Expériences partagées de compétences entre services cliniques - Objectif Soins & Management n° 184 du 01/03/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 184 du 01/03/2010

 

Cahier du management

L'hôpital évolue et ses modes de fonctionnement tendent à modifier le profil habituel des organisations. En réponse aux questionnements, réticences et résistances des soignants, les cadres développent des projets d'accompagnement au changement par le biais de partenariats interservices dans un contexte maîtrisé d'échanges d'expériences professionnelles de terrain. Présenté sous son aspect dynamique, l'accompagnement au changement est un outil managérial de gestion de crise.

Les échanges professionnels sont la clé de voûte d'une ouverture des champs du possible dont l'écoute et la bienveillance en sont les bases. Témoignage de deux cadres de santé du pôle 2 de chirurgie, de la Pitié-Salpêtrière, initiateurs d'un projet d'échange professionnel entre personnels de santé en 2008. Pôle regroupant dix services de chirurgie générale dont la prise en charge des patients s'articule autour des troubles digestifs, néphrologiques, traumatiques osseux, gynécologiques, obstétriques (néonatalogie) et vasculaires. Cet article retrace l'expérience partagée de management en ressources humaines entre deux services cliniques dans le cadre de la mise en place des pôles.

L'ESPRIT DU DISPOSITIF

Genèse du projet

En 2007, la mise en place des pôles a fait naître un sentiment d'insécurité auprès des équipes. Les difficultés d'appréhension du nouveau contexte, la nouvelle gouvernance, mise en place des pôles, autant de termes incompris par les soignants. Associée à une mobilité inopinée, la crainte s'est répandue dans les groupes professionnels. Simultanément, la résistance et le mal-être au travail se sont développés dès lors que les infirmières (IDE) et les aides-soignants (AS) ont été déplacés vers d'autres services. La méconnaissance des activités, des soins spécifiques des unités d'accueil, a contribué à développer ce sentiment d'insécurité. Existaient aussi la crainte de ne pas être à la hauteur des attentes d'un service et la peur d'être mis face à ses insuffisances professionnelles. Il devenait essentiel d'intervenir pour lever ces réticences. Il fallait proposer aux IDE et AS un parcours qualifiant, leur permettant de s'inscrire dans une évolution professionnelle. L'encadrement a amené les soignants à réfléchir sur «Comment positiver l'image d'une mobilité ?». Par un accompagnement quotidien, puis hebdomadaire, l'émergence d'idées constructives a abouti à une ébauche de projet. Les agents ont retrouvé confiance en leurs compétences, tout en ayant envie d'en développer de nouvelles au contact d'autres patients dans d'autres services. Tout ceci dans un cadre défini et accepté de part et d'autre.

Une rencontre

Il était donc impératif d'associer d'autres cadres à cette démarche. L'arrivée d'un nouveau cadre dans le service de maternité a permis l'élaboration et le développement d'un projet commun répondant aux attentes des infirmières et aides-soignantes de néphrologie, puis du service de maternité. Cette démarche proposée aux soignants eux-mêmes, et sur la base du volontariat, répondait à un besoin de comprendre la pratique quotidienne d'une infirmière, aide-soignante dans un autre service que celui d'affectation.

Une volonté commune

Basée sur une volonté commune d'accompagner les soignants dans le développement d'une carrière individuelle et professionnelle, nous nous sommes attachés à développer une stratégie d'approche orientée sur l'observation des différents domaines d'actions des soignants : soins de base, soins techniques et soins relationnels. Le mode observatoire nous apparaissait alors comme la méthode la plus appropriée pour faciliter l'insertion du soignant dans l'équipe et la condition sine qua none pour permettre aux soignants/découvreurs d'être dans la juste distance entre le «faire-faire», la curiosité passive et la recherche du «pourquoi telle pratique, telle relation, telle organisation». L'ensemble était orienté vers un échange de pratique professionnelle et la quête de sens.

CARACTÉRISTIQUE DES SERVICES CLINIQUES PARTICIPANTS

Le défi du puzzle

Le service de maternité, ou plus exactement le service de gynécologie-obstétrique, est un service à caractéristiques multiples. Souffrant d'une image d'Épinal où «la femme enceinte vient mettre au monde et repart à domicile avec le sourire», la réalité est parfois bien différente. La majorité des accouchements se déroule dans l'attente du nouveau-né où la femme et son compagnon sont épanouis dans cette perspective. Cependant, sur 2 240 accouchements annuels, quelques situations, rares mais marquantes, conduisent à envisager l'état de grossesse comme une souffrance physique et/ou morale lors, par exemple, d'une interruption médicale de grossesse (IMG). L'autre caractéristique du service de gynécologie-obstétrique est d'accueillir un seul type de profil de patient : des femmes, et que ces mêmes femmes, admises comme «épouse, compagne, femme célibataire», voient évoluer leur statut social en «mère» à la naissance du nouveau-né. De par cette spécificité, le service de maternité ne peut être considéré comme un service clinique lambda où un patient est représentatif que de lui-même (à l'exception des mineurs).

Double responsabilité, double défi

L'ensemble de ce binôme/trinôme avec le père est accompagné au quotidien par huit catégories professionnelles différentes et orienté soit plus particulièrement vers la prise en charge de la mère/du père, soit vers l'enfant, soit vers le binôme mère/nouveau-né. L'enjeu, pour tout nouveau soignant, est de trouver sa juste place au sein d'une équipe pluridisciplinaire inhabituelle. Il devra être un maillon permettant l'épanouissement de la relation mère/nouveau-né/père. Il faudra aussi développer l'aspect peu valorisé par les soignants, eux-mêmes - faisant partie intégrante de leur quotidien il est banalisé au point d'être en difficulté pour le caractériser - du rôle propre soignant et de l'impact des effets de l'éducation dispensée sur la santé publique.

Pourquoi découvrir la maternité ?

Le choix du service s'est effectué en premier lieu pour des raisons professionnelles et secrètement pour des raisons personnelles. En effet, découvrir le fonctionnement d'un service de maternité, c'est découvrir un fonctionnement de service clinique atypique, bien que similaire dans ces grandes lignes, comme la prise en charge de l'urgence. Mais c'est aussi découvrir un univers féminin, c'est être dans l'intimité des femmes, dans l'intimité d'un couple, parfois en souffrance. C'est venir se confronter à l'injustice de la mort. C'est également... venir, pour soi. Car, au-delà du professionnel souhaitant s'enrichir et acquérir de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences, le service de maternité interroge, apprend et répond aux interrogations des soignantes sur elles-mêmes en tant que femmes, en tant que mères. C'est un lieu propice à l'introspection et à la réflexion sur la condition humaine. Le choix du parcours Découverte dans ce service est donc un choix de l'ordre du conscient/inconscient. Chaque visage croisé est une expérience humaine et sociale.

Pourquoi découvrir la néphrologie ?

Bien sûr, les motivations sont différentes. L'attrait semble plus lié à la découverte d'une facette du soin moins habituelle comme les soins liés à l'hémodialyse, pose de cathéters... Mais c'est aussi rencontrer la future mère dans un cadre différent. La néphrologie prend en charge des grossesses à risque, mais aussi les femmes en suite de couche présentant des hypertensions sévères. C'est donc un lieu où les IDE et AS vont pouvoir mettre en avant leur savoir et échanger avec un service de soins davantage orienté vers des soins hyper techniques. Et pourquoi ne pas venir toucher la différence, pour se confronter à ses propres limites en termes de savoir-faire sur une durée de prise en charge inhabituelle pour des soignants de maternité ? C'est un challenge, pour ces découvreurs, que d'explorer un domaine où l'aspect de la prise en charge du patient dure, du fait de la chronicité de cette pathologie. Mais si l'inconnu fait peur, parfois il attise la curiosité. Ainsi, même le profil des patients peut intéresser ces soignants. Car, en maternité, le soin tourne autour de la femme et du nouveau-né, alors qu'en néphrologie, la mixité est de règle. Même dans les catégories socio-professionnelles qui gravitent autour de l'IDE, la différence peut susciter l'envie de découvrir. Comparativement au service de maternité, la néphrologie peut paraître plus intimiste avec son nombre restreint de personnes autour de l'IDE : le médecin et l'aide-soignante. Il existe quand même un lien commun aux deux services : l'éducation.

LES OUTILS DU DISPOSITIF

Le cadre réglementaire

Pour développer ce projet, nous nous sommes appuyées sur la législation. Le décret n°90-319, du 19 avril 1990 relatif à la formation professionnelle continue des agents de la fonction publique hospitalière a permis de mettre un cadre réglementaire à notre projet et de l'inclure dans un plan de formation. Il stipule, dans son article 1, que « la formation professionnelle a pour but d'assurer l'adaptation à l'évolution des techniques et des conditions de travail et de favoriser leur promotion sociale et leur contribution à l'évolution culturelle, économique et sociale ». « Cette formation prend la forme d'actions organisées et suivies visant à l'acquisition de connaissances, d'aptitudes et de compétences. » Ce dernier point correspond tout à fait aux objectifs posés. Car nous avions en pensée la création d'un parcours qualifiant, intégré à l'évolution du pôle. Le projet Social et Professionnel AP-HP 2005-2009 nous a également guidées dans les orientations et la construction de notre maquette de travail. En effet, plusieurs objectifs du projet social et professionnel ont été retenus et utilisés. Il s'agit notamment des axes formation et développement des compétences, mise en place des pôles, mieux organiser les parcours professionnels. Chacune de ces actions de formation s'intégrait aux attentes des professionnels de santé. Elles devaient permettre la concrétisation des orientations tout en favorisant la recherche de la satisfaction d'évolution personnelle des agents. Elles allaient mettre en valeur le développement de parcours professionnels et l'acquisition de compétences plus variées, définis en regard des besoins de l'institution.

En amont du parcours Découverte

Afin de sécuriser ces soignants se prêtant au «jeu de l'inconnu», et en amont de la création d'un livret intitulé Parcours découverte service de..., deux rencontres entre cadres ont eu lieu pour s'écouter, échanger autour des fonctions infirmières, aides-soignantes, cadres, afin de clarifier les zones d'ombres et poser les principes du parcours. Des échanges téléphoniques et par mails ont complété la démarche. En parallèle, chaque équipe de soins respective fut informée, lors de réunions par les cadres référents du projet, de la création du parcours, des dates d'accueil, des noms et qualifications des soignants et des champs d'observation demandés. À chaque «découvreur» fut remis, avant le premier jour d'observation, le livret détaillant l'ensemble des secteurs, un circuit nominatif, une grille d'observation spécifique. Chaque soignant fut également reçu par le cadre du service d'origine afin de lever les dernières appréhensions et rappeler les grandes lignes du projet : échanges d'expériences professionnelles de terrain, observations des différents domaines d'actions et positionnement professionnel.

Déroulé du parcours Découverte

Le mouvement des soignants s'est effectué, dans un premier temps, du service de néphrologie vers le service de maternité, puis du service de maternité vers le service de néphrologie. Quatre jours sont retenus pour découvrir chaque spécialité. Pour le service de gynécologie-obstétrique, les unités de «suites de couches», l'unité de grossesse pathologique, le bloc obstétrical, et le secteur Accueil/urgences/PMA ont été découverts. Concernant le service de néphrologie, les unités d'hospitalisation traditionnelle, le secteur d'hémodialyse et de dialyse péritonéale ont fait l'objet d'observation. Le premier jour de chaque rotation, l'IDE/AS de néphrologie et/ou de maternité a été accueilli par le cadre-référent qui, après une visite des différents secteurs d'activité, le présente aux personnels soignants en rappelant les objectifs du parcours Découverte. Le soignant est en position d'observateur et, pour ces quatre jours, détaché de son activité quotidienne. En fin de circuit, le soignant est reçu par le «cadre-accueillant» pour une synthèse et pour envisager des axes d'améliorations possibles. La même démarche est effectuée auprès du cadre du service d'origine. L'ensemble des informations collectées sont mises en commun entre cadres et retransmises aux équipes de soins des services néphrologie et maternité lors de réunion.

ÉVALUATION DES APPORTS

Les outils et résultats

La construction d'un livret s'est révélée être un repère préparatoire, puis permanent et comparatif. Cette trace écrite a favorisé une imprégnation par anticipation. Devant la réelle implication et l'enthousiasme des IDE et AS «découvreurs» et à leur demande, nous avons pu partager un planning entre la maternité et la néphrologie, et ainsi solutionner des difficultés relatives à la prise de congés. Les agents nous ont largement surpris par leur capacité d'adaptation et leur volonté de partager leurs compétences. Une infirmière référente du dossier de soins en néphrologie a mis son expertise à la disposition des IDE du service de maternité. Elle a participé au développement d'une réflexion sur l'importance des transmissions ciblées en mettant en valeur la qualité des soins relationnels particuliers à la prise en charge triangulaire si spécifique à cette unité de soins.

À ce jour, cinq IDE et une AS du service de néphrologie sont venues dans le cadre du parcours découverte en maternité. Une AS et une IDE du service de gynécologie-obstétrique ont découvert le service de néphrologie. Il a été de notre volonté de cadres d'inscrire ce parcours comme un parcours professionnel qualifiant : chaque participant-découvreur a reçu une attestation de formation dispensée par le bureau de la formation. Cette démarche professionnelle basée sur le volontariat est reconnue et identifiée comme formation continue.

Synthèse

Les retours d'expérience sont positifs. Au-delà des clichés, des réticences liées à des rumeurs infondées, les soignantes ont mesuré les avantages et particularités de chaque service. Dans l'échange et le respect des spécificités liées aux catégories professionnelles, à la pathologie, l'architecture, les projets de service, le profil des patients, le matériel, les soignantes ont tissé des liens interservices et s'ouvrent à de nouvelles organisations de travail. Elles se sont questionnées sur le «comment faire mieux et autrement», sur la valorisation des transmissions ciblées, sur la notion de «grande équipe», sur le partage d'informations lors de réunions régulières soignants/équipe d'encadrement. Les apports humains et professionnels de ce projet sont une valeur ajoutée, pour les soignants et les cadres référents du projet.

Construire un projet demande des capacités de projection à court, moyen ou long terme. C'est envisager l'avenir comme un atout. Lors de la création d'un projet, beaucoup d'énergie et d'espoir sont investis dans la perspective d'une amélioration, d'un changement d'attitude ou plus modestement d'un début de prise de conscience. Mettre en commun les expériences et les difficultés de terrain permet d'échanger sur les axes à envisager pour résoudre les problèmes. Chacun trouve en l'autre une source d'inspiration et un moteur. Comprendre les attentes des équipes en cheminant avec elles dans l'appropriation des projets ; aider les soignants à répondre à leurs besoins en menant une réflexion commune basée sur la confiance et le respect pour tendre vers une autonomie ; les accompagner à dépasser les préjugés, les réticences, est un véritable challenge quotidien. D'autant plus si le projet-cible englobe deux spécialités cliniques et des modes de gestions différentes. Ce projet fut l'occasion d'allier des ressources humaines, des ressources matérielles pour une finalité commune d'enrichissement professionnel et personnel. Cette expérience professionnelle a permis de concrétiser l'ouverture offerte aux services cliniques par la mise en pôle.

PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION

Le projet parcours Découverte fut présenté lors d'une réunion devant la direction du GHPS et lors d'une présentation à l'ensemble de l'encadrement du pôle. Les impacts n'ont pas été immédiats, du fait de la mobilisation des équipes d'encadrement à la préparation de la démarche de Certification. Cependant, des ouvertures vers d'autres services du pôle, comme les services de chirurgie digestive viscérale et orthopédique, sont en maturation.

Actuellement, les principaux constats sont que le parcours Découverte apparaît comme un complément à la formation initiale et de l'évidence de la richesse du métier d'infirmière et d'aide-soignante. Métiers universels à savoirs multiples, qui autorisent un soignant à diplôme identique à s'adapter et à développer selon les besoins de terrain des compétences spécifiques. Ces mêmes compétences seront transférables en partie ou dans leur intégralité dans des domaines d'actions différents car transversaux.

Par ces regards croisés sur les pratiques professionnelles, sur des attitudes, sur des modes de gestion, le parcours Découverte est un outil optimal au besoin de curiosité et de sécurité des soignants. Et un outil au service du changement.

BIBLIOGRAPHIE→ Décret n°90 - 319 du 5 avril 1990 relatif à la formation professionnelle continue des agents de la fonction publique hospitalière. ,Projet social et professionnel AP-HP (PSP) 2005-2009.

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