ENTRE LÉGALITÉ ET TOLÉRANCE → Catholiques, chrétiens, musulmans, juifs, bouddhistes… Patients et soignants peuvent personnellement avoir une croyance religieuse… ou pas. Mais là où les patients pratiquent leur religion dans certaines limites, les soignants se doivent d’exercer leur métier dans la plus grande neutralité. Des principes dont les cadres, entre autres, sont les garants.
Religion à l’hôpital : RAS ? « Ce n’est pas compliqué, s’entend-on répondre à peine la question posée. La loi interdit les signes religieux. » Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. La loi a précisément balisé le territoire de la laïcité dans le service public. Mais il serait illusoire de croire que les croyances religieuses s’évanouissent au seuil de l’hôpital, théâtre de bien des questionnements existentiels et de moments essentiels. Sans exacerber des situations relativement marginales, un certain nombre de règles claires doivent parfois être rappelées. Du côté des patients, mais aussi des soignants.
En ce qui concerne les premiers, la question de la croyance religieuse se pose dans des situations aussi diverses que la naissance, la mort, mais aussi les repas… Dans ce domaine, la Charte de la personne hospitalisée, établie en 2007 à partir des principes édictés par plusieurs lois
Quotidienne, la question des interdits alimentaires liés aux convictions religieuses ne pose plus guère de problème puisque les cuisines hospitalières ou les prestataires en charge de la restauration proposent souvent plusieurs menus au choix. Il est donc généralement possible de se faire servir autre chose que du porc, par exemple. Mais pas d’exiger que les produits soient casher ou hallal. Pour Isabelle Lévy, formatrice sur les rites culturels et religieux face aux soins
Bien qu’ils soient empêchés, du fait de leur hospitalisation, d’exercer leur culte, les patients ont le droit de se recueillir ou de prier dans l’enceinte de l’hôpital (décret n° 74-27 du 14 janvier 1974). Le livret d’accueil distribué à chaque patient se doit ainsi de mentionner le nom de ministres des cultes des différentes confessions ainsi que le moyen de les contacter. Mais Isabelle Lévy constate que les ministres des cultes ne sont contactés bien souvent qu’au moment du décès des patients, pour respecter les rites mortuaires, alors que leur rôle ne se limite pas à l’accompagnement des mourants ou de leurs proches. « Ils sont à la disposition des patients, des familles, mais aussi des soignants et peuvent être d’un grand secours », souligne-t-elle, quand les uns ou les autres peinent à se faire entendre. Dans certains hôpitaux, les psychologues formés à la diversité culturelle peuvent être appelés à la rescousse par les cadres dans ce type de situation. Parfois, les équipes font appel à des médiateurs membres d’associations culturellement proches des patients ou à des soignants parlant leur langue, histoire de faire tomber des barrières religieuses ou culturelles, souvent liées.
Les patients ont également le droit de prier dans leur chambre, même s’ils la partagent avec d’autres malades. Sous certaines conditions. Selon la charte de la personne hospitalisée, « l’expression des convictions religieuses ne doit porter atteinte ni au fonctionnement du service, ni à la qualité des soins, ni aux règles d’hygiène, ni à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches ». Pas question, donc, de mobiliser du personnel dans ce but, de psalmodier ou chanter, de demander à reporter un soin si ce n’est pas possible, d’allumer un cierge, une bougie ou un bâton d’encens. Mais la question se pose très rarement.
De même, les patients assouplissent d’eux-mêmes, lorsqu’ils sont hospitalisés, les règles vestimentaires qu’ils ont adoptées au nom de la religion. Mais il suffit d’un cas particulièrement marquant pour défrayer la chronique, marquer les esprits et effacer les efforts de nombreux autres patients pratiquants pour se conformer aux obligations réglementaires…
Comme cette patiente qui refuse de retirer sa burqa avant de subir une intervention de chirurgie ambulatoire alors que, selon la circulaire du 2 février 2005, « le malade doit accepter la tenue vestimentaire imposée, compte tenu des soins qui lui sont donnés », pour des raisons d’hygiène. Isabelle Lévy cite également le cas d’une patiente opposée aux séances de rééducation en piscine ou d’autres, en hôpital de semaine pour apprendre à gérer leur diabète, qui ont refusé de participer aux ateliers collectifs. Selon elle, une meilleure information préalable ainsi qu’un simple mais ferme rappel à la règle pourrait régler la plupart de ces rares problèmes.
La circulaire prévoit par ailleurs que le malade, et lui seul, peut choisir librement son praticien, son établissement et éventuellement son service si cela n’interfère pas avec l’organisation des soin. Mais ce libre choix ne permet pas que la personne « puisse s’opposer à ce qu’un membre de l’équipe de soins procède à un acte de diagnostic ou de soins pour des motifs tirés de la religion connue ou supposée de ce dernier », précise le texte.
D’une manière générale, « tout prosélytisme est interdit [à l’hôpital], qu’il soit le fait d’une personne hospitalisée, d’un visiteur, d’un membre du personnel ou d’un bénévole », stipule la Charte de la personne hospitalisée. « Quelle que soit la filière, la catégorie mais aussi le statut – titulaire, en cours de titularisation, en stage, étudiant, vacataire ou même bénévole – toutes les personnes intervenant à l’hôpital sont concernées par ce sujet », insiste Isabelle Lévy. À part les ministres des cultes, tous se doivent d’adopter un comportement parfaitement neutre du point de vue de la croyance religieuse. « Les patients ne doivent jamais douter de la neutralité des agents hospitaliers », rappelle la formatrice, citant la circulaire du 2 février 2005 sur la laïcité dans les établissements de santé.
Cette neutralité porte sur l’expression des croyances personnelles des soignants comme des autres personnes intervenant auprès des patients, mais aussi dans l’apparence vestimentaire ou le comportement. Donc pas de signe ostentatoire et apparent d’appartenance à une religion : ni croix, ni kippa, ni foulard d’aucune sorte, etc. « Porter un signe distinctif peut laisser supposer que le soignant ne va pas agir de la même façon avec tous les patients, qu’il pourrait agir avec plus de retenue avec certains et ne pas aller jusqu’au bout de sa démarche de soin. » Certes, la retenue peut exister en l’absence de signe visible mais la neutralité ne doit pas être mise en doute. Cette règle est désormais assez bien intégrée, à présent, souligne la formatrice, parmi les soignants.
Au niveau du travail, rappelle Isabelle Lévy, « le personnel doit être prêt à effectuer tous les actes relevant de son statut professionnel ». Y compris ceux qui pourraient le gêner au regard de sa croyance. Cette disponibilité professionnelle s’applique pendant toute la durée des heures de service : s’absenter quelques minutes pour prier peut s’apparenter à un abandon de poste, estime la formatrice. De la même manière, poursuit-elle, aucun agent ne peut exiger que des jours de congés fixes ou des vacances soient déterminés en fonction de la religion, quelle qu’elle soit. L’hôpital fonctionne 365 jours par an… Toutefois, « le cadre essaiera de permettre à l’agent qui en ferait la demande de passer Noël, Kippour ou l’Haïd en famille », en fonction de l’organisation du service et de l’équité entre les agents, souligne Isabelle Lévy. Mais il ne s’agit en aucun cas d’un droit ni de jours de congés non déduits. Pour la formatrice, les cadres n’ont pas intérêt à accepter ce genre de traitements particuliers car ils ouvrent la porte à toutes les exigences… D’une manière générale, c’est même leur rôle, souligne-t-elle, de rappeler que « les lois de la République sont au-dessus de la religion ».
(1) Lois du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, du 6 août 2004 relative à la bioéthique, du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, à consulter sur www.legifrance.gouv.fr.
(2) Auteure de Soins, Cultures et Croyances, éditions Estem, 2008.
La religion à l’hôpital. Isabelle Lévy. Éditions Presses de la Renaissance, 2004.
Traite des différents aspects des cultes, des refus de soins, des interdits alimentaires et des rites funéraires. Isabelle Lévy. Croyances & Laïcité. Guide pratique des cultures et des religions. Leurs impacts sur la société française, ses institutions sociales et hospitalières. Éditions Estem, 2002.
Soins et Croyances. Isabelle Lévy. Guide pratique des rites, cultures et religions à l’usage des personnels de santé et des acteurs sociaux, Éditions Estem,1999.
Rites et religions. Isabelle Lévy. Guide pratique pour accueillir les malades à l’hôpital selon les impératifs de la vie hospitalière en tenant compte des pratiques religieuses, Éditions Estem, 1996.
Hôpital et Églises. Anne Bamberg. Cerdic publications Strasbourg, 1987.
Medecine, religion et peur – L’Influence cachée des croyances. Olivier Clerc. Éditions Jouvence, 1999.
L’approche de la maladie grave dans les religions. Revue Francophone de Psycho-Oncologie, décembre 2005. Éditeur Springer Paris.
Laicité et république. Rapport de la commission de réflexion sur l’application du principe de laicité dans la République. Documentation française, 2004.
Circulaire du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé.
Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception – article 26.
Article L. 2212-8 du Code de la Santé publique.
Code de la Déontologie médicale, article 36.
Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
Code de la Santé publique, article L. 1111-4.