Une pionnière pour la formation des cadres - Objectif Soins & Management n° 183 du 01/02/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 183 du 01/02/2010

 

JOCELYNE PERUCCA

Parcours

Formatrice à l'IFCS de Bastia en Corse, Jocelyne Perucca a monté en partenariat avec l'université un dispositif original pour permettre à ses étudiants de passer un master 2. Venue à la formation après vingt-cinq ans dans les services hospitaliers, elle défend avec ferveur «l'universitarisation» de la profession.

Lorsque Jocelyne Perucca évoque les différentes étapes de sa carrière professionnelle, que ce soit à l'hôpital ou dans la formation, elle en parle toujours avec enthousiasme. Car chacune des périodes de sa vie professionnelle lui semble être une grande aventure.

Issue d'une filière scientifique, Jocelyne Perucca s'oriente très vite vers les études infirmières : dans son entourage, des soignantes parlent avec passion de leur métier. À la fin des années 1970, lorsqu'elle se lance dans la profession, les surveillantes de l'hôpital de Bastia sont encore des religieuses. Si Jocelyne Perucca se rappelle d'une certaine exigence des soeurs, elle se souvient aussi de l'apprentissage d'une grande rigueur professionnelle, rigueur qui lui est aujourd'hui toujours utile. « L'accent était plutôt mis sur la démarche clinique infirmière, qui reste selon moi l'une des compétences essentielles des infirmières », précise-t-elle. Diplômée en 1979, elle exerce dans un premier temps sa profession infirmière comme intérimaire dans des cliniques niçoises puis revient à l'hôpital Bastia.

La découverte de la pédopsychiatrie

Elle travaille dans différentes unités de l'hôpital puis découvre le service de pédopsychiatrie, un hôpital de jour qui accueille des enfants autistes ou atteints de psychoses infantiles. Elle y restera pendant près de vingt ans. Accueillie et accompagnée par des collègues infirmiers psychiatriques sur le départ, elle est pendant quelques temps la seule infirmière de la structure. « Il a fallu au départ me battre pour que les éducateurs reconnaissent mon rôle de soignante tant ils avaient l'image de l'infirmière piqueuse, reconnaît-elle. Mais j'ai trouvé rapidement ma place au sein de l'équipe : nous avons travaillé tous ensemble pour élaborer les projets thérapeutiques et accompagner au mieux les enfants et leurs parents. »

Jocelyne Perucca se souvient d'une aventure riche et passionnante avec l'équipe de l'hôpital de jour et les psychiatres. La prise en charge des enfants est essentiellement basée sur la psychothérapie, loin des neuroleptiques et autres traitements médicamenteux. « Tout était dans le soin relationnel, il n'y avait pas un seul comprimé à donner », continue-t-elle. Une conception de l'accompagnement basée sur l'écoute de l'autre guide les activités de soins dans le service. Entretiens thérapeutiques, ateliers d'expression, temps familiaux, séjours thérapeutiques sont autant d'espaces de relation rassurants et sécurisants pour les enfants et leurs familles. « Grâce à cette expérience de ma vie professionnelle, j'ai pu constater l'importance du désir, du projet, dans toute situation de soin et d'apprentissage. Il s'agit de donner une place de décideur, de co-auteur au patient », tient-elle à ajouter.

Elle rapproche aujourd'hui cette conception à la formation : importance du projet formé dans tout parcours d'apprentissage, respect de l'individu dans toute démarche de médiation. Jocelyne Perucca aurait pu continuer à travailler en pédopsychiatrie pendant des années avec autant d'intérêt si elle n'avait pas été encouragée par la directrice des soins du centre hospitalier à présenter le concours d'entrée en école des cadres.

Elle est donc admise en 1997 à l'école des cadres de santé de la Croix-Rouge à Nice. Pendant son année de formation, elle passe également une licence en sciences de l'éducation à l'université d'Aix-en-Provence ainsi qu'un DU de gestion hospitalière.

Une cadre de santé pédagogue

De retour à Bastia, elle est cadre pour les services de réanimation et de neurochirurgie. Elle trouve là encore le métier de cadre de santé passionnant. « J'ai beaucoup apprécié la capacité de travail des équipes, la facilité avec laquelle elles s'engagent et collaborent aux projets dès lors qu'on leur donne les moyens de participer », retient-elle. Pour Jocelyne Perucca, le cadre de santé, garant de la qualité des soins, se doit d'adopter auprès de ses équipes de soins une posture de formateur. L'amélioration des pratiques professionnelles ne se décrète pas, elle demande que les professionnels soient accompagnés dans leur réflexion.

Après quatre années comme cadre de santé, elle est nommée à un poste de faisant fonction de cadre supérieur en chirurgie. Elle reste un an sur ce poste, puis souhaite changer d'orientation. Elle fait le choix de rentrer à l'Ifsi de l'hôpital de Bastia. Au bout de quelques mois, elle est sollicitée par une clinique chirurgicale privée pour une mission sur une année, à savoir accompagner les équipes dans leur démarche de certification. Elle reprend son poste à l'institut de formation en 2005 : l'institut vient d'être agréé pour la formation des cadres, et la mission de mener à bien ce nouveau projet pédagogique lui est confiée.

Partenariat fructueux avec l'université

Jocelyne Perucca a un projet qui lui tient particulièrement à coeur : elle souhaite que les étudiants puissent préparer simultanément leur diplôme de cadre de santé et un diplôme universitaire, un master, puisque les infirmiers seront diplômés à un grade licence. Elle a la chance de trouver en la personne de Cécile Riolacci, directrice adjointe du département de formation continue de l'université de Corte, une interlocutrice à l'écoute. Avec le département de formation continue de l'université de Corte, elle travaille un dispositif d'adossement de la formation cadre de santé à un master en sciences de l'éducation habilité nationalement. Le dispositif, qui comprend une partie VAE pour l'obtention du master 1, est validé par les instances ministérielles. « La très grande majorité des étudiants cadres sont au niveau licence. Le master 1 qu'ils valident au titre de la VAE s'appuie sur leurs compétences acquises sur le terrain, explique-t-elle. Il s'agit de revisiter sa propre expérience professionnelle en la référençant à des modèles théoriques : cette démarche s'accompagne d'une mise en perspective de leur projet professionnel. » La VAE est à ce titre un cursus particulièrement précieux pour la reconnaissance des compétences des soignants. Elle permet également de mettre en oeuvre un travail conforme aux attentes de l'université. Et Jocelyne Perucca sait de quoi elle parle puisqu'elle a elle-même passé en 2007 un master 2 à l'université de Corte. « Quand on fait quelque chose soi-même, on en mesure plus les difficultés pour les autres. La VAE représente un énorme travail personnel, le diplôme obtenu est loin d'être usurpé », souligne-t-elle. Tous les cadres qui ont suivi le cursus ont obtenu leur master 2, seule la mention diffère en fonction de la qualité du travail universitaire. Cette année, la formation cadre en Haute-Corse n'a cependant pu être reconduite faute de budget. Jocelyne Perucca est retournée former les étudiants en soins infirmiers de troisième année. Là encore, elle doit relever un nouveau défi : celui de la mise en place du nouveau programme. Avec la reconnaissance du LMD (licence, master, doctorat) pour les professionnels infirmiers, elle défend plus que jamais la création d'une discipline universitaire Sciences infirmières. « Le succès du partenariat au niveau master me semble constituer un socle d'expériences à la fois pour l'expérimentation actuelle du niveau licence en soins infirmiers et pour la définition de ce que pourrait être un cycle master en soins infirmiers », ajoute-t-elle. Une question reste ouverte, celle de la perspective pour les étudiants cadres de santé d'intégrer ultérieurement un troisième cycle à l'université.