La responsabilité de l’infirmière de bloc opératoire - Objectif Soins & Management n° 185 du 01/04/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 185 du 01/04/2010

 

Droit

Gilles Devers  

SPÉCIALISATION ET RESPONSABILITÉ → L’infirmière de bloc opératoire (Ibode) est l’une des trois spécialisations infirmières, avec l’Iade et la puéricultrice. L’Ibode a effectué une formation exigeante et exerce dans un domaine privilégié pour les avancées dans les compétences. Où en est-on de la responsabilité ?

La spécialisation Ibode résulte de la titularité du diplôme d’État de bloc opératoire. Deux ans minimum de pratique et une formation de dix-huit mois pour un exercice qui, en l’état actuel, reste prioritaire mais non exclusif… Non pas que la matière soit simple, mais parce que les effectifs font défaut. L’engagement dans cette formation conduit à un ajustement salarial, certes, mais la motivation est essentiellement liée à l’intérêt pour cette fonction.

UNE INFIRMIÈRE SPÉCIALISÉE

Pratiquer dans de bonnes conditions la fonction d’Ibode passe par un véritable investissement professionnel.

L’Ibode est d’abord une infirmière

Pour ce faire, il faut certainement maîtriser les savoirs et les techniques du bloc opératoire, mais l’Ibode ne fera rien si elle se détache de sa base, qui est la fonction infirmière. Le risque est de se focaliser sur les actes spécialisés, alors qu’il n’est d’exercice valable que celui mis en œuvre avec savoir et intelligence, en puisant dans les bases du métier. La source est l’article R. 4311-2 du Code de la Santé publique :

« Les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs, intègrent qualité technique et qualité des relations avec le malade. Ils sont réalisés en tenant compte de l’évolution des sciences et des techniques. Ils ont pour objet, dans le respect des droits de la personne, dans le souci de son éducation à la santé et en tenant compte de la personnalité de celle-ci dans ses composantes physiologique, psychologique, économique, sociale et culturelle :

« 1° De protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé physique et mentale des personnes ou l’autonomie de leurs fonctions vitales physiques et psychiques en vue de favoriser leur maintien, leur insertion ou leur réinsertion dans leur cadre de vie familial ou social ;

« 2° De concourir à la mise en place de méthodes et au recueil des informations utiles aux autres professionnels, et notamment aux médecins pour poser leur diagnostic et évaluer l’effet de leurs prescriptions ;

« 3° De participer à l’évaluation du degré de dépendance des personnes ;

« 4° De contribuer à la mise en oeuvre des traitements en participant à la surveillance clinique et à l’application des prescriptions médicales contenues, le cas échéant, dans des protocoles établis à l’initiative du ou des médecins prescripteurs ;

« 5° De participer à la prévention, à l’évaluation et au soulagement de la douleur et de la détresse physique et psychique des personnes, particulièrement en fin de vie au moyen des soins palliatifs, et d’accompagner, en tant que de besoin, leur entourage. »

C’est un excellent article et cette définition fonctionnelle doit nourrir toute la pratique. La spécialisation, c’est l’alliage entre les savoirs avancés et la formation de base : les fondamentaux, l’hygiène, la clinique, la surveillance du patient…

Cet alliage est la condition d’un exercice équilibré de telle sorte que l’Ibode reste bien une infirmière et ne devienne pas une aide-chirurgien : une fonction de soins, largement autonome, fondée sur les compétences générales, et affirmées au service d’une technique. Cet alliage des deux formations assoit le respect qui est dû à l’infirmière, dans sa manière de servir.

Une spécialisation

Plus que dans d’autres domaines, les liens de travail entre chirurgiens et Ibode sont étroits. La réactivité de l’Ibode doit être parfaite et le risque, propre à justifier une réponse urgente, est omniprésent. La jurisprudence a défini de longue date la responsabilité de principe du chirurgien sur tout le processus opératoire. Ce rôle premier reconnu au chirurgien dans le bloc opératoire est certain, mais pour autant, une Ibode n’est jamais en situation d’exécution. Elle n’exécute pas des ordres mais prend les initiatives qui relèvent de sa compétence, et met en œuvre avec intelligence les prescriptions médicales.

Il arrive, dans la fonction d’instrumentiste ou d’aide-opératoire, que l’Ibode agisse directement sous la consigne médicale, devant faire au mieux ce qui est demandé. Mais même dans cette phase, l’infirmière conserve une part d’autonomie, qu’il s’agisse de la maitrise du geste, de la surveillance générale ou du regard sur l’environnement. Ce qui est demandé à l’Ibode, c’est d’assumer une responsabilité pour chacun des actes qu’elle exécute. Les domaines d’intervention du médecin et de l’Ibode sont complémentaires et cette complémentarité permet atteindre l’excellence des soins.

Certes, il reste des réalités du terrain et cet équilibre bienfaisant n’est pas toujours trouvé. Le législateur lui-même a donné de très mauvais signes quand, il y a quelques années, il a régularisé dans des conditions très légères la situation des aides-opératoires. Il s’agissait de professionnels non diplômés qui n’avaient pas le droit exercer dans les blocs opératoires et se trouvaient en situation d’exercice illégal. Or le législateur, sensible au lobby médical, avait choisi de valider cette expérience d’exercice illégal comme acquis professionnel ! Le discours qui encourageait les infirmières à suivre la formation de spécialisation avec son haut niveau d’exigence tombait alors un peu à plat, quand le législateur laissait entendre que du moment où une aide-opératoire a bien l’habitude d’obéir au chirurgien, elle était très compétente… C’était là un signe mauvais, car il se plaçait dans le rapport hiérarchique et l’exécution. Celui qui n’a pas eu une formation générale n’est pas en mesure d’évaluer ce qu’il fait, ni de prendre la moindre initiative. Il perd la clinique et le regard diagnostic.

Quand le doute existe, le mieux est là encore de revenir à une référence de texte, à savoir l’article R. 4311-11 du Code de la Santé publique, dont chaque mot est pesé, et qui doit être mise en œuvre avec lien avec la fonction générale de l’infirmière, rappelée à l’article R.4311-2.

« L’infirmier ou l’infirmière titulaire du diplôme d’État de bloc opératoire ou en cours de formation préparant à ce diplôme, exerce en priorité les activités suivantes :

« 1° Gestion des risques liés à l’activité et à l’environnement opératoire ;

« 2° Élaboration et mise en œuvre d’une démarche de soins individualisée en bloc opératoire et secteurs associés ;

« 3° Organisation et coordination des soins infirmiers en salle d’intervention ;

« 4° Traçabilité des activités au bloc opératoire et en secteurs associés ;

« 5° Participation à l’élaboration, à l’application et au contrôle des procédures de désinfection et de stérilisation des dispositifs médicaux réutilisables visant à la prévention des infections nosocomiales au bloc opératoire et en secteurs associés.

« En per-opératoire, l’infirmier ou l’infirmière titulaire du diplôme d’Etat de bloc opératoire ou l’infirmier ou l’infirmière en cours de formation préparant à ce diplôme exerce les activités de circulant, d’instrumentiste et d’aide opératoire en présence de l’opérateur.

« Il est habilité à exercer dans tous les secteurs où sont pratiqués des actes invasifs à visée diagnostique, thérapeutique, ou diagnostique et thérapeutique dans les secteurs de stérilisation du matériel médico-chirurgical et dans les services d’hygiène hospitalière. »

Ainsi, ce que le juge attend de l’Ibode, c’est une adaptation des connaissances aux données spécifiques du bloc opératoire, dans lequel elle est affectée. On retrouve trois domaines complémentaires : l’organisation générale, avec essentiellement le matériel, l’hygiène et l’asepsie, et la question est immense ; l’accompagnement du patient, sur le plan relationnel avant l’anesthésie mais également par surveillance globale qui est un rôle propre de l’infirmier ; toutes les techniques de l’opératoire, qui se déclinent dans les trois fonctions : circulante, instrumentiste ou aide-opératoire.

UNE RESPONSABILITÉ DE DROIT COMMUN

Cette responsabilité fonctionnelle étant connue, quelles sont les implications en termes de responsabilité juridique ? La réponse passe par le partage fondamental entre la responsabilité pénale, organisée vers la sanction et la responsabilité civile, tournée vers l’indemnisation des patients.

La responsabilité pénale

Sur le plan pénal, la règle est celle de tout le monde. C’est l’article 121-1 du Code pénal : nul n’est responsable que de son propre fait. C’est-à-dire que le chirurgien est responsable pénalement de sa faute de chirurgien pour la réalisation de l’acte, l’organisation générale et la surveillance médicale, et que l’infirmière est responsable des actes qu’elle pratique, mais également de la bonne gestion du matériel, de l’hygiène et de la surveillance générale du patient. La faute de l’un n’entraîne pas nécessairement la faute de l’autre. L’idée que l’un déciderait parce qu’il assume les responsabilités des autres n’a aucun contenu juridique sur le plan pénal. Lorsqu’un juge est saisi, son premier rôle est de comprendre le déroulement des faits, imputer chacun des faits aux membres de l’équipe, et déterminer ensuite si chacun de ces faits a ou non un caractère fautif. Un défaut d’exécution renvoie à l’auteur du geste. Un défaut d’organisation met en cause celui qui a mal organisé. Mais celui qui commet une faute dans l’organisation ne devient pas responsable de la faute commise dans l’exécution, qui reste toujours le fait de l’exécutant.

Ainsi, on trouve une corrélation exacte entre l’analyse générale qui doit être faite de la fonction de l’Ibode (R. 4311-2 et R. 4311-11) avec l’article fondamental du Code pénal qui renvoie à la responsabilité personnelle de chacun (121-1). En pratique, cela signifie que l’Ibode doit avoir une juste perception de son devoir, soit dans le cadre de la prescription médicale, soit dans le cadre de sa compétence autonome et elle doit l’assumer avec diligence, selon l’expression du Code pénal.

La responsabilité civile

Sur le plan civil, la logique est inversée car le principe est la responsabilité du fait d’autrui et la prise en charge des dommages par les compagnies d’assurance. Au bloc opératoire, il n’existe pas de situation d’exercice libéral infirmier, de telle sorte que l’infirmière exerce toujours dans un cadre organisé par l’employeur, qui peut être, selon les cas, l’établissement ou le chirurgien.

Dans la fonction publique, cet employeur est toujours l’hôpital. Il n’existe pas de régime spécifique de responsabilité au sein du bloc opératoire. L’étroite collaboration qui se retrouve sur un certain nombre d’actes, notamment pour la fonction d’instrumentiste ou d’aide-opératoire, ne modifie rien au régime de responsabilité des établissements publics. Les fautes commises par le personnel engagent la responsabilité de l’établissement, qui a l’obligation de s’assurer pour ce fait, et l’assurance de l’établissement répond ainsi de toutes les fautes. Seule l’AP-HP est son propre assureur.

On retrouve la même situation dans les établissements privés participant au service public (PSPH), où les médecins sont salariés. Le médecin salarié n’engage pas sa responsabilité financière personnelle, cette responsabilité étant traitée par les règles générales du salariat, c’est-à-dire sur un modèle proche de la fonction publique : la faute des salariés engage la responsabilité de l’employeur et l’employeur est assuré pour ce faire.

Une distinction apparaît que dans le secteur des cliniques à but lucratif, avec des chirurgiens qui exercent en libéral au sein de la clinique qui offre le plateau technique. Le plus souvent l’infirmière est salariée de la clinique. Ainsi une faute de l’Ibode engage-t-elle la responsabilité de l’employeur qui est la clinique, alors que le médecin engagera sa responsabilité propre en tant que praticien libéral. Dans un certain nombre de cas, les chirurgiens se sont organisés avec une grande autonomie, et le personnel infirmier est salarié par le médecin ou par une société d’exercice que les médecins ont créé entre eux. Sur le plan civil, la faute de l’Ibode engage donc la responsabilité de la société d’exercice, qui fera gérer le dossier par son assureur.

CONCLUSION

L’une des questions qui se pose dans le cadre des procès est la confrontation entre la pratique et le cadre juridique. Ici, il n’y a pas de doute. La seule référence opposable, ce sont les textes, et en l’occurrence ceux qui fixent les limites de l’intervention de l’Ibode. Le mépris de ces textes fait entrer dans le domaine de la faute, et le premier intéressé, c’est le patient.