Soixante-douze heures après notre arrivée à l’hôpital de Diquini, après être passés de tente en tente puis avoir travaillé dans des zones de soins prédéfinies, j’ai été affecté à la zone post-opératoire. Cette zone avait pour objectifs principaux de réaliser le suivi post-opératoire des patients déjà opérés et éventuellement de prévoir leur reprise au bloc opératoire ou leur transfert.
Le secteur post-opératoire s’est alors décomposé en deux sous-secteurs : le secteur “post-op’ classique” sous tentes individuelles ou collectives, et le “poste central” avec les lits de soins intensifs et les tables permettant de faire les pansements les plus lourds sous sédation. Nous étions quatre médecins et six infirmiers sapeurs pompiers pour les soins, huit sapeurs pompiers affectés à notre zone chargés du brancardage et de la logistique, des personnels médical et paramédical d’ONG françaises ou canadiennes et bien entendu des volontaires locaux. Pour ma part, j’ai été affecté avec l’un de mes confrères des pompiers de Paris au niveau du poste central où nous avons rapidement mis en place une unité de soins intensifs pour les patients les plus gravement touchés nécessitant une surveillance continue. Nous avons donc fonctionné comme un service classique mais dans des conditions plus que spartiates.
Rapidement, nous avons pris en charge une femme brûlée à 40 % dans des soins de réanimation classique des grands brûlés. Je me suis alors retrouvé dix ans en arrière, en retrouvant mes gestes et reflexes d’antant. Sans scope, avec juste un tensiomètre manuel et un saturomètre portable, nous avons mis en place les protocoles de réanimation classiques. La veille de notre départ, cette femme a été transférée vers le CHU de Fort-de-France : d’un pronostic médical réservé lors de sa prise en charge, elle est passée à un état stable avec 90 % de chance d’être sauvée.
Dans ces conditions extrêmes, nous avons, pris en charge des patients qui auraient été placés en réanimation en France. Nous réalisions aussi, avec les médecins, des sédations permettant de faire les pansements les plus douloureux. Durant cette période, nous avons dû assurer une centaine de sédations sous kétamine et benzodiazépines associés à des morphiniques sans aucun incident majeur.
Je retiendrais plusieurs points de cette mission : le courage, l’humilité et l’espérance des patients que nous avons pris en charge face à une catastrophe sans précédents. Grâce à l’excellente collaboration de l’ensemble des intervenants, du pompier brancardier au médecin, nous formions une équipe solidaire et efficace, unie face à une situation hors norme. Chacun a dépassé ses propres tâches : lorsqu’un médecin urgentiste devenait médecin anesthésiste, un infirmier devenait infirmier anesthésiste ou un secouriste infirmier.
Lors de notre départ, les larmes des patients mélées aux nôtres nous ont permis de réaliser l’ampleur de notre travail. Il s’agissait peut-être d’une goutte d’eau dans cet océan de souffrance mais notre satisfaction d’avoir œuvré pour ces personnes qui souffraient reste immense.