Cahier du management
Jean-François Thiebaut* Régis Le Dûs** Jorge Badana*** Bruno Thouary****
Il était environ 16 h 53 ce mardi 12 janvier à Port-au-Prince (Haïti) quand tout à coup s’est produit ce que l’on identifie maintenant comme l’une des pires catastrophes qu’ait pu connaître l’humanité. Un séisme de magnitude 7,3 sur l’échelle de Richter vient de sévir durant plus d’une minute.
À peine huit heures plus tard, le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic) organise le départ de plusieurs détachements d’intervention pour catastrophe aéromobile (Dica). Les premiers secours français arriveront des Antilles dans les 24 heures. Le temps que le Dica Santé constitué d’agents de onze entités différentes s’organise, se rassemble et s’envole de Paris, le tarmac de l’aéroport de Port-au-Prince est déjà contrôlé par l’armée américaine. Ce n’est que le dimanche 17 janvier à 2 h 50 du matin que nos colonnes (ou groupes) Île-de-France et Sud se sont posées sur l’aéroport Toussaint l’Ouverture, l’aéroport de Port-au-Prince. En début d’après-midi, rongés par l’envie d’apporter notre contribution, nous avons été répartis sur les quatre sites ciblés par les secours français. Quel désastre ! Chacun d’entre nous gardera longtemps en tête certaines images de cette première rencontre. Notamment ce binôme qui a fait sa première expérience d’amputation de bras afin de dégager une haïtienne bloquée sous le plancher de sa maison.
Le retour des quatre équipes fut chaotique : retard des véhicules et problèmes de transmissions s’ajoutant à la fatigue et au sentiment d’inutilité face aux centaines de personnes en détresse. Suite aux constats que chaque équipe a pu faire, dès le lendemain, le commandement décide de positionner les quarante personnels de santé accompagnés des vingt secouristes à l’hôpital de Diquini (au sud de Port-au-Prince). Nous n’étions pas préparés : mais qui pourrait l’être et pouvoir techniquement et humainement faire face à ces 500 à 600 réfugiés dans le jardin de cet hôpital ? L’hôpital de Diquini est un hôpital privé de confession protestante. Il est très réputé en Haïti et ses soixante-dix lits sont souvent occupés. Le bâtiment n’a que très peu souffert de la secousse principale : seule la pharmacie ressemble à un tas de médicaments et de matériels et les piliers de l’aile droite sont cisaillés à leur base. La quasi-totalité du jardin de l’hôpital était parsemée de bâches tendues par des ficelles abritant des matelas de fortune sur lesquels étaient couchés les blessés. Un bloc opératoire s’était organisé avec des chirurgiens mexicains. Il se situait lui aussi sous des bâches tendues à proximité du bâtiment, seules les amputations de membres, priorisées par les lésions, mais surtout les complications associées y étaient réalisées. Il y a plus d’un tiers de blessés sur place, soit 200 à 300 personnes, principalement de la traumatologie ouverte de membre. Nous avons tous imaginé que les traumas thoraciques et abdominaux étaient décédés avant notre arrivée. Quelques enfants courant de-ci et de-là laissaient entrevoir un peu de vie, d’espoir et d’humanité.
Il nous a fallu environ deux jours pour mettre en place progressivement le site. Le premier matin, nous passions de “tentes” en “abris”. Dès l’après-midi, trois secteurs se sont organisés, chacun s’articulant autour de trois ou quatre tables d’examens improvisées et de nos sacs de soins qui ne ressemblaient plus qu’à un agrégat de matériels en tous genres. De nouveaux réflexes ont rapidement accompagné les nouvelles méthodes de travail : un peu de kétamine, de benzodiazépines, du plâtre, et l’immobilisation est faite. Si la fracture du fémur est ouverte, l’antibiotique vient compléter le premier cocktail et le caillou en traction sur le pied remplace le plâtre. L’organisation globale du site n’a pu se faire que grâce à la confiance du directeur de l’hôpital : ses décisions allant parfois à l’encontre des médecins américains qui nous ont rejoints au bout de 48 heures, l’organisation française a fait foi. Le cadre étant posé, notre réelle collaboration avec les chirurgiens américains a pu commencer. Au troisième jour, les malades post-opératoires se multipliaient au rythme effréné imposé par les différentes salles d’opérations. De plus en plus de malades potentiels se présentaient dans notre service d’accueil et de tri qui limitait parfaitement les entrées. Les décompensations de certaines pathologies étaient jugulées par le secteur médical et la régulation organisait les différents mouvements tant sur site que vers l’extérieur. Enfin, une organisation géographique a été possible grâce à l’arrivée de tentes dômes ou collectives reprenant ainsi une organisation hospitalière identique à celle que nous connaissons en France… mais sous tente.