Le secours spéléo : des compétences transposables - Objectif Soins & Management n° 181 du 01/12/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 181 du 01/12/2009

 

Point sur

Tout comme le secours en montagne, le secours spéléologique est bien une spécialité à part entière. Plus encore que toute autre, elle demande des compétences particulières qui ne s'acquièrent qu'avec l'expérience et une pratique régulière. Lors de la prise en charge du blessé, qui devient patient, l'équipe soignante bénéficie d'une nouvelle spécialité depuis 2001 déjà : l'infirmier grottologue.

Les accidents en spéléologie ne représentent heureusement pas un problème de santé publique. Le secours spéléologique français gère environ 40 secours par an sur tout le territoire français. En Isère le Spéléo Secours Isère (SSSI ou SSF 38) intervient deux fois par an.

Pour la plus plupart, les effectifs des équipes de secours sont essentiellement constitués par des spéléologues bénévoles : la Fédération française de spéléologie est la seule fédération sportive qui prend en charge ses secours en renfort des équipes de corps constitués (gendarmerie, CRS, sapeurs-pompiers).

Les traumatismes et pathologies rencontrés lors de ces secours nécessitent souvent l'intervention d'une équipe soignante et médicale compétente, à la fois en spéléologie sportive et en soins pré-hospitaliers singuliers.

PRISE EN CHARGE SINGULIÈRE ET PLURIDISCIPLINAIRE

La prise en charge est à chaque fois singulière et regarde le patient dans les dimensions biologiques, psychologiques et sociales :

biologique par sa prise en charge à un moment T, dans un milieu agressif où se surajoutent épuisement, froid, déshydratation ;

psychologique car le temps d'attente dans ce milieu entre le moment de l'accident et celui de la sortie est long et sollicite durement le moral. Le contexte peut évoluer rapidement ;

sociale par le nombre de participants au secours et leurs diversités. On peut rapidement passer du statut de l'explorateur solidaire volontaire acteur vers celui de «victime» ou de «patient» dépendant des autres. Les relations humaines et la perception du milieu évoluent de l'intimité vers le barnum : changement de repère, de l'angoisse à la réassurance.

L'équipe soignante doit donc participer à trouver un équilibre entre le milieux austère, l'angoisse et les hommes, entre ça, cela et ceux-là.

Singularité du soin

Cet équilibre constitue le soin. Il est singulier car il est la résultante des objectifs de soins, des contraintes et des ressources techniques mobilisables pour la progression du patient dans ce milieu.

Exemple

Prenons l'exemple d'une équipe de trois spéléologues. L'un d'eux a fait une chute de douze mètres et souffre d'un traumatisme crânien grave : il est inconscient. Un autre est remonté donner l'alerte, le troisième est resté aux côtés de son compagnon blessé pour le tenir au chaud. Le lieu de l'accident se situe à quatre heures de l'entrée de la grotte. Mais certaines sorties de puits sont étroites et l'une d'entre elles est arrosée lorsqu'il pleut, interdisant toute progression.

Ces éléments orientent et mobilisent les secours vers une médicalisation lourde nécessitant un diagnostic précis effectué par un binôme médecin-infirmier : clinique, autant que possible para-clinique (échographie, électrocardiogramme, température, intubation, oxygène, etc.). Les moyens matériels étant limités, les moyens supplémentaires mettront au moins cinq heures à arriver !

Cela induit une présence logistique importante en surface (O2, réserve de traitements, anticipation d'une équipe pour gérer le patient à la sortie, éventuellement une relève...).

Anticipation et réactivité

Pour les spéléologues, il faut anticiper la météo, interdire les éclairages avec flamme acétylène (présence d'O2), mobiliser des artificiers (mise au gabarit des sorties de puits pour la civière), penser les ateliers de franchissement d'obstacles pour une position horizontale du patient, prévoir les moyens de transmission, les moyens matériels et humains nécessaires... Dans ces circonstances, les objectifs de soins sont élaborés en tenant compte de tous ces éléments : ils pourront évoluer plusieurs fois en fonction du contexte qui peut être changeant.

Les protocoles sont-ils adaptés à ce type de prise en charge ?

Les procédures hospitalières ou pré-hospitalières difficiles sont-elles applicables ?

Les protocoles seront considérés plus comme des repères, des recommandations de bonnes pratiques favorisant la création du meilleur soin possible pour un patient donné dans des circonstances et un environnement particuliers.

En somme, nous travaillons sur les fondamentaux du soin.

LE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES INFIRMIÈRES

Selon le nouveau programme de formation des infirmiers, les compétences qui sont développées lors de ces activités de soins sont les suivantes :

1- évaluer une situation clinique et établir un diagnostic dans le domaine infirmier ;

2- concevoir et conduire un projet de soins infirmiers ;

4- mettre en oeuvre et conduire des actions à visée diagnostique et thérapeutique ;

6- communiquer et conduire une relation dans un contexte de soins ;

7- analyser la qualité des soins et améliorer sa pratique professionnelle ;

9- organiser et coordonner les interventions soignantes.

Formation infirmier «grottologue»

Depuis 2001, au CHU de Grenoble, des infirmiers volontaires et sportifs, issus de différents services, participent aux secours spéléologiques et aux stages rassemblant les différents acteurs mobilisés lorsqu'un accident se produit.

Certains membres de cette équipe d'infirmiers grottologues (c'est le nom de cette spécialité) sont également enseignants au Cesu 38 (Centre d'enseignement des soins d'urgence : deux IDE grottologues et un cadre de santé titulaire d'un diplôme interuniversitaire - DIU - de pédagogie appliqué aux soins d'urgence).

L'expérience, les compétences soignantes et pédagogiques acquises permettent de développer en formation cette démarche du soin singulier transposable à tous les autres domaines d'activités.

DES FORMATIONS EN DIRECTION DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ ET DES ÉTUDIANTS

Formation pour des professionnels de santé infirmiers et médecins

Elle participe à développer des compétences transférables à leur activité quotidienne.

En partenariat avec le Cesu 38 et le Spéléo Secours Isère, elle est inscrite au plan de formation 2010 du CHU de Grenoble et est ouverte aux personnels extérieurs (prise en charge à demander aux services de formation continue). Cette formation se déroule en deux temps :

une semaine de 35 heures au Cesu pour adapter les pratiques aux contraintes du milieu et du matériel utilisé, à partir de situations de soins sur simulateur et de travaux pratiques (encadrement par des médecins et des infirmiers ayant un vécu de secours réels et membre du secours spéléologique) ;

une semaine «sous» le terrain, lors du rassemblement annuel «corps constitués» pour éprouver et valider les apprentissages, participer à un exercice de secours avec tous les acteurs, acquérir une autonomie de progression sur corde.

Formation pour des étudiants en soins infirmiers

Elle s'intègre dans des unités d'enseignement du nouveau programme de formation. L'objectif est de faire vivre, dans le cadre d'un exercice encadré par le secours spéléologique et des infirmiers grottologues, une situation de soin à partir de laquelle les étudiants développent des compétences de création et d'adaptation du soin qu'ils pourront transférer à d'autres lieux d'activités.

Cet exercice fait suite à une matinée de présentation de notre activité en compagnie du conseiller technique en secours spéléologique auprès du préfet. Cette formation a été dispensée depuis deux ans auprès de deux Ifsi. L'évaluation est très positive de la part des étudiants et des équipes pédagogiques.

CONCLUSION

Si peu d'infirmiers se sont retrouvés engagés sous la terre, il existe désormais un réservoir suffisant de personnel qualifié pour parer à toutes les éventualités dans ce domaine du monde souterrain ; ce qui permet une prise en charge des blessés de qualité, alliant la médicalisation à une sécurité optimale dans ce milieu si difficile.