Droit
INÉDIT → Grâce à Johnny, la responsabilité médicale vient d'entrer dans l'histoire du rock'n roll. Un événement à ne pas rater. L'analyse est d'autant plus intéressante que Johnny a recours à la procédure la plus utilisée par les patients qui s'estiment, comme lui, victimes de la mauvaise qualité des soins.
Secret et procédure. Un procès n'est pas un absolu et rarement une histoire de principes. Tout repose sur une série de faits qu'il faut analyser avec précision. C'est dire qu'il faut être prudent, car on sait très peu de choses, ce qui est logique dans une procédure protégée par le secret médical et l'intimité de la vie privée.
Le secret n'est pas opposable au patient lui-même et Johnny a toute latitude s'il voulait donner des détails sur les soins prodigués ou l'évolution de son état de santé. Or - et c'est un choix heureux - il n'a donné que le minimum d'informations et nous en resterons là. Mais il se trouve que les informations données par Johnny sont pour l'essentiel confirmées par le médecin qu'il met en cause, le docteur Stéphane Delajoux, ce qui donne une base sérieuse.
→ Une précision encore. Le docteur Delajoux, rudement mis en cause dans la presse, a annoncé qu'il engagerait un procès en responsabilité. Dans le cadre de ce procès et pour ce qui est nécessaire à la défense de ses droits, le médecin disposera de la possibilité de révéler des faits. L'intervention ayant été qualifiée de « massacre », le docteur Delajoux pourra sans difficulté se défendre sur la qualité des soins dans le cadre de la procédure en diffamation, qui, elle, est publique. Ce qui signifie que tout le monde aurait gagné à ce que l'impresario se taise.
→ Faits. Le 26 novembre 2009, Johnny a été opéré d'une hernie discale à la clinique du Parc Monceau dans le XVIIe arrondissement, par le docteur Stéphane Delajoux. Le 7 décembre 2009, Johnny, séjournant à Los Angeles, doit être hospitalisé en état grave au Cedars-Sinai Hospital.
Ce déplacement en avion était-il prématuré ? A-t-il causé ou aggravé la situation ? C'est l'une des questions discutées mais le docteur Stéphane Delajoux s'est expliqué au Journal Le Quotidien du médecin : « Aucune anomalie n'a été décelée à aucun moment, pendant et après l'acte opératoire. À l'issue de l'opération du 26 novembre, tous les scanners, comme les constantes biologiques, étaient normaux. Rien ne s'opposait donc à une sortie de la clinique à J+1. Johnny était impatient de regagner son domicile. Quant au départ pour Los Angeles à J+5, il ne présentait aucune contre-indication médicale : absence de fièvre et cicatrice propre. »
Une chose est certaine, c'est que tout n'était pas si simple... Lorsqu'il a été admis à l'hôpital de Los Angeles, Johnny était dans un état de santé très dégradé qui a justifié des soins intensifs puis une surveillance médicale pendant un mois. Ajoutons que la prise en charge à Los Angeles ne fait l'objet d'aucune critique, ce qui conduit à poser toutes les interrogations sur l'intervention du 26 novembre, sa préparation et ses suites immédiates.
Faute ou pas faute ? Johnny, et les médecins qui l'assistent, ont sans doute quelques pistes sur ce qui a pu conduire à l'aggravation brutale de son état de santé. Mais attention ! À ce stade d'une procédure, le patient ne sait pas tout, car est nécessaire l'examen attentif du dossier, avec la prise de connaissance de tous les examens, et de la surveillance.
Ce n'est pas parce que l'état s'aggrave et qu'il y a eu une intervention médicale que cette intervention est nécessairement en cause... La dégradation, même spectaculaire, peut n'être que l'évolution inéluctable de l'état de santé. Un acte a priori banal peut conduire à une décompensation et entraîner un processus redoutable. Quelle part est liée à l'état antérieur ? À la maladie ? À l'acte du médecin ? Cet acte est-il fautif ? Dans de telles circonstances, le patient et sa famille cherchent à obtenir des avis médicaux et juridiques pour tenter de déterminer s'il est opportun de saisir la justice, et quelle procédure doit être choisie.
→ Une action possible. « Johnny a porté plainte contre son chirurgien » : à nouveau, cette confusion entre le civil et le pénal. L'avocat de Johnny a clairement indiqué que la procédure pénale n'était pas envisagée. Pourtant, il y avait juridiquement matière. Alors, pourquoi ce choix ?
L'infraction qui pourrait permettre d'agir au pénal est celle des blessures involontaires. Pour déposer une plainte, il n'y a pas besoin de faire avec certitude la démonstration, mais seulement d'évoquer des faits de nature à justifier une enquête pénale. En l'occurrence, la dégradation de l'état de santé est un dommage corporel dont on peut penser qu'il est lié à une faute médicale. Aussi, juridiquement, la plainte pénale était recevable. Mais déposer plainte au pénal, qui peut apparaître le plus simple, est en réalité une solution complexe, longue et incertaine.
→ Trop d'inconvénients. Si Johnny porte plainte au pénal, c'est la police qui fera l'enquête. Un juge d'instruction sera sans doute saisi, ce qui n'est pas obligatoire, et une expertise sera ordonnée. Le médecin mis en cause est seulement témoin et n'a accès ni au dossier, ni à l'expert. Une éventuelle mise en examen ne peut venir qu'après le rapport d'expertise. En pratique, si ce rapport met en cause le médecin, le juge d'instruction prononce la mise en examen et notifie le rapport. Le médecin va alors naturellement former des contestations sur le rapport d'expertise car il n'a pas été entendu. On se retrouve très vite avec une contre-expertise, d'où le risque de contradictions, qui permet de miner la procédure pénale. En effet, au pénal, le doute bénéficie à l'accusé.
Avant la loi du 5 mars 2007, la victime pouvait directement se constituer partie civile et devenir partie au procès pénal. Désormais, la seule solution est une plainte simple auprès du procureur de la République. Ainsi la victime se trouve-t-elle écartée de l'enquête pénale. Elle doit attendre six mois et une décision négative du procureur pour pouvoir saisir un juge d'instruction et se constituer partie civile. Pour quiconque entend être actif dans la procédure, ce n'est pas la solution à conseiller.
De plus, le pénal convient lorsqu'il s'agit de déterminer des culpabilités individuelles, par exemple pour un acte chirurgical malheureux. Mais, dans le dossier de Johnny, apparaît l'idée d'une infection nosocomiale. Les cas sont rares où l'on peut parvenir à imputer personnellement une infection nosocomiale. A priori, le juge pénal dirait qu'il y a eu infection nosocomiale, mais ne pourrait en identifier l'auteur, et l'affaire se terminerait par un non-lieu.
Enfin, chacun a compris qu'au-delà de la connaissance des faits se posait un problème aigu d'indemnisation, et il ne peut y avoir d'indemnisation tant que la condamnation pénale n'est pas définitive. Aussi, le pénal aurait été la pire des solutions.
→ Expertise contradictoire. Agissant au civil, Johnny engage lui-même la procédure contre le médecin et la clinique, qui vont faire gérer ce dossier par leurs assureurs. Il ne demande pas la condamnation du médecin, mais seulement l'organisation d'une expertise médicale, à ses frais. Il agit dans le cadre d'une procédure de référé, qui permet d'obtenir des audiences rapides car justement le juge n'a pas à se prononcer sur le fond du dossier. Au civil, la victime valide les actes rédigés par l'avocat qui vont saisir le tribunal. Avant l'audience, la partie adverse doit déposer des conclusions, ce qui permet de connaître son argumentation et d'y répondre. La famille demandera, sur le fondement des articles L.1111-7 et R.1111-1 du Code de la Santé publique, l'entier dossier médical, qui sera versé aux débats. La réunion d'expertise sera contradictoire, c'est-à-dire que l'expert devra convoquer toutes les parties visées dans l'ordonnance de référé. L'expertise judiciaire combine le travail scientifique de l'expert et le contradictoire, permettant à chacun de s'exprimer et sur tous les aspects du dossier. Avant de conclure, l'expert doit adresser un pré-rapport. Chaque partie peut alors l'étudier avec son avocat et son médecin conseil et former des observations à l'expert, qui doit y répondre. On voit donc tout l'intérêt de ce processus qui permet de participer activement à la recherche des faits.
Après le dépôt du rapport d'expertise, le patient se retrouve avec toutes les cartes en mains. Si le rapport n'est pas favorable, il peut décider de ne pas donner suite et l'affaire en reste là : le financement des frais d'expertise est nécessairement mis à sa charge car c'est lui qui demande cette expertise. En revanche, si le rapport laisse apparaître des pistes qui permettent d'envisager précisément le recours en justice, il peut alors agir et deux voies s'ouvrent à lui.
→ Négociation. La première est celle de la négociation. Le recours est géré directement par les assureurs qui eux-mêmes travaillent avec des médecins conseils. Aussi, ils sont en mesure d'apprécier, au vu du rapport d'expertise, si la condamnation paraît inéluctable, et alors il est sans doute préférable d'ouvrir la discussion sur l'indemnisation. Le médecin dans cette phase se trouve chuinté. Lui-même peut avoir le souhait, à titre personnel, de contester les conclusions du rapport d'expertise. Mais il ne peut exercer en France que s'il a souscrit un contrat de responsabilité civile et, de ce fait, sa responsabilité est externalisée. Elle ne le concerne plus si ce n'est sur le plan moral. C'est l'assureur qui prend les décisions, et il le fait, fort logiquement, au vu de la défense de ses seuls intérêts.
→ Procès en responsabilité. Si les assureurs estiment que leur condamnation n'est pas inévitable, ils refusent la transaction et font valoir leurs arguments devant le tribunal. Pour Johnny, il s'agit alors qu'un procès en responsabilité civile devant le Tribunal de grande instance de Paris qui répondra aux règles du débat contradictoire : dépôt des actes et des pièces, réplique, clôture du dossier et plaidoirie, avec une possibilité d'appel devant la Cour d'appel de Paris.
→ Précipitation. Ce qui est plus inhabituel, c'est la rapidité avec laquelle le recours est engagé. Opération le 26 novembre, apparition des troubles le 7 décembre, référé plaidé le 21 décembre. L'expertise prendra quelques mois, ce qui permettra de mieux comprendre le dossier, surtout à partir de l'évolution de l'état de santé et, s'il ya procès, cela se jouera sur plusieurs années. La précipitation ne concorde pas avec l'action en justice.
→ Le fait générateur. Quelle est la cause du dommage ? Johnny met en avant deux faits : l'acte du chirurgien et la survenance de l'infection. Si le chirurgien et la clinique ont le même assureur, le procès restera simple, car c'est la même caisse qui est susceptible de payer. Mais a priori on trouvera deux assureurs - celui du chirurgien et celui de la clinique - ce qui ouvre vers un débat plus complexe. L'assureur du médecin doit répondre d'une faute éventuelle dans l'acte opératoire, mais il contestera l'infection nosocomiale qui concerne plutôt l'organisation de l'établissement de santé. L'assureur de l'établissement de santé répliquera que l'infection résulte de la pratique médicale, et non pas de l'environnement technique. De leur côté, les assureurs ont déjà annoncé qu'ils ouvraient le débat sur les antériorités, c'est-à-dire la fragilité de l'état de santé, laissant entendre que le dommage ne serait pas lié aux soins mais à la décompensation d'un état antérieur fragile. Enfin, le fait qu'il y ait eu infection ne veut pas dire nécessairement que cette infection soit nosocomiale, car d'autres éléments ont pu intervenir entre le 28 novembre et le 7 décembre. L'avis du médecin infectiologue sera déterminant pour apprécier la cause de cette infection.
→ Le dommage. S'agissant du dommage, le débat est là aussi loin d'être évident. L'aggravation de l'état de santé a conduit à une hospitalisation en soins intensifs de quelques jours, mais la récupération a été bonne. Bien heureusement, on n'annonce pas d'incapacité résiduelle liée aux soins. Aussi le dommage corporel risque d'être limité à cette hospitalisation de quelques semaines, ce qui n'est pas rien, mais reste un préjudice très modéré. L'impact est essentiellement professionnel, car lié à l'annulation de la tournée, et apparaît un nouveau jeu d'assurances. L'assureur qui prenait en charge la tournée doit débourser des sommes importantes car les concerts ont dû être annulés. Si la cause est l'indisponibilité de la star, l'affaire en reste là. En revanche, si l'indisponibilité est la conséquence d'une intervention médicale malheureuse, il existe alors une possibilité de recours contre l'assureur du chirurgien ou de l'établissement.
Dans les cas graves, la loi a prévu que cette charge repose sur un organisme d'État, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Mais l'Oniam ne peut être concerné, car le dommage corporel est limité. Les conséquences financières sont lourdes mais cela restera du domaine de la bataille entre les assureurs.
Affaire à suivre, donc...