Point sur
Femmes et hommes, mariés ou en concubinage, toutes catégories sociales confondues, les violences conjugales concernent toute les franges de la population. Un couple sur dix en France, 2 millions de femmes : derrière ces chiffres accablants se cache la souffrance, la dépression, le silence. État des lieux d'une prise en charge particulière.
Le rapport Henrion définit ainsi les violences conjugales : « Les violences étudiées ont pour facteur commun un processus évolutif au cours duquel un partenaire exerce, dans le cadre d'une relation privilégiée, une domination qui s'exprime par des agressions physiques, psychiques ou sexuelles. Elles se distinguent des conflits de couple en difficulté. »
→ En France
Un couple sur 10 serait concerné, soit 2 millions de femmes victimes de violences conjugales. 2,5 % des femmes sont victimes de violences conjugales physiques au cours d'une année. À Paris, les violences conjugales représentent 60 % des interventions de nuit des cars de police secours. 44 % des plaintes déposées dans les commissariats de police relèvent de faits de violence conjugale. 25 % des cas d'homicides sont des homicides conjugaux. Le coût annuel des violences conjugales est estimé à 1 094 550 000 euros.
→ À l'étranger
Au Pays-Bas, Canada, Suisse, Finlande (années 1986 à 1997), 21 à 26 % des femmes déclarent avoir subi des violences physiques ou sexuelles dans le couple. En Espagne, une enquête réalisée en 2000 estime à 14,2 % les femmes victimes de violences conjugales.
De 2000 à 2002, d'autres études montrent des chiffres encore plus conséquents : 48 % en Zambie, 44 % en Colombie, 42 % au Pérou, 30 % en Égypte et au Nicaragua, 22 % en République dominicaine, 19 % en Inde et 18 % au Cambodge.
→ L'âge
La moyenne d'âge est de 35 ans mais tous les âges sont concernés (les mineures y compris).
→ Le statut matrimonial
Les victimes ont le plus souvent fait le choix du mariage ou du concubinage, témoin d'un engagement certain et d'une relation a priori durable. Cet engagement affectif, économique, spirituel est à prendre en compte dans la pérennité des violences.
→ Profession de la victime
Toutes les catégories professionnelles sont concernées par les violences conjugales. Mais, si la dépendance économique de la victime vis-à-vis de son agresseur est l'une des composantes du silence, elle n'est plus prédominante dans notre société. Les victimes qui exercent des responsabilités ou qui possèdent des revenus suffisants (cadres, profession libérale...) ne sont pas rares.
On retrouve chez un certain nombre d'auteurs un certain degré d'autoritarisme dans leur profession (policier, médecin, auxiliaire de justice...).
→ Les facteurs aggravants
L'alcool (20 à 45 % des hommes concernés selon les études) et les psychotropes jouent toujours un rôle important dans la survenue des violences conjugales. Ces facteurs servent de catalyseurs mais ils ne sont pas à l'origine des violences.
→ Lieu de l'agression
Le domicile est le lieu de survenue des violences dans 85 % des cas. La victime n'est donc pas en lieu sûr dans son cadre familial. L'agression a lieu à l'abri des regards. Les voisins ne veulent pas intervenir dans les histoire privées et pourtant l'article 223-6 du Code pénal réprime ces faits : « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate (...) soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de 5 ans d'emprisonnement et de 76 225 euros d'amende... »
Les violences commises sur le lieu de travail concernent en général les couples séparés.
La violence s'installe progressivement : violences psychologiques, violences verbales puis violences physiques avec son corollaire possible : la mort.
→ Le cycle de la violence comprend 4 phases :
- la tension, véhiculant chez la femme la crainte, la peur ;
- l'agression (verbale, psychologique, physique, sexuelle) générant de l'humiliation, de la tristesse ;
- le déni des faits, transfert de la responsabilité sur la femme avec pour effet culpabilisation de la victime ;
- la rémission, la «lune de miel» : l'auteur cherche à se faire pardonner (cadeaux...). La victime va minimiser les faits, voire les nier, excuser l'auteur et reprendre espoir.
Et le cycle se répète.
→ Les ruptures avec cet homme violent sont difficiles pour différentes raisons :
- l'agresseur est perçu comme une personne malade. La victime se sent parfois responsable et prend en charge le «malade» ;
- la victime nie l'agression, les faits sont vécus comme des difficultés de couple ;
- la victime reconnaît l'agression mais a perdu l'estime d'elle-même (convaincue de son incapacité à vivre seule), l'empêchant de rompre ;
- la victime se réfère à des principes religieux, culturels, etc. (mariée pour le meilleur et le pire...).
→ Nature des violences
Gifles, coups, avec ou sans arme, sont le lot presque quotidien de ces femmes. Les épisodes de violences sont en effet nombreux : rares sont les femmes qui dénoncent ces violences la première fois.
Les lésions sont classiques : ecchymose, hématome, plaie, brûlure, morsure, strangulation, fracture... avec une atteinte prédominante au visage (négation de l'autre). Les traumatismes dentaires, les fractures des os propres du nez, les hémorragies conjonctivales, l'oeil au beurre noir sont souvent retrouvés.
Les lésions peuvent être minimes ou gravissimes, voire mortelles. Entre 1990 et 1999, à l'Institut médico-légal de Paris, 652 femmes ont été victimes d'homicide, dont 51 % secondaires à des violences conjugales (37 femmes par an). L'auteur de l'homicide est le mari dans 31 % des cas, un autre partenaire dans 20 % cas. En France, 1 femme meurt des suites de violences conjugales tous les 5 jours. Les violences physiques font suite ou accompagnent les violences psychologiques.
Les violences psychologiques sont des actions portant atteinte à l'intégrité psychique de l'autre. Les violences psychiques recouvrent différentes formes :
- insultes, mépris, menace, chantage sur la garde d'enfant ;
- violences économiques ;
- femmes séquestrées...
- violences sur l'animal domestique ou les objets...
50 % des femmes hospitalisées en psychiatrie sont victimes de violences conjugales, 50 % des femmes victimes de violences conjugales présentent des signes de dépression, et 29 % d'entre elles font une tentative de suicide.
Le viol conjugal a été sanctionné par la loi du 23 décembre 1980, mais ce n'est qu'en 1992 que la Cour de Cassation entérinait définitivement l'existence du viol conjugal en indiquant que la présomption de consentement des époux aux actes sexuels accomplis dans l'intimité de la vie conjugale ne vaut que jusqu'à preuve contraire. Les violences sexuelles conjugales ne sont pas rares. En France, 0,9 % des femmes en sont victimes chaque année.
Parmi les femmes non célibataires, la proportion de celles qui déclarent avoir subi un acte de violence sexuelle de la part de leur mari ou partenaire varie de 17 % en Haïti à 10 à 11 % en Colombie et au Nicaragua, et à 4 à 6 % en Zambie, au Pérou, en Égypte, en République dominicaine, en Inde et au Cambodge. Au Québec, une femme sur 7, soit 14 % des femmes, est agressée sexuellement par son conjoint.
Aux États-Unis, les pourcentages sont minorés de 7,7 % à 10 %.
Mais le nombre de dépôts de plaintes reste modeste par rapport à la réalité des viols conjugaux.
→ Physiques : dans 10 % des cas, la violence physique s'exerce contre les enfants.
→ Psychologiques : syndrome post-traumatique, dépression, addiction... avec un risque très important de devenir une victime ou un agresseur à l'âge adulte : la violence parentale est un facteur considérable de risque de la maltraitance.
→ Physiques : les séquelles fonctionnelles sont variables selon la nature des lésions.
→ Psychologiques : à court et à long terme, 1 femme sur 3 fait une tentative de suicide, on observe une consommation accrue de psychotropes de 22 %.
Il y a peu, 60 % des médecins généralistes interrogés affirmaient n'avoir jamais rencontré de femmes victimes de violences conjugales.
24 % des femmes victimes de violences conjugales ont recours en premier lieu aux médecins, avant la police ou les associations. Les premiers concernés sont les généralistes, les urgentistes et les gynéco-obstétriciens.
Aux États-Unis, 22 à 35 % des femmes qui consultent dans les services d'urgence sont maltraitées et 2 % seulement sont identifiées comme telles.
Une étude faite aux urgences médico-chirurgicales de l'Hôtel-Dieu en 2000 est moins alarmiste : sur 116 patients victimes d'agression, 7 % sont victimes de violences conjugales et 1 femme sur 11 porte plainte.
→ Dépister
- Par l'interrogatoire (questionnaire type aux États-Unis et au Canada) : au cours d'une consultation, lors de l'interrogatoire sur les antécédents, insertion systématique de questions relatives à la violence : avez-vous déjà été victime de violence ? Avez-vous déjà été maltraitée à domicile ou dans un autre lieu ?
- Devant des tableaux cliniques évocateurs : lésions traumatiques (incohérence des explications, incompatibilité des lésions et de leur étiologie, lésions multiples d'âges différents, zone inhabituelle des lésions en face postérieure...) ; douleurs abdomino-pelviennes répétées sans explication pathologique ; syndrome anxio-dépressif.
- Devant des attitudes : retard dans les rendez-vous, consultation médicale fréquente en présence du mari...
→ Évaluer la gravité
Si risque immédiat vital ou gravité : inciter la victime à s'éloigner du domicile, l'hospitaliser, l'adresser dans un centre d'hébergement, chez une amie...
Si absence de gravité : traiter les conséquences somatiques.
→ Conseiller, informer, orienter
Conseiller à élaborer un scénario de protection (réaménager les meubles pour éviter d'être coincée, prévoir les moyens de communication pour appeler à l'aide, etc.). Orienter vers un réseau, travailleur social, association, psychologue, avocat.
→ Inciter la victime à déposer plainte
Le Code pénal en vigueur depuis le 1er mars 1994 indique que la qualité de conjoint ou de concubin de la victime constitue une circonstance aggravante des atteintes volontaires à l'intégrité de la personne. La loi du 23 mars 2006 modifie cette disposition en ajoutant la qualité de pacsé, ex-conjoint, ex-concubin et ex-pacsé.
C'est ainsi qu'une interruption de travail temporaire (ITT), même inférieure à 8 jours, permet de qualifier les faits de délit, jugés par le tribunal correctionnel, la peine peut aller jusqu'à 3 ans d'emprisonnement (article 222.13 Code pénal). Si l'ITT est supérieure à 8 jours, la peine peut aller jusqu'à 5 ans d'emprisonnement (article 222.12 Code pénal).
Une victime de violences conjugales peut déposer une plainte dans un commissariat ou une gendarmerie de son choix (ou auprès du Procureur de la République). Elle n'a pas besoin de certificat médical pour déposer sa plainte : elle se rend auprès d'un médecin munie d'une réquisition (unité médico-judiciaire...) afin de faire évaluer son ITT.
Si les violences conjugales concernent essentiellement les femmes, les violences conjugales envers les hommes existent (0,9 % des hommes subissent ces violences chaque année), avec son cortège d'homicides (un homme meurt de violences conjugales tous les 15 jours).
Le sentiment de honte chez l'homme est encore plus présent et rend la parole encore plus difficile.
Les violences conjugales occupent une place importante dans les violences sociétales et de nombreux professionnels y seront de plus en plus confrontés dans leur exercice ; pour identifier ces violences, il faut les chercher.
Toutes les femmes peuvent être concernées, quel que soit leur âge ou leur catégorie socio-professionnelle. Il faut souligner les particularités propres aux victimes de violences conjugales sur le plan médical et légal.