Qualité, hygiène et gestion des risques
OBSERVATION DES PRATIQUES → Une démarche d’EPP sur la prévention des risques liés à la manipulation des anticancéreux a été menée conjointement par la médecine du travail, la pharmacie et la direction des soins du CHU Bichat-Claude-Bernard. La méthodologie de l’audit s’est appuyée sur l’observation du travail réel effectué par les infirmières et les préparateurs.
Michèle Vitse, cadre expert, et Axèle Reberga, pharmacienne, ont détaillé ensemble la méthodologie retenue pour mener à bien cette EPP dans le domaine des bonnes pratiques de soins de chimiothérapie et de protection du personnel. L’EPP s’adresse à deux populations soignantes : les préparateurs, lors des opérations de reconstitution en pharmacie, et les IDE en service au cours de la pose et dépose de la perfusion. Les risques liés à la manipulation des médicaments cytotoxiques sont de plusieurs ordres. En cas de contact percutané (absence de gants), oculaire (aérosol ou projection), pulmonaire (aérosol), la toxicité peut être aiguë avec des réactions locales, type rougeur, irritation, nécrose, mais aussi des réactions générales, prurits avec rash érythémateux, altérations hépatiques. Il existe bien sûr une toxicité dite retardée puisque ces produits sont cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction.
En 2004, un premier état des lieux avait souligné une grande hétérogénéité des pratiques liées à la manipulation des cytotoxiques. Compte tenu de ces premiers indicateurs, le thème de l’EPP a été retenu par la Commission EPP du CHU. Un groupe de travail réunissant des représentants de la direction des soins, de la médecine du travail, de la pharmacie et de la cellule qualité s’est alors réuni plusieurs fois pour définir la méthodologie de l’audit. Trois référentiels ont été utilisés, un dossier du Centre national hospitalier d’information sur les médicaments (CNHIM), un guide des bonnes pratiques de préparation et la méthodologie EPP définie par la HAS. Une grille d’observation et une grille d’entretien ont été réalisées par le groupe de travail. Ces grilles sont le support d’enquête des auditeurs. Il s’agit d’observer le travail des soignants, sans intervention ni conseil. La grille d’observation dédié à l’URC (unité de reconstitution des cytotoxiques) comporte des items tels que stockage des spécialités, respect du tri des déchets, tenue de protection portée pendant la manipulation…
S’agissant des unités de soins, les auditeurs observent les pratiques des IDE pendant la pose et dépose : tenue vestimentaire adaptée, protection du plan de travail, changement de la tubulure, élimination et tri des déchets… Le travail de treize IDE a ainsi été étudié. La grille d’entretien, qui a concerné dans cette étude dix-sept infirmières, comporte quant à elle une série de questions sur l’attitude des infirmières (fuite de poche, conduite à tenir devant une poche partiellement utilisée, réaction en cas de projection) et leurs connaissances en matière de gestion des risques et de procédures.
S’agissant plus spécifiquement de l’observation des pratiques des infirmières, les résultats montrent des écarts entre les recommandations et les pratiques. Si 100 % des IDE portent des gants lors des manipulations de pose des chimiothérapies, seulement 60 % d’entre elles portent des gants appropriés en latex et nitrile. Des lunettes de protection sont portées par un tiers des IDE. Seules 14 % des infirmières ont pensé à revêtir une charlotte et une surblouse à manches longues. La protection du plan de travail (champ imperméable, plateau et ou compresse, emballage du conditionnement de la préparation) est effectuée par 64 % des soignantes. Les enquêteurs notent que le quart des IDE ne portent pas de gants à la dépose.
Les auditeurs ont mis en évidence que la grande majorité des IDE (93 %) connaissent effectivement les filières de retraitement des déchets. Devant une poche non administrée, 94 % savent quelle attitude adopter. Pour une poche partiellement utilisée, 82 % contactent l’URC ou font un retour à l’URC, 11 % les jettent directement dans la filière Dasri (Déchets d’activités de soins à risques infectieux), 11 % les conservent dans le service, dont 6 % en vue d’une expertise ultérieure. Les connaissances sont cependant moins bonnes en ce qui concerne la conduite à tenir devant une rupture de poche. Seule la moitié des IDE sait qu’une procédure existe mais personne ne connaît l’intégralité de la procédure.
Les procédures en cas d’expositions professionnelles à un cytotoxique suite à une projection oculaire ne sont pas acquises par l’ensemble des IDE : 89 % évoquent la phase de rinçage, 67 % la nécessité de déclarer l’accident d’exposition en accident du travail et 33 % une consultation en ophtalmologie. Dans l’ensemble des accidents d’exposition, une seule IDE déclare avoir reçu une projection dans l’œil lors des deux dernières années. Surtout, seulement 44 % des IDE connaissent l’existence du document “Manipulation des Cytotoxiques”. La majorité de celles qui connaissent ces recommandations pense pouvoir retrouver ce document dans l’Intranet sans connaître pour autant le lien exact. Seules deux IDE localisent réellement le document dans le classeur du service.
Au total, l’observation des pratiques et les entretiens montrent que les recommandations sont loin d’être appliquées par l’ensemble des infirmières. Ainsi les tenues de protection des IDE restent-elles très hétérogènes d’un service à l’autre, voire en intra-service. Les connaissances en termes de gestion des risques et de conduite à tenir sont incomplètes, la protection du plan de travail n’est pas systématisée et les documents de référence existants sont méconnus par bon nombre. En revanche, les filières d’élimination semblent bien connues et respectées.
À partir de la mise en évidence des écarts entre recommandations et pratiques, l’EPP a permis de définir un plan d’action et de formation pour prévenir ces risques. Ce plan d’action a été élaboré par le groupe de travail et validé en Commission EPP ainsi que par le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’établissement. Une formation par binôme (cadre de santé et pharmacien) a été organisée dans les services de soins et l’URC, avec discussion des résultats de l’audit, présentation du guide de recommandations aux soignants et remise d’une petite plaquette d’informations sous forme de logigramme. Tous les deux ans, des évaluations régulières sont désormais organisées. Le suivi d’un certain nombre d’indicateurs (tenue de protection, tri des déchets, déclaration d’incidents) a été formalisé. Cette mise en place d’une culture permanente de l’audit présente aussi un intérêt dans le temps puisque les équipes se reconstituent tant à l’URC que dans les unités de soins. Enfin, les pratiques se défont dans le temps ou se refont ; formation et information restent indispensables.
Contraintes horaires et organisationnelles, pénibilité physique, exposition à des produits chimiques cancérogènes… Les derniers résultats de l’enquête Sumer
Cette étude sur l’exposition aux risques professionnels, la première du genre en France, a été réalisée auprès de 2 400 personnels soignants (infirmiers, aides-soignants, techniciens paramédicaux, ambulanciers…). Premier constat, les soignants cumulent les contraintes horaires (travail en équipe avec horaires variables, travail de nuit…) et les contraintes dites organisationnelles (interruption de tâches, travail dans l’urgence…). Les chercheurs soulignent qu’un tiers des soignants sont en situation dite de job-strain ou de stress professionnel. La pénibilité physique est importante : station debout et/ou déplacement à pied supérieur à vingt heures par semaine, port de charges…
S’agissant particulièrement des risques chimiques et radiations, 15 % des soignants sont exposés à au moins un des produits cancérigènes, surtout le formaldéhyde (6,5 %) et les cytostatiques (8,2 % des soignants exposés). L’exposition aux solvants de type alcools est six fois plus importante chez les soignants que chez les autres salariés (35 % d’exposition contre 7 %). L’exposition aux rayons ionisants touche près de 12 % des personnels soignants.
Les soignants sont très exposés aux tensio-actifs contenus dans les produits de désinfection et de nettoyage. Ces produits sont susceptibles d’entraîner des dermites allergiques ou irritatives. Un quart des soignants manipule d’autre part des médicaments allergisants. Au contact des patients, les personnels soignants sont bien sûr largement exposés aux risques biologiques.
* L’enquête Sumer est effectuée par des instances du ministère du Travail afin de décrire les expositions professionnelles de l’ensemble des salariés.