Le tableau d'indicateurs - Objectif Soins & Management n° 184 du 01/03/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 184 du 01/03/2010

 

Ressources humaines

OUTIL → Un cadre de santé a en charge la gestion opérationnelle d'un service de soins. Il doit disposer de données exactes afin de se représenter avec la plus grande finesse l'activité de son unité. À sa hiérarchie, aux instances comme aux membres de son équipe, il ne doit pas se contenter de présenter des impressions subjectives, intuitives ou approximatives, mais au contraire, transmettre des données objectives, fiables, mesurables et vérifiables. Le tableau d'indicateurs est donc au coeur du management du service de soins.

Les indicateurs existent depuis aussi longtemps qu'il existe des managers ou des personnes qui gèrent l'activité des divers systèmes. L'avènement des politiques qualité dans la santé ont amené à la formalisation de cet outil de gestion dans nos établissements. Mais si les démarches de certifications (ou d'accréditations) ont permis l'instauration d'indicateurs au niveau de l'institution, les cadres de santé sont encore frileux ou hésitants à les utiliser au niveau de leurs unités. Cela est dommageable car, utilisés plus largement, ils permettraient d'introduire l'objectivité dans des services de soins qui ne sont, au final, managés que de façon intuitive, prenant insuffisamment en compte le passé et le futur, se basant sur une seule gestion plus ou moins efficace du quotidien et amenant à la transmission de données trop subjectives aux instances ou même aux membres des équipes de soins.

Selon la norme qualité IS0 8402, un indicateur est « une information choisie associée à un phénomène et destinée à en observer périodiquement les évolutions au regard d'objectifs périodiquement définis ». Un indicateur est donc une variable, le plus souvent chiffrée, répondant toujours à la même définition, qui permet de suivre, périodiquement, un élément de situation ou une évolution d'un point de vue quantitatif. Le suivi de cette variable dans le temps permettra de mesurer l'efficacité d'une organisation au regard d'objectifs définis. En fonction de l'atteinte ou non de ces objectifs, cette organisation pourra alors être confirmée ou modifiée.

POURQUOI UTILISER DES INDICATEURS À L'ÉCHELLE DU SERVICE DE SOINS ?

Les référentiels de l'accréditation (V1, V2) ou de certification (V2010) des établissements de santé ont affirmé et presque imposé la mise en place d'indicateurs qualité dans les hôpitaux et cliniques. Rappelons que, depuis les premières visites d'accréditation, les experts visiteurs mandatés par la Haute Autorité de santé ont cherché à objectiver les réponses et cotations apportées par l'établissement aux critères du manuel d'auto-évaluation. Dans cet optique, quel meilleur élément à présenter qu'un indicateur rigoureusement établi dont les données et résultats sont vérifiables ? Par ailleurs, l'expérimentation, à l'échelle nationale, de la mise en place d'indicateurs qualité communs dans plusieurs établissements de santé (projet Compaqh, Coordination pour la mesure de la performance et l'amélioration de la qualité hospitalière) et les démarches qui en ont découlé (classement Icalin, indicateurs Ipaqh) ont confirmé le recours croissant aux indicateurs pour les établissements de santé.

Mais si, afin de répondre aux diverses demandes des tutelles ou aux exigences de la certification, l'utilisation des indicateurs à l'échelle de l'institution ne se discute plus, on constate souvent un évident et presque étonnant décalage entre la politique qualité de l'établissement et celles des unités de soins qui le composent. Pourtant, le cadre de santé doit rendre compte à sa hiérarchie de l'activité et des difficultés du secteur dont il a la charge. Alors comment expliquer pourquoi, dans certains établissements de soins, l'on ne retrouve pas le même degré d'exigence sur les interfaces internes que sur celles tournées vers l'extérieur ?

Cette recherche de précisions et la nécessaire exactitude qui en découle devraient rendre difficilement recevables les seules impressions subjectives avancées, parfois, par les divers responsables lors de réunions de l'encadrement soignant. Désormais, cette subjectivité doit passer au second plan et marquer le pas face à la nécessaire mise en avant d'éléments plus objectifs, mesurables et vérifiables que seule la mise en place d'indicateurs précis permettra d'obtenir.

Attention, il ne s'agit pas ici d'ignorer, voire d'annihiler la subjectivité de l'environnement que le responsable perçoit de son unité de soins. Le ressenti du cadre est essentiel et on aurait tort de l'oublier au profit de froides données chiffrées. La perception et le vécu du responsable de soins restent essentiels et tout ne pourrait s'établir sur des chiffres, fussent-ils certifiés. Bien au contraire, cette subjectivité humaine complétera toujours efficacement l'objectivité des variables annoncées. Ne perdons pas de vue qu'initialement, la mise en place des indicateurs permettaient d'étayer l'impression générale laissée par une situation donnée.

Pour rendre compte de l'évolution d'une situation donnée (activité, absentéisme, coûts...), il est important de se fondre sur des faits et non sur des opinions. Un indicateur pourra avoir successivement plusieurs fonctions au cours de sa progression dans le temps. Il permettra d'abord de connaître le niveau initial d'une situation afin que, dans un second temps, il soit possible de déterminer un objectif quantifié pour cette situation. Enfin, en dernier lieu, cet indicateur permettra de surveiller l'évolution de cette situation au regard de cet objectif. Par ailleurs, partant du principe que des indicateurs correctement définis permettront aux cadres de santé de présenter des faits et non de relater des impressions, ces faits transcrits par des mesures objectives (et donc vérifiables) pourront être mis en avant pour rendre compte de certaines difficultés, voire pour appuyer une demande de ressources complémentaires en démontrant un accroissement de l'activité à moyens constants.

Grâce à une sélection d'indicateurs rassemblés dans un tableau, le cadre pourra disposer d'une vision précise de l'ensemble des activités clés de son service. Ceci pour mettre en évidence et transmettre à sa hiérarchie les difficultés, mais également pour mesurer les progrès accomplis après la mise en place de plan d'actions visant à atteindre un objectif donné. Au sein de son établissement ou dans le cadre d'un réseau, le cadre de santé pourra également confronter les résultats de ses indicateurs aux résultats de ces mêmes indicateurs mis en oeuvre en d'autres unités.

Le tableau (cf. page ci-contre) présente un panel d'indicateurs mis en oeuvre au sein d'un service d'urgence par le cadre de santé responsable de l'unité.

On notera que les indicateurs sont relatifs à quatre thèmes essentiels :

→ ressources humaines (intitulé GRH),

→ économie (intitulé ECO),

→ activité (intitulé ACT)

→ satisfaction du patient (intitulé SPA).

Il est recommandé de ne pas multiplier les indicateurs et d'en sélectionner les plus significatifs.

TYPES D'INDICATEURS

On distingue plusieurs types d'indicateurs.

Les indicateurs d'activité sont généralement les plus simples à mettre en oeuvre : nombre annuel d'admissions dans un service de soins, nombre de journées d'hospitalisation...

Les indicateurs de structure (ou de ressources) s'intéressent aux moyens humains (nombre de postes vacants au sein d'une unité, turn-over, nombre de journées d'absence...), aux équipements (nombre de lits...) ou encore aux questions de coûts (coût annuel de la consommation en produits pharmaceutiques...).

Les indicateurs de processus renseignent sur les pratiques professionnelles appliquées lors des différentes étapes ou tâches d'un processus de soins (délais de prise en charge aux urgences, taux de conformité au lavage des mains...).

Les indicateurs de résultats s'intéressent à la qualité d'un produit ou d'une prestation. On distinguera les indicateurs de résultats finaux (taux de personnels formés aux gestes de premiers secours après programme de formation des personnels, indice de satisfaction des usagers...) et les indicateurs de résultats intermédiaires, également appelés indicateurs de processus, qui s'intéresseront aux diverses étapes d'un processus de soins (taux d'infection sur site opératoire, taux de conformité au lavage des mains).

Les indicateurs d'efficacité et d'efficience se situent à un second niveau d'analyse, plus approfondi encore puisqu'ils ne se contentent pas d'exprimer un résultat lié à un fait mais évaluent ce résultat au regard d'objectifs ou de moyens.

CARACTÉRISTIQUES ET CONSTRUCTION D'UN INDICATEUR

La création et la mise en place d'un indicateur doit répondre à quelques règles.

nSimplicité

Un indicateur doit être simple. Simple pour celui qui le crée comme pour celui qui le renseigne ou pour celui qui en lira les résultats. Un indicateur doit être testé et validé. Lors d'une expérimentation, il est conseillé de faire vérifier auprès d'un panel sélectionné (directeur des soins, cadre de santé, IDE...) la bonne compréhension de l'indicateur et de ses résultats. Reflète-t-il bien ce qu'il est censé mesurer ? Son intitulé est-il conforme à l'expression des résultats produits ? Un indicateur doit être simple à comprendre et simple à renseigner.

nPertinence

Un indicateur doit être pertinent. Il doit permettre d'objectiver facilement la réalité d'une situation significative et importante pour le cadre, l'équipe de soin et/ou la structure. Il sera d'autant plus pertinent si, dans le cadre d'une difficulté, il sera possible d'instaurer aisément des actions correctives ou préventives.

nFiabilité

Un indicateur doit être fiable. Il doit produire strictement le même résultat pour la même période considérée, quel que soit l'opérateur qui le renseigne. Ceci implique une définition très précise de la façon dont il doit être calculé.

nSensibilité

Un indicateur doit être sensible. Il doit varier de façon significative si les éléments qui servent à son calcul varient eux aussi de façon significative (sauf si les variations de ces éléments se compensent, cas des indicateurs s'exprimant par proportion).

nSpécification

Un indicateur doit être spécifique. Il ne doit varier que si les éléments qu'il surveille varient eux aussi. Il ne doit pas être influencé par des éléments plus secondaires. Enfin, l'auteur de l'indicateur devra rassembler les éléments qui le définissent dans une fiche de présentation.

LA FICHE DE PRÉSENTATION DE L'INDICATEUR

La mise en place d'un indicateur doit être rigoureuse. La définition de l'indicateur doit être la plus précise possible : il ne doit pas être interprétable. Ceci impose la mise en place d'une fiche de présentation de l'indicateur, véritable carte d'identité de l'outil ainsi défini. Cette fiche servira de référence à l'indicateur et permettra de le repréciser, lors des diverses discussions qui pourront apparaître suite à la présentation des résultats.

Cette fiche comportera les éléments suivants : intitulé, indexation, fréquence (d'expression des résultats), antériorité, cible qualité, justification, mode de calcul. Les résultats figureront sur un document annexe. Le document (cf. page suivante) présente, à titre d'exemple, la fiche de présentation d'un indicateur mis en place au sein de l'unité d'accueil des urgences concernée par le tableau.

LA RÉVISION DE L'INDICATEUR

Les indicateurs peuvent avoir des durées de vie variables. Ils peuvent parfois être mis en sommeil pour être réactivés plus tard.

L'exploitation du tableau d'indicateurs doit donc faire l'objet de réactualisations et de révisions périodiques. Il convient alors de s'interroger sur la nécessité de poursuivre le renseignement de chaque indicateur : est-il toujours pertinent ? OEuvre-t-il dans le sens de la structure ? Est-il constructif ?

Sa fiche de présentation doit-elle être mise à jour ?

CONCLUSION

Le tableau d'indicateurs est donc un outil référence pour le cadre de santé moderne qui souhaite objectiver le vécu de son service. L'indicateur permet une appréciation rigoureuse et fiable de l'activité et de la situation des ressources et besoins d'un service de soins.

À l'ère, désormais bien établie, des politiques qualité, il paraît indispensable d'investir un peu de temps dans la mise au point et le renseignement de quelques indicateurs rigoureusement sélectionnés. La direction des soins pourra indiquer des indicateurs incontournables qui permettront de rationnaliser les moyens.

Il ne s'agit pas de manager avec la seule calculatrice, mais bien au contraire d'apporter un complément recevable par la hiérarchie et indispensable à l'expérience et à la finesse du cadre de terrain qui ressent de façon intuitive la situation et les besoins de son service.

Fiche de présentation d'un indicateur

NOMBRE DE JOURNÉES D'ABSENCE DU PERSONNEL IDE INITIALEMENT PLANIFIÉ

Indexation Cible qualité Fréquence Antériorité

Justification : indicateur de ressource, indicateur de structure, indicateur de stabilité de l'équipe.

L'absentéisme peut être la conséquence d'une maladie ou d'un accident, justifié le plus souvent par un certificat médical. L'absentéisme peut aussi être une réponse face à un épuisement professionnel alors que le personnel reste motivé mais ne parvient plus à surmonter les difficultés quotidiennes de son travail. L'absentéisme peut aussi résulter plus simplement d'une démotivation de ce personnel.

Aux yeux du professionnels au bord de l'épuisement professionnel, l'absentéisme apparaît donc parfois comme le seul recours possible et la seule décision réaliste qui lui permettent d'affirmer, en douceur, un ras le bol sous-jacent. L'absentéisme est donc à surveiller de près, il constitue l'un des baromètres du bien-être de l'équipe, une brusque augmentation peut être un signe avant-coureur d'une rupture au sein de l'équipe, d'un conflit ou encore d'une forte augmentation du turn-over.

L'absentéisme génère un coût économique, il pose aussi des problèmes non directement chiffrables au système, notamment en termes de qualité des soins.

→ Il n'y a qu'un seul professionnel affecté dans chacun des secteurs de la structure. Toute absence qui ne serait pas anticipée ou remplacée entraînera de fait une impossibilité de fonctionnement pour la structure.

→ Si le remplacement du salarié absent s'effectue avec un personnel non affecté habituellement dans la structure, il en résultera inéluctablement une perte d'efficacité et de la qualité. Ce personnel, même s'il peut être motivé, ne pourra s'identifier à la culture d'équipe instaurée et n'aura pas les réflexes des habituels titulaires.

→ Le personnel titulaire devra compenser l'insuffisance du personnel remplaçant, ce qui augmentera sa charge de travail : il pourra en résulter stress et fatigue complémentaires.

→ Si le remplaçant est issu de l'équipe titulaire, les réflexes soignants et la qualité du service rendu seront conservés mais cela sera au prix de la perte des repos de ce personnel titulaire remplaçant. Il en résultera aussi au final fatigue et stress pour ce personnel.

→ L'absence d'un salarié représente une évidente charge de travail pour le responsable de l'équipe de soins qui va devoir faire face à une réactualisation des emplois du temps et procéder à la recherche d'un remplaçant.

→ Même lorsqu'elle est anticipée, cette absence représente une ressource de moins à la disposition du cadre de santé qui doit composer le planning de travail.

→ Un remplacement se traduira donc par l'arrivée d'un personnel moins entraîné à la structure (intérimaire) ou par une charge de travail supplémentaire pour le personnel titulaire (journées complémentaires ou supplémentaires), occasionnant désagréments et fatigue.

Mode de calcul

Le sens de l'indicateur est de comptabiliser les journées d'absence qui ont donné lieu à recherche de remplaçant sur des journées déjà planifiées pour un salarié titulaire effectivement absent. Le comptage est annuel et se fait à partir des plannings de l'année écoulée.

Les arrêts maladie ne sont donc pas intégralement pris en compte, seules les journées où le salarié devait être présent sont comptabilisées. Les arrêts maladie connus avant la réalisation des plans ou les absences programmées ne sont pas pris en compte au titre de cet indicateur.

Les résultats de cet indicateur ne sont fiables qu'en cas de stabilité de l'effectif théorique de l'unité (11,6 ETP lors de l'instauration de cet indicateur). Une plus grande rigueur dans l'appréciation du résultat serait obtenue en établissant un ratio entre le nombre de journées de travail perdues pour causes d'absence et le nombre total de journées de travail pour une période donnée. Néanmoins, si la valeur en ETP de l'équipe est stable, la valeur brute du nombre de jours d'absence peut être d'une fiabilité acceptable si l'on se réfère à la seule évolution du chiffre.

Cet indicateur s'intéresse aux seules présences des membres de l'équipe paramédicale (hors encadrement).