Économie de la santé
HPST → Le deuxième titre de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, a pour ambition d'optimiser l'accès de tous à des soins de qualité, sur l'ensemble du territoire, tout en maintenant un principe fondamental en France : celui de la liberté d'installation des professionnels de santé libéraux.
Pour ce faire, la loi organise l'offre de soins en fonction des niveaux de recours et des besoins de santé, et mise sur la relation contractuelle avec les professionnels de santé pour assurer le premier niveau de recours aux soins, le tout dans le cadre conventionnel du Sros (Schéma régional d'organisation sanitaire), en évitant ainsi d'avoir recours à la contrainte. Mais celle-ci ne sera-t-elle pas utilisée in fine si le contrat s'avère infructueux ? Petite analyse critique du deuxième titre de la loi par l'intermédiaire des trois modes de coordination économique : la contrainte, le contrat, la convention (cf. encadré page suivante).
L'article 36 stipule que l'accès aux soins de premier recours ainsi que la prise en charge continue des malades sont définis dans le respect des exigences de proximité, qui s'apprécie en termes de distance et de temps de parcours, de qualité et de sécurité (on retrouve ici le fameux dilemme équité/efficacité de la planification sanitaire). Les soins de premier recours sont organisés par l'Agence régionale de santé (ARS), dans le cadre du Sros hospitaliers et ambulatoires. Désormais le Sros comprend un volet ambulatoire, mais non «contraignant», pour ne pas être en opposition avec le principe de la liberté d'installation. Il vise à objectiver les besoins de santé locaux, dans un cadre partenarial et partagé avec les professionnels. Dès lors, le Sros, qui n'est ni une contrainte ni un contrat au sens de la théorie économique, s'apparente à une convention que tous les professionnels de santé s'emploieraient à mettre en oeuvre, au nom de l'intérêt général. Mais est-ce véritablement suffisant ?
A priori non, car la loi prévoit d'emblée un certain nombre «d'outils» à la disposition des ARS pour inciter les professionnels à adhérer à cette convention qu'est le Sros. Parmi lesquels des incitations financières dans le cadre de la permanence des soins, des contrats santé solidarité, des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens ambulatoires, des contrats d'engagement de service public. Autrement dit, pour pallier la non-adhésion à la convention, et plutôt que de recourir à la contrainte qui serait contraire à la liberté d'installation, on utilise le contrat et la contractualisation entre l'agence de régulation et les professionnels de santé. À condition bien sûr qu'il y ait accord de volonté des professionnels de santé libéraux pour contractualiser.
C'est la raison pour laquelle la loi définit ce qu'on entend par soins de premier recours et place le médecin généraliste au centre de ce dispositif, avec l'aide du pharmacien d'officine. Le médecin généraliste est le pivot des soins de premier recours : il oriente, prévient, dépiste, diagnostique, traite, suit, éduque ses patients ; les oriente dans le système de santé et de l'autonomie ; coordonne les soins ; veille aux protocoles ; s'assure de la synthèse des informations ; contribue à la prévention et au dépistage ; participe à la mission de service public de permanence des soins. Et enfin il accueille et forme des stagiaires de deuxième et troisième cycles d'études médicales. Il est évident que cette polarisation sur le médecin généraliste vise à mettre en exergue ses qualités et son rôle fondamental, afin de l'inciter plus fortement à s'engager contractuellement avec l'ARS.
Il en est de même pour le pharmacien d'officine qui voit son rôle renforcé dans l'offre de soins de premiers recours.
Enfin, la loi introduit la notion de pôles de santé, constitués entre professionnels de santé et, le cas échéant, des maisons de santé, des centres de santé, des réseaux, des établissements... Là encore, incitation positive pour favoriser l'engagement contractuel des professionnels et adhérer ainsi à la convention qu'est le Sros, dans son volet ambulatoire.
La loi indique qu'il revient à l'ARS de déterminer dans le Sros les zones dans lesquelles le niveau de l'offre de soins médicaux est particulièrement élevé. À l'issue d'un délai de trois ans après publication du Sros, le directeur général de l'ARS évalue la satisfaction des besoins en implantations pour l'exercice des soins de premiers recours, autrement les implantations en médecins généralistes. Si cette évaluation fait apparaître que les besoins en implantations de médecins généralistes pour satisfaire les besoins de premiers recours ne sont pas satisfaits, le directeur général peut alors proposer aux médecins des zones sur-dotées un contrat santé solidarité par lequel les médecins s'engagent à contribuer à répondre aux besoins dans les zones sous-dotées où les besoins en implantations ne sont pas satisfaits. En cas de refus de contractualiser, ils doivent s'acquitter d'une contribution forfaitaire annuelle au plus égale au plafond mensuel de la Sécurité sociale.
Mais cette mesure est-elle réellement dissuasive ? Le médecin a-t-il réellement intérêt à contractualiser alors même que la sanction financière n'est pas discriminante ? Tout en sachant que le versement d'une contribution financière ne résoudra en rien le problème des zones sous-dotées en médecins. Une seule solution dès lors, mais qui n'est pas évoquée par la loi : la contrainte, mais elle est contraire à la liberté d'installation. Un nouveau dilemme voit donc le jour en planification sanitaire : besoins de santé/ liberté d'installation des professionnels de santé. On voit là toutes les limites du contrat, qui suppose, pour être efficace, un accord de volonté de chacune des parties. Sauf à croire dans le mimétisme rationnel des professionnels de santé, chacun s'engageant à signer un contrat santé solidarité en voyant son confrère le faire. Mais encore faut-il qu'il y ait un début à la contractualisation, qui ne commencera pas avant quatre ans.
Autre outil incitatif à la disposition de l'ARS : le contrat d'engagement de service public. Chaque année, un nombre d'étudiants (déterminé par le ministre de la Santé) admis en deuxième année du premier cycle peuvent se voir «offrir» la signature d'un contrat d'engagement de service public avec le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière. Ce contrat ouvre droit au versement d'une allocation mensuelle supplémentaire jusqu'à la fin des études médicales. En contrepartie, l'étudiant s'engage à exercer leurs fonctions à titre libéral ou salarié à la fin de sa formation dans les zones sous-dotées pendant une durée égale à celle pendant laquelle l'allocation a été versée (tout en ne pouvant pas être inférieure à deux ans) et à pratiquer les tarifs conventionnels de l'Assurance maladie. Il en est de même pour le choix des postes d'internes. À défaut de cet engagement, les étudiants doivent rembourser une indemnité qui équivaut les sommes perçues au titre du contrat et une partie des frais d'études engagées. Là encore, nous sommes en présence d'incitations positives et tout dépendra du montant de l'allocation qui sera versée. On ne peut que s'étonner que ce contrat ne soit pas signé directement avec l'ARS, mieux à même de déterminer les besoins.
La loi est ambitieuse en matière d'accès aux soins. La garantie de celui-ci repose sur l'adoption par les professionnels de santé libéraux d'une convention, le Sros, qu'ils mettent en oeuvre à travers la contractualisation. Mais la contrainte, sans devoir aller à remettre en cause le principe de liberté d'installation, n'est-elle pas trop absente pour que les contrats voient véritablement le jour ? Dès lors, ne pourrait-on pas considérer que l'exercice des soins dans des zones sous-dotées en professionnels est un élément de qualité d'exercice du professionnel ? Et dès lors réconcilier proximité et qualité des soins.
Trois dispositifs sont à l'origine de la coordination d'un système économique : la contrainte, qui exclut tout accord de volonté, le contrat, vu comme le produit d'un tel accord, et la convention, envisagée comme un objet sur lequel il est possible de s'accorder.
→ La contrainte ou règle hétéronome dicte aux agents leur conduite, indépendamment de leur volonté. Elle leur dénie, pour une action considérée, la faculté de se déterminer à agir d'une façon ou d'une autre ; elle exclut tout acte de volonté, elle ne résulte pas d'un accord entre les acteurs. Elle est au contraire édictée unilatéralement, imposée de l'extérieur et caractérisée par l'exogénéité des obligations qu'elle crée. Les acteurs ne décident pas du contenu de la règle contraignante et doivent impérativement s'y conformer. L'intentionnalité des agents est nulle tant dans la création que dans le respect de la règle.
→ Le contrat constitue un arrangement interindividuel organisant des interactions entre deux agents. Ces interactions font l'objet d'une libre négociation entre les parties et se réalisent sur la base d'un accord adopté par consentement partagé. Le contrat se définit comme le fruit d'un accord de volontés. En outre, les relations prévues par le dispositif contractuel supposent l'existence d'engagements réciproques : les agents s'engagent les uns envers les autres à céder ou à s'approprier, à faire ou ne pas faire quelque chose. Le contrat est source d'obligations. Or celles-ci présentent un caractère endogène. Elles sont ce que les agents choisissent de s'imposer par entente mutuelle. En conséquence, les clauses du contrat ne s'appliquent qu'à ceux qui les ont intentionnellement élaborées. Les acteurs déterminent de leur propre chef le contenu de la règle contractuelle et s'engagent librement à la respecter. Leur intentionnalité est infinie pour la création, comme pour le respect de la règle.
→ La convention a en commun avec la contrainte d'être extérieure aux acteurs, mais elle ne se réduit pas à un dispositif contraignant. Elle est librement acceptée par les agents et se rapproche alors d'un dispositif contractuel. La convention n'est pourtant pas assimilable à un contrat pour deux raisons : d'une part, la convention ne suppose pas d'intention subjective et ne découle d'aucune négociation : elle n'est pas le produit direct d'un accord de volontés mais un objet, construit socialement, sur lequel il est possible de s'accorder ; d'autre part, la convention présente une régularité reconnue à un niveau collectif. Elle donne la solution d'un problème répétitif et ne constitue pas, à l'image du contrat, une solution correspondant à une situation particulière. Le dispositif conventionnel, à la différence des précédents, ne contient pas d'obligation. Chacun est libre d'adhérer ou non à la convention et peut, à tout moment, décider ne plus s'y conformer. Le contenu de la règle conventionnelle échappe à la volonté des acteurs qui ont la possibilité de l'adopter ou non. Le degré d'intentionnalité est intermédiaire entre les degrés d'intentionnalité nul de la contrainte et infini du contrat.
Loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, Journal officiel de la République française n°0167 du 22 juillet 2009.