie, secret professionnel... Coup d'oeil sur la jurisprudence des derniers mois écoulés.

STATUT PROFESSIONNEL

Le fait pour un agent de service d'effectuer quelques tâches confiées à des aides-soignantes, et non médicalement réglementées, ne suffit pas pour revendiquer la rémunération d'une aide-soignante, au regard du principe «à travail égal, salaire égal».

Une femme a été engagée le 4 juillet 1984 en qualité d'agent de service par une clinique. Elle a accédé en juillet 1999 au grade d'agent hôtelier spécialisé, groupe III, échelon 8, indice 307 de la convention collective des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 dite FEHAP. Elle a été affectée au service d'endoscopie pour s'occuper essentiellement du nettoyage et de la désinfection du matériel d'endoscopie, tâches pour lesquelles la salariée a reçu une formation spécialisée. Soutenant que cette activité l'autorisait à percevoir depuis le mois de février 2000, une rémunération égale à celle des aides-soignantes, puis revendiquant, à partir du 1er juillet 2003, la classification conventionnelle d'ouvrier hautement qualifié, la salariée a saisi la juridiction prud'hommale d'une demande en paiement d'un rappel de salaire. La cour constate que, pour complexes qu'elles soient, les tâches exécutées au sein du service d'endoscopie ne constituaient pas des travaux de haute technicité nécessitant une part importante d'initiative et de responsabilité. Aussi, ces fonctions ne pouvaient conduire à reconnaître les classifications d'aide-soignante et d'ouvrière hautement qualifiée.

De plus, la salariée, non titulaire d'un diplôme d'aide-soignante, n'avait pas qualité pour dispenser des soins aux patients, et elle accomplissait au sein du service d'endoscopie des tâches qui, bien qu'accessoirement exécutées par des aides-soignantes, n'étaient pas réglementairement réservées au personnel médical. Ainsi, cette salariée, qui n'exerçait pas un travail de valeur égale à celui des aides-soignantes ou des infirmières avec lesquelles elle se comparaît, ne pouvait revendiquer une rémunération identique. Cour de cassation, chambre sociale, 24 juin 2009, n°07-44411.

VACCINATIONS

S'agissant d'un recours en responsabilité suite un traitement vaccinal, la Cour de cassation admet la preuve par présomption, qui est un régime dérogatoire à celui du droit commun, la faute prouvée.

Un enfant, né le 14 juin 1992, qui avait reçu sur prescription médicale trois injections d'un vaccin ORL «Stallergènes MRV» les 16,19 et 24 mars 1998, a été atteint, le 24 mars 1998, d'une affection neurologique caractérisée par des convulsions et une épilepsie sévère évoluant vers une dégradation intellectuelle qui s'est poursuivie jusqu'en 2001 pour se stabiliser. Les parents ont recherché la responsabilité du laboratoire et du médecin prescripteur.

La cour d'appel a rejeté l'action dirigée contre ceux-ci, relevant que n'était pas apportée la preuve formelle d'un lien de causalité direct et certain entre l'injection vaccinale et le déclenchement de la pathologie. Toutefois, l'absence, dans l'histoire et les antécédents familiaux, d'éléments susceptibles d'évoquer une maladie neurologique milite en faveur d'une causalité probable entre l'injection du vaccin et la pathologie soudaine développée par l'enfant. De plus, les deux collèges d'experts n'avaient pas formellement exclu l'hypothèse d'une stimulation antigénique déclenchante, due au produit vaccinal, corroborée par la nature même du produit et par la chronologie des événements.

Pour la Cour de cassation, ces éléments suffisent. Il n'y a pas lieu d'exiger une preuve scientifique certaine quand le rôle causal peut résulter de simples présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes. Cour de cassation, 1re chambre civile, 25 juin 2009, n°08-12781.

DIAGNOSTIC

Le diagnostic différentiel entre psychose puerpérale et dépression post-puerpérale n'est pas aisé, et ne pas avoir posé ce diagnostic ne constitue pas une faute, dès lors que les médecins démontrent leur attention et la qualité d'une surveillance, même si celle-ci n'a pas suffi pour éviter un fait grave.

À la suite de son accouchement par césarienne à la maternité, le 24 janvier 1996, par un gynécologue obstétricien, une femme a présenté des troubles psychiatriques, qui ont justifié sa prise en charge par un médecin psychiatre. Dans une crise de délire paroxystique, survenue le 31 janvier 1996, la mère a défénestré le nourrisson, qui, gravement blessé, est demeuré depuis lors handicapé. Le père et la mère de l'enfant ont recherché la responsabilité des médecins et de l'établissement.

La Cour relève d'abord qu'avant le passage à l'acte, rien ne permettait de déterminer si les symptômes présentés par la patiente permettaient de privilégier l'hypothèse d'une psychose puerpérale plutôt que celle d'une dépression post-puerpérale. Ensuite, la psychose puerpérale présente des difficultés de diagnostic mises en évidence dans la documentation médicale, en raison tant de la rareté de cette maladie (2/1000) que de l'absence de sémiologie caractéristique de celle-ci, la difficulté étant aggravée, en l'espèce, compte tenu du tableau clinique que présentait la mère qui s'apparentait à celui de la dépression post-partum. Le médecin psychiatre, intervenu sans retard, avait mis en oeuvre tous les moyens et précautions nécessaires pour parvenir à un bon diagnostic, en consacrant du temps et toute son attention à sa patiente et à son entourage à deux reprises entre le 30 et le 31 janvier.

Dans ces conditions, la Cour ne retient pas de faute, ni dans l'établissement du diagnostic, ni dans la surveillance. Cour de cassation, 1re chambre civile, 25 juin 2009, n°08-15560.

PRISE EN CHARGE D'UNE PERSONNE ACCIDENTÉE

Le retard à avoir pratiqué une intervention, non critiquable en elle-même, n'ouvre droit à réparation que pour les conséquences de ce retard.

À la suite d'un accident de la circulation survenu le 30 octobre 1996, un homme alors âgé de 69 ans a été transporté vers un centre hospitalier. Après un premier examen révélant une fracture luxation cervicale C4-C5 avec recul de C-5 dans le canal médulaire et des signes neurologiques sensitivo-moteurs discrets, il a été décidé de le transférer immédiatement à un CHU. Une réduction orthopédique de la luxation, sans intervention chirurgicale, y a été tentée sans succès dans la soirée. Un scanner cervical a été réalisé le lendemain. Dans la matinée du 4 novembre 1996, le patient a fait l'objet d'une intervention chirurgicale en vue d'une réduction et d'une fixation de la fracture. À la suite de cette intervention, il a souffert d'une tétraplégie complète, sensitive et motrice. Un examen par IRM cervicale a été réalisé le 5 novembre 1996, vers 21 heures, et a démontré l'existence d'une hernie compressive massive, nécessitant une nouvelle intervention chirurgicale en urgence. Une opération par voie antérieure a été réalisée le jour-même, vers 22 heures 30, afin de lever cette compression médullaire, mais n'a permis qu'une récupération partielle du handicap fonctionnel.

Le retard de 30 heures mis pour confirmer le diagnostic de hernie discale et la traiter, à la suite de l'intervention du 4 novembre 1996, a un caractère fautif. En revanche, l'intervention du 4 novembre 1996 a été réalisée selon une méthode opératoire classique et était adaptée à l'état du patient. Si elle a été indiscutablement à l'origine de la hernie discale ayant provoqué une compression médullaire aiguë accompagnée d'une tétraplégie, celle-ci en est une complication rare mais connue, qui ne révèle aucune faute. Enfin, dès lors que le préjudice litigieux résulte de la compression médullaire qui a suivi l'intervention du 4 novembre, les circonstances qu'un examen d'imagerie permettant éventuellement de diagnostiquer la présence d'une hernie discale n'ait pas été réalisé avant cette intervention, et que ladite intervention n'ait pas été effectuée plus tôt, sont sans rapport direct avec ce préjudice. Dans ces conditions, la responsabilité du CHU est engagée uniquement qu'en raison des conséquences dommageables découlant du retard, et l'indemnisation est partiellement acquise. Cour administrative d'appel de Lyon, 30 juin 2009, n°04LY01595.

ANESTHÉSIE

Le médecin anesthésiste doit une surveillance personnelle au patient, et ne peut s'abriter derrière une défaillance du matériel.

Au réveil de l'anesthésie générale pratiquée pour l'intervention chirurgicale du 20 mars 2002, un enfant a été victime d'un arrêt cardiaque responsable des séquelles neurologiques majeures et irréversibles dont il est atteint. Il résulte du rapport d'expertise que la dépression respiratoire de l'enfant, à l'origine de l'accident cardiaque, n'a pas été décelée en raison d'un défaut de surveillance du médecin anesthésiste : celui-ci ne s'est pas livré en salle de réveil aux vérifications cliniques auxquelles il était tenu de procéder, quelles qu'aient été les indications fournies par l'appareil de mesure de la saturation artérielle en oxygène.

Dans ces conditions, le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir que la défaillance de cet appareil de santé, à la supposer établie, serait responsable des conséquences dommageables ayant résulté pour l'enfant de l'intervention. Le défaut de surveillance du médecin anesthésiste, qui est constitutif d'une faute engageant la responsabilité de l'administration hospitalière, est à l'origine du dommage subi. Cour administrative d'appel de Versailles, 15 juillet 2009, n°07VE00490.

PSYCHIATRIE

Un suicide engage la responsabilité de l'établissement hospitalier, si est prouvée une défaillance dans la surveillance ou une faute dans l'organisation du service.

Une jeune femme, alors âgée de 23 ans, a été hospitalisée à plusieurs reprises dans un centre hospitalier spécialisé à compter de janvier 2003 en raison de risques de passage à l'acte suicidaire. Le 9 mai 2003, alors qu'elle y séjournait auparavant librement, elle a été placée sous le régime de l'hospitalisation sur demande d'un tiers en raison d'un péril imminent. Elle a alors commis deux tentatives de suicide en deux jours. Au cours d'une «sortie d'essai», elle a subtilisé une lame de rasoir et tenté une nouvelle fois de se couper les veines. Hospitalisée à nouveau au centre hospitalier spécialisé le 13 mai 2003, elle est sortie du service où elle était prise en charge et a ingéré un produit détergent caustique, trouvé dans un pavillon voisin, dans l'enceinte de l'hôpital. Elle est décédée le 22 octobre 2003, en dépit des soins reçus et interventions chirurgicales subies, des suites des graves brûlures causées par l'ingestion de ce produit toxique.

Compte tenu des circonstances de son hospitalisation et de la parfaite connaissance qu'avaient les médecins des risques que comportait son état mental, le fait que la jeune femme ait pu échapper à la vigilance du service où elle était hospitalisée et ait pu mettre fin à ses jours révèle une défaillance dans la surveillance et une faute dans l'organisation du service. Cette faute, qui est directement à l'origine de l'accident qui a entraîné le décès, est de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier. Conseil d'État, 9 mars 2009, n°303983.

SECRET PROFESSIONNEL

Le juge civil ne peut ordonner une expertise judiciaire en impartissant à l'expert une mission qui porte atteinte au secret médical sans subordonner l'exécution de cette mission à l'autorisation préalable du patient concerné.

Une personne agissait en paiement d'indemnités journalières prévues par le contrat de prévoyance souscrit par elle auprès d'un assureur. Une cour d'appel a ordonné une expertise judiciaire en confiant à l'expert la mission d'entendre tous médecins ayant connu du cas de cette personne, parmi lesquels un médecin psychothérapeute.

Visant les articles L.1110-4 et R.4127-4 du Code de la Santé publique, la Cour de cassation rappelle que le juge civil ne peut, en l'absence de disposition législative spécifique l'y autorisant, ordonner une expertise judiciaire en impartissant à l'expert une mission qui porte atteinte au secret médical sans subordonner l'exécution de cette mission à l'autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer toutes conséquences du refus illégitime. Le simple fait que la personne soit partie à la procédure est insuffisant. La cour devait subordonner l'exécution de cette mission à son autorisation préalable. Cour de cassation, 1re chambre civile, 11 juin 2009, n° 08-12742.