Les frontières abolies par la complémentarité - Objectif Soins & Management n° 184 du 01/03/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 184 du 01/03/2010

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

INTERDÉPENDANCE→ Hygiène et gestion des risques partagent un champ d'activité, des objectifs, des méthodes, des compétences et des informations communes. Elles se nourrissent l'une de l'autre et sont amenées à travailler en collaboration de plus en plus étroite : l'une sur le terrain opérationnel, l'autre dans une optique plus managériale.

Subsiste-t-il une «frontière» entre hygiène hospitalière et gestion des risques ? Peut-on encore parler du «territoire» de l'une ou de l'autre ? Parle-t-on la même langue selon qu'on se réclame de la première ou de la seconde ? L'antériorité de l'hygiène hospitalière, plus volontiers rebaptisée aujourd'hui «prévention du risque infectieux et associé au soins», sur le terrain de la sécurité des soins, a pu laisser penser le contraire lorsque la gestion des risques a fait irruption dans le paysage hospitalier, et avec elle une perspective plus globale. S'agissait-il d'une menace ? Pas le moins du monde, rétorquent les professionnels de la gestion des risques, qui ont adopté avec bonheur les méthodologies développées en pionniers par ceux de l'hygiène et amené avec eux certains concepts issus de l'industrie.

Si le doute a parfois traversé l'esprit de certains, il n'est plus permis. Plusieurs crises sanitaires sont passées par là (sang contaminé, épidémies nosocomiales, canicule...). Les pouvoirs publics, comme les établissements, ont intégré la gestion des risques à leurs politiques et projets. Et les attentes des patients en matière de sécurité ont évolué vers un plus haut niveau d'exigence. Pour Marie-Françoise Dumay, présidente de la Société française de gestion des risques en établissements de santé (Sofgres), comme le Dr Joseph Hajjar, président de la Société française d'hygiène hospitalière (SFHH), il n'est donc plus question d'évoquer les territoires plus ou moins perméables des uns ou des autres, mais plutôt de défendre une complémentarité fondée sur l'expertise de chacun au service d'un objectif clair.

HYGIÈNE PIONNIÈRE

Installée dans le paysage hospitalier depuis la parution, il y a une vingtaine d'années, des premiers textes réglementaires sur le sujet, l'hygiène a acquis ses lettres de noblesse en structurant la prévention du risque infectieux. À travers la création des Clin et Cclin, des équipes opérationnelles d'hygiène (EOH), de l'infectiovigilance, du signalement obligatoire des infections nosocomiales, de la Haute Autorité de santé (HAS), etc., observe Marie-Françoise Dumay... Mais aussi par le biais d'une démarche formalisée d'identification du risque via, notamment, de grandes enquêtes de prévalence comme l'enquête nationale de 2006.

« La plus grande réalisée sur le sujet dans le monde car elle incluait la quasi-totalité des lits sanitaires de la France entière, métropolitaine et outre-mer », souligne le Dr Hajjar. La prochaine aura lieu en 2012. La démarche en hygiène se poursuit par l'adoption de mesures préventives avant tout, mais aussi a posteriori en fonction d'une série de référentiels élaborés par les professionnels ainsi que de textes réglementaires conçus pour prévenir, par exemple, le risque de contamination par la legionella présente dans l'eau ou les infections liées aux cathéters.

Enfin, l'hygiène hospitalière a très tôt adopté des méthodes d'évaluation et d'audit afin de s'assurer de l'application des mesures et de leurs effets. Son prochain audit national, en 2010, portera ainsi sur les cathéters veineux périphériques tandis que celui de 2009 avait étudié la préparation de l'opéré. C'est aussi en matière d'hygiène que les premiers tableaux de bord ont dû être affichés. « Mais cette antériorité ne signifie pas que l'hygiène doit avoir le monopole de la gestion des risques, souligne le président de la SFHH, car il n'y a pas que le risque infectieux à l'hôpital », loin de là ! En revanche, poursuit-il, « c'est un domaine de la médecine qui a une expérience de vingt ans derrière lui et il serait dommage, étant donnée la stratégie déployée, qui est reconnue, de ne pas l'employer sur les autres risques ».

CONTAGION MÉTHODOLOGIQUE

Identification des risques, audits, protocoles, tableaux de bord et indicateurs d'infections nosocomiales, maîtrise de la diffusion des bactéries multirésistantes... L'expertise est là, en tout cas. Et elle a permis de faire évoluer le concept de risque infectieux et d'en faire un outil d'information du public et d'aide à la décision pour les responsables hospitaliers à l'échelon des établissements, des régions ou national, souligne Marie-Françoise Dumay.

Mais son caractère longtemps «cloisonné» a aussi montré ses limites. La politique d'amélioration de l'hygiène des mains a conduit tous les nouveaux établissements à prévoir des points d'eau dans toutes les chambres : le nec plus ultra de l'époque pour la prévention des infections manuportées. Mais c'était sans prendre en compte les points critiques moins identifiés des circuits d'eau et de la maintenance des points d'eau... Illustration simple mais parlante de l'interaction des différents risques : impossible, désormais, d'agir de manière séquencée en dehors de toute approche globale cohérente. C'est le credo de Marie-Françoise Dumay, mais aussi de Joseph Hajjar. Une prise en compte concertée de la question du lavage des mains et de l'eau aurait permis d'éviter de nombreux accidents graves.

La notion de gestion des risques s'est peu à peu installée à l'hôpital dans une approche managériale, notamment à travers des recommandations de la HAS, comme le guide méthodologique qu'elle a édité en 2003. L'année suivante, une circulaire impose aux établissements de soins de mettre en place un programme de gestion des risques. Le terrain avait été préparé par les mesures de sécurité sanitaire préalables et l'élaboration des plans blancs et autres mesures de réponse au risque nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC). Mais, désormais, les professionnels de santé doivent adopter des axes de travail, fixer des objectifs et déterminer des actions à mener, de manière globale et concertée. Le but : aider à la décision et donner des orientations pour définir les stratégies à mettre en place. En articulant les expertises de chacun des acteurs engagés dans la gestion des risques, dont les équipes d'hygiène hospitalière. Parallèlement, le guide de certification des établissements de santé a évolué en matière de gestion des risques vers une approche de plus en plus managériale qui trouve tout son sens dans la coordination des différents domaines de vigilance et de prévention des risques iatrogènes.

ANALYSE SYSTÉMIQUE

Une erreur d'identité peut être à l'origine d'un accident transfusionnel, d'un problème d'administration de médicament ou d'un défaut de prise en charge... Si chacun envisage séparément le problème survenu dans son propre domaine, leur véritable cause ne sera pas traitée de façon globale, remarque Joseph Hajjar. L'approche systémique en termes de gestion des risques prend ici tout son sens. « Certes, nous avons acquis une certaine expertise, poursuit le président de la SFHH, mais la gestion des risques apporte des éléments très intéressants comme ses modalités d'investigation des dysfonctionnements, d'analyse des causes racines. » Des outils utiles aux domaines spécifiques que sont l'hygiène, la pharmacovigilance, etc.

Ce qu'apporte, surtout, la gestion des risques, c'est une coordination institutionnelle de l'ensemble des disciplines qui contribuent à la la sécurité des soins. En la matière, Marie-Françoise Dumay appelle de ses voeux un système d'information qui favorise ces synergies et le partage d'informations entre les différents acteurs. Dans l'établissement où exerce Joseph Hajjar, un système de déclaration des dysfonctionnements a été mis en place. Ceux qui concernent le risque infectieux, comme tous les autres, sont ainsi déclarés à la cellule Qualité et gestion des risques. « Elle n'a pas compétence à répondre à toutes les questions mais elle les répartit entre les professionnels compétents dans chaque domaine et elle s'assure du suivi », décrit le président de la SFHH. Il ne s'agit donc plus de trouver une réponse ponctuelle à un problème ponctuel, mais de mener une analyse au niveau institutionnel.

CHANGEMENT DE CULTURE

Poussée par les textes réglementaires et l'évolution des mentalités, la gestion des risques recueille donc les informations des différents domaines d'expertise, dont l'hygiène, pour en faire émerger des priorités, explique Marie-Françoise Dumay. Pour les identifier, son approche a priori se base sur l'étude des processus et l'analyse des points critiques, tandis que son approche a posteriori décortique les situations indésirables survenues. Pour ce faire, le gestionnaire des risques doit pouvoir compter sur les compétences spécifiques de professionnels complémentaires, comme les hygiénistes par exemple. « Il crée une cohérence, un réseau de professionnels associés à la gestion des risques en matière d'hygiène, de transport, de circuit du médicament, de bloc opératoire, de dossier médical..., poursuit la présidente de la Sofgres. Il a besoin de toutes les compétences métier et des expertises. » Au service d'un objectif : permettre à l'hôpital de remplir sa mission, prodiguer aux patients des soins sûrs et de qualité.

L'intégration de la gestion des risques dans le paysage hospitalier où les différents domaines de vigilance sont déjà présents ne se passe pas partout aussi facilement. Mais les textes y incitent de plus en plus et le décret en préparation au ministère de la Santé sur le sujet, en application de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), devrait renforcer cette tendance. « L'hygiène est là depuis vingt ans, elle a vu arriver la gestion des risques, rappelle Joseph Hajjar. Ce qu'il faut éviter, c'est que ceux qui ont l'antériorité campent sur leurs positions et que les autres, pour trouver leur place, naviguent de leur côté. »

LA CAUSE PLUS QUE LA FAUTE

Le rapprochement ne paraît pas aussi facile qu'il semble logique. Et équivaut, selon le président de la SFHH, à une petite révolution culturelle. « Le mythe de la médecine infaillible, c'est fini, poursuit-il. Mais les professionnels éprouvent encore une réticence à déclarer les dysfonctionnements. Ils y voient des erreurs ou des fautes individuelles alors qu'il s'agit de rechercher désormais les causes latentes, de comprendre pourquoi les parades n'ont pas fonctionné », pas de jeter l'anathème sur le dernier maillon de la chaîne, la personne. Autre frein, selon lui, à la déclaration : l'attente forte de réponses lorsqu'une question de risque est posée...

Dans cette «révolution culturelle» et comportementale, le rôle des cadres est « capital », souligne le Dr Hajjar. « Si les responsables de pôle, médecin et cadre de santé, n'impulsent par l'accompagnement dans cette démarche, il n'y a aucune raison pour que les professionnels eux-mêmes le fassent », estime-t-il. Pour lui, les cadres ont un rôle à jouer pour apprendre aux professionnels à en parler et qu'ils acceptent de le faire. « Il ne faut pas banaliser les événements indésirables mais on peut les éviter, sans stigmatiser, ajoute le médecin. En revanche, il faut bannir la culture de la faute et la remplacer par la culture de la sécurité. » Comme l'a souligné la vaste Étude nationale sur les événements indésirables liés aux soins (ENEIS) en 2004, plus du tiers des événements indésirables sont évitables et relèvent de causes latentes communes... Certains établissements proposent donc à leurs cadres de se former à la gestion des risques.

« Cela fait complètement partie de leur mission d'encadrement, renchérit Marie-Françoise Dumay. Ils ont un rôle fondamental pour décliner le programme institutionnel, impliquer les différents acteurs, les responsabiliser. Et valoriser tous les acteurs de la gestion des risques, chacun dans son domaine d'expertise.»

Pour aller plus loin

→ Le site de la Société française de gestion des risques en établissements de santé (Sofgres) :

→ Le site de la Société française d'hygiène hospitalière (SFHH) :

→ La circulaire du 14 avril 2004 sur le site du ministère de la Santé :

→ L'étude ENEIS sur le site du ministère de la Santé :

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→ Le guide méthodologique de la HAS sur son site :