Les compétences : bizarrerie actuelle ou nécessité ? - Objectif Soins & Management n° 183 du 01/02/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 183 du 01/02/2010

 

Ressources humaines

ANALYSE → Ce texte décrit, au sein d'un pôle, le développement d'une mission transversale ainsi que la méthodologie utilisée pour l'analyse des compétences. Intitulé Immuno-transplantation-métabolisme (ITM), ce pôle du CHU Bicêtre est constitué de cinq services avec des spécialités médicales et chirurgicales variées : médecine interne, une unité de consultation de soins ambulatoires (UCSA), ECIMUD, endocrinologie, rhumatologie, urologie, néphrologie.

La logique de construction de ce pôle se retrouve dans le circuit possible des patients entre les différents services, mais aussi avec des points communs initiaux dans la prise en charge soignante comme l'éducation, la maladie chronique, la recherche. Cette mission novatrice au sein d'un pôle a permis à l'auteur la découverte de la construction de la mission transversale, son développement et sa reconnaissance dans un contexte hospitalier en pleine réorganisation et souvent centré sur l'activité et la T2A.

Le trinôme exécutif du pôle a fait le choix d'avoir des cadres supérieurs entièrement détachés des services pour exercer une mission transversale. Ce choix s'est justifié par la spécificité des problèmes rencontrés dans le pôle : départ en retraite d'infirmières anciennes et chevronnées, turn-over important au sein des services qui entraînaient un déficit de compétences. La réflexion sur la transmission d'expertises rares ou essentielles et le remplacement de perte temporaire de compétences permettaient d'assurer une continuité de prestations de soins la moins risquée.

Ce texte reflète le souhait de l'auteur de faire partager cette expérience au moment où les cadres se questionnent sur la mise en pôle et la réorganisation hospitalière.

LA MÉTHODE - LA DÉMARCHE

Dans un premier temps, l'objectif était l'identification, la stabilisation des compétences générales et spécifiques avant d'envisager leur développement. La finalité était la révision des fiches de poste pour les mettre en adéquation avec les fiches métier proposées par le référentiel métier de la fonction publique hospitalière.

n Recenser les compétences

Ce travail s'est appuyé sur le guide méthodologique de l'Agence régionale de l'hospitalisation d'Île-de-France (ARHIF) avec une adaptation liée aux difficultés actuelles des effectifs et au contexte du pôle.

n Intérêt d'une aide conceptuelle

Il est rapidement apparu la nécessité de choisir une référence conceptuelle. La référence bibliographique s'est portée sur l'auteur Guy Le Boterf qui écrit depuis longtemps sur ce thème. Ces grilles d'analyse sont modélisables dans différentes spécialités. Le tableau «équipement en ressources incorporées» proposé par Guy Le Boterf permet de référencer les savoirs associés aux tâches de soins et par conséquent aux compétences. Une base conceptuelle est fondamentale sans perdre de vue un but pratique, visible et compréhensible de tous.

Une définition de la compétence est nécessaire. Celle qui a été retenue combine plusieurs éléments de définition assez répandue : « La compétence est la capacité qu'a un professionnel à combiner ses connaissances, ses savoir-faire et ses aptitudes relationnelles, pour produire des résultats pour un ou plusieurs destinataires donnés. » C'est aussi « une mise en exercice professionnel des capacités d'un individu. C'est un processus par lequel une personne produit régulièrement une performance professionnelle ajustée au contexte. C'est une construction, c'est le résultat d'une combinaison entre plusieurs ressources ».

L'objectif de description des compétences est d'être le plus concret possible : les professionnels doivent se reconnaître dans le référentiel de compétences (cf. tableau page suivante).

Le travail a débuté par le recensement des activités de soins ou des tâches effectuées par les équipes d'infirmières et d'aides-soignantes dans chaque service du pôle. Ces données étaient retranscrites, dans un premier temps, sans modifications de celles-ci.

Un classement par domaine d'activité a été fait. Une numérotation, sans valeur hiérarchique, des domaines de soins a été proposée pour plus de visibilité. Un chiffre fréquemment répété peut dégager une compétence particulière du service ou une situation spécifique.

Le classement des compétences est effectué avec les différents types de connaissances mobilisés en lien avec les actes de soins. Le regroupement des actes permet de dégager des situations de soins significatives (cf. tableau ci-dessous).

nRaisonnement suivi

Une formulation de compétences est élaborée selon le modèle proposé par l'ARHIF. Chaque catégorie a été déclinée en plusieurs situations de travail majeures. Les actes de soins sont inscrits en regard des situations de soins. Cette première étape élabore un classement de compétences avec des situations de soins a priori généralistes. Chaque acte est répertorié en regard des savoirs mobilisés. Il apparaît intéressant pour faciliter la compréhension des équipes de positionner les actes de soins en regard des compétences. C'est pour cette raison que la grille de travail a été allégée : le recensement des compétences générales avec les situations de travail et en regard les tâches correspondantes. Les spécificités de soins et de compétences n'apparaissent pas immédiatement.

n Recherche des compétences spécifiques

Il faut approfondir les savoir-faire requis par l'observation de situations de travail, affiner les descriptifs et cerner les situations spécifiques. Le raisonnement suivi s'oriente alors sur deux axes. Les situations de travail renvoient à des compétences générales et aux propres connaissances antérieures de l'auteur ou des connaissances générales acquises lors d'une qualification (DE, DPAS), il n'y a pas nécessité à décrire des situations de travail. Elles renvoient à des prérequis et des capacités générales acquises pendant la période de formation initiale. Elles sont à transformer en compétences lors de situations professionnelles. En revanche, si elles mettent en oeuvre des savoirs, des soins des connaissances spécifiques, il y a nécessité à réaliser des observations supplémentaires pour décrire précisément ces situations.

n Résultats des observations

Les observations menées à l'aide d'une grille dans chaque service permettent de valider les compétences listées, de regarder les soins spécifiques, de détailler les actes pour obtenir les étapes essentielles d'une activité s'inscrivant dans une compétence. Elles permettent aussi de regarder le rythme de travail de l'unité, de repérer les savoirs spécifiques associés et enfin de dégager un profil d'une infirmière ou aide-soignante en cohérence avec le poste de travail (technique, organisation rapide souhaitée, aspect relationnel très développé) (cf. tableau sur la page ci-contre).

n Résultats et accompagnement des équipes

L'analyse a été menée dans tous les services du pôle. La visibilité de ce travail a été présentée à tous les acteurs du pôle. Chaque service reçoit une fiche de poste révisée infirmière et aide-soignant. La méthode de recensement est valide dans les différents secteurs puisque toutes les activités objectivent une formulation de compétences.

n Présentation finale du recensement et des fiches de poste

Les cadres des services ont collaboré au classement et à la formalisation des compétences de leur unité. Une explication de la méthodologie a été faite lors des rencontres (construction de la grille avec répartition des actes et classement des compétences). Elle a permis de faire décrire certaines pratiques, de repérer la validité des actes et des compétences, des axes de situations de soins, des spécificités. Les autres rencontres ont servi à valider les compétences listées, à débuter l'écriture des fiches de poste. Les cadres sont les transmetteurs de ce travail auprès des équipes.

Les rencontres avec les équipes soignantes sont menées selon l'avancée des travaux. Elles permettent de présenter la formulation des compétences pour obtenir des compléments et une validation. La présentation de la grille simplifiée est faite. Les soignants retrouvent leurs activités et perçoivent rapidement les possibilités d'élaboration de fiches de poste et d'évaluation des stagiaires ou de nouveaux arrivants à partir de ce document. Il est fondamental que la formulation soit compréhensible. Les équipes peuvent fixer les niveaux de maîtrise pour chaque situation de travail selon le degré d'expertise ou l'expérience pour le poste. L'association des acteurs soignants est fondamentale dans cette recherche : une démarche participative s'impose.

L'impulsion médicale est une aide importante. Une rencontre avec le praticien hospitalier responsable de pôle a permis de présenter l'avancée des travaux, le questionnement qui en découle, avoir un regard médical et une vérification de la cohérence. Les chefs de service ont été rencontrés avec présentation de la mission transversale et le début des résultats d'analyse des compétences de leurs services. La grille d'analyse a été distribuée lors des rencontres avec une validation des axes de compétences repérées et des compléments ont été apportés par leurs soins.

n Recherche des liens entre le recensement des compétences et la fiche de poste

Des concordances ont été établies entre les chapitres et contenus des différents documents. Les intitulés de la fiche de poste peuvent se comprendre ainsi :

les activités principales sont un ensemble de tâches organisées et orientées dans un but précis mobilisant des compétences. Les compétences renvoient à des connaissances générales, un savoir opérationnel, des connaissances techniques ;

les connaissances associées sont les savoirs requis par formation et/ou expérience, les ressources incorporées.

Les savoir-faire requis sont l'aspect pratique utilisable dans les situations de soins. Il regroupe les trois types de savoirs et couvre les différentes dimensions du soin.

On peut en déduire que la compétence est l'addition des activités et des savoir-faire requis en référence à l'auteur choisi (Le Boterf). L'exercice des actes dans un domaine d'activité permet de développer des compétences générales.

Les différents éléments du recensement ont été mis en lien avec les items de la fiche métier. La liste des tâches de soins et domaines d'activité s'insère dans les activités principales. Les compétences et situations de soins permettent de spécifier le paragraphe intitulé compétences et savoir-faire requis. Les savoirs associés sont transférables dans le tableau des connaissances associées. Les comportementaux repérés peuvent alimenter le chapitre des qualités requises. Cette étape, inutile pour la fiche métier qui est invariable, a permis de vérifier la cohérence des différents éléments et de tester l'insertion de ceux-ci dans la fiche métier. Le transfert entre les fiches métier et les fiches de poste a ensuite été réalisé puisque les mêmes chapitres existent. Finalement, seules les fiches de poste font apparaître les spécificités du poste, du service et les compétences.

La difficulté d'écriture réside dans le fait qu'une compétence ne s'inscrit jamais littéralement puisqu'elle est l'application pratique des trois éléments en situation professionnelle. Par conséquent, elle n'est évaluable qu'en situation professionnelle. La formalisation d'une compétence regroupe donc plusieurs éléments : les activités de soins, les qualités ou comportementaux, les savoirs associés. C'est une difficulté d'analyse et de rédaction des compétences. C'est pourquoi des transferts successifs ont été réalisés pour vérifier la cohérence.

LES QUESTIONNEMENTS

Durant ce travail, les questionnements se situent à plusieurs niveaux : la méthode, les difficultés rencontrées, l'évolution du travail.

n Définir l'organisation et le choix de la méthode

En premier lieu, le choix de la méthode est difficile. La référence conceptuelle est nécessaire tout en gardant un aspect pratique. Le dilemme entre la théorie et la pratique est à résoudre. Sans base théorique, le travail manque de fondements, d'argumentations.

Nous l'avons vu, le classement avec les différents savoirs permet de cibler les savoirs nécessaires pour le développement des compétences. Il n'a pas été utile pour la formulation des compétences ; en revanche, son intérêt réside dans la définition des niveaux de compétences et leur hiérarchisation pour évaluer le niveau de compétences individuelles et collectives.

Il faut délimiter les termes de la mission qui circonscrit la recherche effectuée et évite toute dispersion dans ce travail. De façon plus pratique, la rédaction du document final doit être lisible et compréhensible de tous. Les rencontres avec les équipes ont acté la présentation et la fonctionnalité du document final.

Ce travail s'insère dans une réflexion globale qui inclut le recensement des compétences, la révision des fiches de poste et l'élaboration de grilles d'évaluation des compétences. Les éléments mis en exergue doivent être transférés d'un document à l'autre afin de garder une cohérence de réflexion et d'éviter de répéter un travail différent pour chaque document travaillé.

nLe passage

Des périodes de doute - Garder les liens et de la cohérence pour l'utilité de ce travail.

La tentative de mettre en lien des outils différents n'a pas été sans difficultés avec des périodes de doute sur le transfert possible et utilisable des différents éléments. Il ne s'agit pas de refaire le même travail pour réviser les fiches de poste. C'est l'enjeu de la cohérence du travail mené. Les cadres ont perçu un intérêt pratique lors des évaluations annuelles : elles ont utilisé, de façon informelle, ce recensement de compétences pour pouvoir lister les actes réalisés ou non acquis en regard de situations de travail. Elles jugent ainsi la progression d'apprentissage de nouveaux arrivants. Cette utilisation prouve qu'il faut continuer avec l'élaboration d'une grille d'évaluation.

n Repérer les enjeux

Reconnaissance des compétences pour et par les équipes.

Ce travail reconnaît et valorise les compétences identifiées, écrites et les équipes ont bien compris la reconnaissance des compétences spécifiques au travers de ce travail. Nous pouvons distinguer «être compétent» et «avoir des compétences». Tout le monde a des compétences, c'est-à-dire des ressources (connaissances, savoir-faire...), mais ce n'est pas suffisant. Agir avec compétence signifie que l'on mobilise ses ressources dans une action. Le tableau présenté aux équipes traduit ces aspects.

n Limites de la mobilité et parcours professionnalisant

Ce travail a montré les limites en matière de mobilité. Un rapprochement des compétences entre services a été étudié. Des spécialités proches, car traitant le même domaine anatomique, avaient des compétences très spécifiques et en grand nombre. Le transfert est délicat et risqué pour la prise en charge des patients si nous pensons qu'il peut s'effectuer sur de courtes périodes.

Cette réflexion peut être le point de départ d'une progression accompagnée d'un développement de compétences. On peut envisager que le recensement des compétences générales et spécifiques permet un remplacement au sein même des services avec une augmentation des compétences développées. Cette option permet de répondre aux demandes de soins et de maintenir la qualité des soins. On peut même envisager une validation des acquis qui existerait tout au long du parcours professionnel. Un raisonnement par professionnalisation et pas seulement par formation avec une progression personnalisée doit être envisagé. L'intégration des compétences sur un «passeport» avec un transfert possible de celles-ci d'un service à un autre devrait permettre un suivi des compétences développées et validées au fil des années. Enfin, il reste un enjeu pour le recrutement et le suivi des compétences avec le développement des liens entre le recrutement, la période d'intégration, les compétences.

CONCLUSION

nÉlaborer une grille d'évaluation

Ce travail a permis la clarification et la formalisation des compétences au sein d'un pôle. Il est la preuve de la variété existante. La suite de ce travail est l'élaboration d'une grille d'évaluation avec des niveaux d'exigence pour définir la durée de développement des compétences. Nous aborderons les minima requis demandés par service et les niveaux de progression possibles. C'est lors de cette étape que la traduction des savoirs prendra toute son utilité. Un barème identique pour le pôle sera construit mais adapté à chaque service. L'élargissement de la méthodologie à d'autres pôles semble possible mais reste à valider.

nContinuer à faire les liens

Ce travail peut s'intégrer dans le processus d'une prise de poste (recrutement, période d'intégration analyse des compétences et évaluation) ; également pour réfléchir à la période d'intégration dans son contenu et son délai selon les compétences antérieures développées et le transfert possible sur un nouveau poste.

Cette présentation illustre un exemple de recensement de compétences dans le cadre d'une mission transversale dédiée. Un cadre supérieur issu d'un service clinique, placé en mission transversale, peut «se reconvertir» même s'il persiste des moments de doute. Cette mission au sein d'un pôle doit encore être clarifiée, notamment pour les liens avec les différentes directions, le partage et la mutualisation de documents et les différents groupes de travail qui peuvent exister au sein d'un hôpital. Cette expérience permet de développer des acquis sur son propre transfert de compétences dans la création d'une mission transversale, la gestion de la transversalité et le développement d'une expertise thématique.

BIBLIOGRAPHIE

ARTICLES. - Chagué V. Comment améliorer la coopération au sein de l'équipe soignante ?, Soins cadres de santé, mars 2008, pages S8 à S12. - Sliwka C. Polyvalence : du transfert de compétences professionnelles. Objectif soins, n°110, novembre 2002, page 12 à 15. OUVRAGES. - ARHIF, Guide méthodologique démarche Métiers. Compétences 2012, Référentiel métier de la fonction publique hospitalière. - Benner P. De novice à expert, Interédition, 1995, 255 pages. - Le Boterf G. L'ingénierie des compétences. Éditions d'Organisation, mars 1998, 415 pages. - Le Boterf G. Compétence et navigation professionnelle. Éditions d'Organisation, 2000, 307 pages. - Zarifian P. Objectif compétence. Éditions Liaisons, avril 1999, 232 pages.